Treizième partie.

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J'ai toujours la sensation de ta main dans mes cheveux. Ça fait une semaine, je sais, ça n'a duré qu'un ridicule instant, je sais, mais j'arrive pas à l'oublier. C'était obligé, que t'en fasses toujours plus, pas vrai ? Il fallait que tu me rendes encore plus... accro, n'est ce pas ? C'est trop dur, pour toi, de rester à ta place. Tu y as pensé, au moins, à moi ? La merde dans laquelle tu m'as foutu, la merde dans laquelle tu m'enfonces continuellement ? Et putain, il est dix-huit heures dix-huit, qu'est-ce que tu fous ? T'es censé être déjà là ! Et en plus tu te fais désirer. Et puis quoi, encore ? Bientôt je devrai me mettre à genoux et t'implorer de venir encore le samedi à dix-huit heures dix-huit, dans ma petite et vieille librairie merdique ? C'est ça ? C'est ça que tu attends de moi ? Tu peux toujours rêver, mon pauvre ami. Tu ouvres la porte et entres, exactement dix-huit secondes avant qu'il soit dix-huit heures dix-neuf. Tu as un sérieux problème avec le nombre dix-huit, franchement... comme d'habitude, tu ne dis pas bonjour, tu te contentes d'afficher ton grand et faux sourire en me regardant de tes yeux vides. Tu retires ton manteau et ton bonnet puis tu les accroches à leur place désormais habituelle. Tu ouvres légèrement la bouche, je crois que tu vas parler, mais un vieil homme entre à son tour, te coupant dans ton élan. Lui, au moins, il lance un "bonjour" qui a l'air sincère. J'aime quand les bonjours ont l'air sincères. Je lui réponds en souriant. Toi tu t'effaces, tu prends un livre au hasard et te plonges dedans. Le vieil homme parcourt pendant un long moment les rayons avant de choisir un bouquin. Toi, tu continues ton petit manège ridicule. Lui se dirige vers moi et me tend le livre pour que je l'encaisse. C'est une belle histoire, celle de deux adolescents qui tombent amoureux et qui restent ensemble jusqu'à la fin de leur vie.

-C'est pour ma femme, pour nos quarante ans de mariage. On s'aime depuis nos seize ans, comme dans ce livre.

Quand il dit ça, ses yeux se sont illuminés. Je souris. C'est d'une stupidité niaise hallucinante, mais je dois avouer que j'aurais bien aimé, moi aussi, vivre une grande histoire d'amour, qui commence au lycée et qui dure le restant de ma vie. Alors quand je vois quelqu'un qui y est parvenu, je trouve ça magnifique.

-Félicitations.

Il sort un billet de vingt euros de son porte-feuille mais affiche un air surpris quand je secoue la tête pour refuser son argent.

-Bon anniversaire de mariage.

Il reste quelques secondes confus puis me remercie en souriant et s'en va, sans oublier de dire "bonne soirée, mon garçon". Tu refermes ton livre et le ranges, avant de venir t'appuyer sur le comptoir, en face de moi. Je nous fais couler un café pendant que tu, je crois, cherches tes mots. Je te donne ta tasse (et le pull en même temps) puis tu te décides enfin.

-C'est gentil, ce que tu as fait.

-Je trouve ça beau, ce genre d'amour.

Tu hoches la tête, simplement. Tu ne sembles pas te foutre de ma gueule, au contraire, tu as l'air... de comprendre. Alors, comme tu ne me prends pas, apparemment, pour un dégénéré, j'ai envie de continuer à parler. T'expliquer.

-Les gens comme ça, qui passent leur vie ensemble alors qu'ils s'aimaient déjà au lycée, partagent un lien particulier. Et j'aurais bien aimé partager ce lien avec quelqu'un, moi aussi. Malheureusement, c'est trop tard, alors je me contente d'être heureux pour ceux qui ont réussi et de leur offrir un cadeau de mariage.

Tu souris, et tu me regardes comme si dans ta tête tu te disais "adoraaaaaaaable" et je ne sais pas trop comment je dois le prendre.

-Moi aussi, ça m'aurait plu, je pense.

Toi ? Sérieusement ? Tu n'en avais pas l'air, au lycée, pourtant. L'étonnement doit se lire sur mon visage, parce que tu te mets à rire légèrement. J'aime entendre ton rire. Il me fait l'effet d'un coup de poing dans le ventre, mais j'aime l'entendre. Tu regardes l'horloge, et tu soupires. Ce qui veut dire qu'il est l'heure. Tu vas partir. Tu enlèves mon pull, enfiles ton manteau et ton bonnet, t'approches de moi et, comme la dernière fois, passes ta main dans mes cheveux. Puis, tu pars. Et moi, je suis incapable de bouger. Tout a explosé dans mon être, juste avec cette simple caresse.

18h18.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant