Aveuglément amoureux

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La foule m'oppresse. Je me sens comme une brindille emportée par le courant d'une rivière; il me balance, me cogne, m'engloutit.
Je ne contrôle plus ma direction, et sens sur chaque parcelle de mon corps les coups des passants, le frottement d'un tissus rugueux contre ma peau, qu'ils arrachent inlassablement.

Milles odeurs me montent à la tête. Le restaurant Italien, dans le coin de la rue, d'où s'échappent des odeurs de pâtes fraîches, l'arôme de glace à la pistache que tient une petite fille, l'odeur de cigarette, omniprésente. Je sens chaque trace corporel, transpiration, déodorant, parfums coûteux que les vieilles femmes vident sur leurs habits.
Les odeurs qui sortent des bouches d'égouts. Je sens tout, et ce mélange écœurant me donne envie de vomir.

Et puis, mes oreilles saignent. Je me noie dans le vacarme assourdissant.
Des enfants rient, les voitures klaxonnes, les gens parlent tout autour de moi en un débit ininterrompu. J'entends les portes claquer, le bruit des souliers contre le sol de pierre, une sirène au loin, un homme se moucher bruyamment, le bip des caisses à l'intérieur des magasins.
Chacun de ces bruits me blessent, comme si je recevais une multitude de coups de poing.
Je me recroqueville, pose mes mains sur mes oreilles. Que tout cela cesse. S'il vous plaît. Je ne veux plus rien entendre, plus rien sentir.
Et puis;

-"Eren."
Je redresse la tête vers la provenance de ce nouveau son qui a chassé tous les autres.
Je ne connais pas cette personne.
Cependant, la voix de cet homme m'a apaisée, et je le laisse faire lorsqu'il me prend doucement les mains pour me relever.
Il passe un bras sur mes épaules, et m'emmène loin de ce lieu infect.

Cette odeur... Oui, je connais cette odeur citronnée. Cependant, quelque chose de nouveau s'est ajouté... De l'amertume.
Mais je ne peux me souvenir du propriétaire de cet arôme.
Seuls des sentiments ressurgissent.
De l'amour, de la passion, de la colère. D'où viennent ces émotions ?

Il m'emmène dans un bar calme.
Mon coeur cesse ses battements fous, et je retrouve une respiration régulière dans ce lieu plus apaisant que la rue en mouvement.
Ces sortes de crises me prennent régulièrement, depuis... ce jour. Ce jour où tout m'a été enlevé, et où j'ai fui la seule chose qu'il me restait.
-"Qu'est-ce que tu faisais seul là-bas, Eren ?"
Cette façon de prononcer mon nom...
Flashback: <"Est-ce que tu me vois, Eren?" Non. Je ne voyais plus rien. Ni personne.>
Je sors de ce flash angoissant. La terreur que je ressentais m'a prise à la gorge, comme si j'étais retourné à ce moment précis.
Mais cette voix... Cette façon de prononcer mon nom, comme si j'étais un bijou précieux qu'il ne fallait pas casser...
Non, c'est impossible.
Sa voix était moins... Grave? Triste? que celle de cet homme en face de moi.
-"Eren?" il répète doucement
Mais ma voix se serre, et reste bloquée dans ma gorge.
Je reconnais cette voix. Mais comment est-ce possible? N'ai-je pas fui assez loin?
J'amène mes mains hésitantes vers les siennes. J'attrape son poignet droit, et remonte sa manche.
Ses mains, son avant bras fin et doux... C'est lui, j'en suis sur.
Cependant, je sens quelque chose que je n'avais jamais touché sur lui.
Son poignet est strié de bosses. Des cicatrices.
Je sens des larmes couler le long de mes joues, à travers mes lunettes.
L'avais-je autant blessé ?N'avais-je pas fui pour son bonheur? Je ne voulais simplement pas qu'il aie à vivre aux côtés d'un infirme, mais me serais-je trompé?
Je sens ses grandes mains s'emparer de mon visage, et ses pouces essuyer mes yeux trempés.
J'aimerais tellement pouvoir admirer ton visage, Levi.
Mais je veux que tu connaisses le bonheur sans moi.
Vis avec un homme qui te rendra heureux, avec qui tu peux tout partager.
Vis avec un homme qui n'est pas aveugle, et laisse moi fuir cette vie où je n'ai plus de place.

Aveuglément amoureux      (ereri)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant