Chapitre 1 : Jeudi 24 septembre (51)

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   51e  jour. 

Je trace une croix rouge sur mon calendrier à la date d'aujourd'hui accompagnée du nombre 51. Cette case maintenant marquée est précédée de cinquante autres cases, toutes recouvertes de la même façon, seul le nombre accompagnant change à chaque fois. Je retire ma pauvre main du calendrier devant lequel je reste pensif depuis trop longtemps. Je me retourne, ma cuisine est sale et miteuse. Des couverts et de vieilles casseroles débordent du lavabo remplie d'une eau plus sombre que la Seine. Cette pièce, bien que ma cuisine, a d'autres rôles. Elle me sert aussi de salon. Enfin pas exactement : les gens normaux utilisent le salon principalement soit pour regarder la télé sur le canapé or ma salle est dépourvue de l'un comme de l'autre, soit pour manger, ce qui est aussi le cas de la cuisine. Je possède aussi un lit, disons plutôt un matelas qui traîne par terre et prend la poussière au fond de la cuisine. Mais, heureusement, j'ai une deuxième pièce. J'ai le luxe d'avoir des toilettes, lorsque ceux-ci ne sont pas bouchés, ainsi qu'une douche. "Italienne" il me semble que l'on dit vu qu'elle est au niveau du sol. L'eau s'écoule dans un trou qui la dirige vers les égouts grâce à une petite pente. D'origine la pente est lisse, mais le sol en carrelage n'a pas dû supporté cette douceur et quelques temps après la mise en fonction de la douche, il s'est fissuré, gênant le passage de l'eau qui tente de rejoindre sa patrie. Pour conclure, mon appartement est miteux, mais la vie y est possible. La preuve, la moisissure s'est bien installée.

Je me retourne donc une dernière fois vers mon calendrier pour le contempler avant de partir dehors. Tous ces jours barrés, comme rayés de ma vie me lamentent encore plus, mais cela me rappelle pourquoi je fais ça, pourquoi la seule chose que j'entretiens dans mon lieu de vie est ce calendrier volé dans un bureau de tabac. Pour faire simple, j'éprouve un besoin pressant de mettre fin à mes jours. Mais, en tant que scientifique, je ne voulais pas faire de gaffe, j'ai donc décidé de m'imposer soixante jours pour que mon avis change. Si ce n'est pas le cas, je me suiciderais, sinon je vivrais la suite de ma fatidique vie. Mais il ne me reste plus que neuf jours, qui peuvent être longs comme rapides. En tant qu'être humain, doué d'intelligence, mais aussi de sentiments, j'ai voulu me lancer dans le vide, cet inconnu si accueillant, avant ces deux mois de test. Et c'est pour cette raison justement que je m'occupe de mon calendrier. Je n'ai pas envie de mourir en tant que lâche qui n'a même pas honoré sa dernière volonté. 

Après avoir rêvassé des heures devant ce funeste objet célébrant chaque jour maudit d'une marque rouge, je sors. Je me promène dans les rues, les mains dans les poches de mon manteau qui avait déjà rendu l'âme avant moi. Les autres passants me regardent tous, d'un air méprisant. Pour eux, je ne suis qu'un déchet à éliminer le plus rapidement de leur vie. Je me sens si haït pourtant je n'ai que 25 ans. Ma barbe est noir et me bouffe le menton, mon visage est assez pâle et je porte une large cicatrice sur le bord du visage. Mon nez est tordu vers la droite et mes cheveux ne cessent de pousser en bouclant me donnant sûrement l'air dune brosse. Une brosse pleine de poussière qui a déjà fait son temps. Sous mon manteau, je porte un simple t-shirt noir de suie, lui aussi déchiré et pour le bas, j'ai un pantalon que j'ai récupéré dans une poubelle restée trop longtemps à ma vue.

Je me balade ainsi jusqu'en bord de plage, mais je ne m'aventure pas jusque sur le sable chaud car j'ai trop peur que les policiers me confondent avec un SDF et ne m'arrête. Cela me laisserais trop longtemps sans mon calendrier et je ne pourrais plus attendre avant de passer à l'acte. Après être rester à contempler la vue, je ressens un besoin pressent de rejoindre mon misérable appartement. Je prends donc le sentier du retour, c'est-à-dire le même que celui de l'aller. Les gens s'écarte encore à mon passage, comme si j'étais porteur d'un virus dangereux. Mais le virus qui me ronge est loin d'être une simple maladie, se serait trop simple, il suffirait de trouver un antidote qui me guérirait. Je marche toujours, je n'habite pas loin, mais pas proche non plus. Regardant mes pas, qui avance sans vraiment avoir besoin de les commander, je repense à comment j'en suis arrivé là. C'est assez banal. Mes parents étaient jeunes quand ils m'ont conçu. Mon père n'a que 18 ans de plus que moi. A peine je suis sorti de ma mère qu'elle est parti le plus loin possible, quittant ainsi ma vie qui venait à peine de commencer. Mon père, pas très riche, a tenté de s'occuper de moi. Mais pour lui, j'étais une corvée de tous les jours : il a d'abord fallut m'apprendre à marcher, puis parler... J'ai finalement réussi à m'accrocher aux études et j'ai même atteint la prépa. J'ai rencontré Emilie, une fille jolie et sympathique. Nous sommes sortis rapidement ensemble, et j'ai fini par l'épouser tout aussi rapidement. Mais à peine les fiançailles finies, l'argent a manqué cruellement et mon père s'est mis à boire, beaucoup, et j'ai dû arrêter mes études. Heureusement, j'avais Emilie encore, que j'aimais tendrement. C'était sans compter sur le fait qu'elle me trompait avec mon propre père. Je me suis alors éloigné d'eux, j'ai déménagé ici, à Toulon. Mais ma prépa non finie, je n'ai pas réussi à rejoindre un boulot d'ingénieur, comme je l'avait longtemps rêvé. J'ai donc dû faire des boulots mécaniques, des boulots à la force des bras dans les champs ou dans des usines. Mais, comme on s'en doute bien, un intellectuel dans un boulot manuel, ça ne fait guère bon ménage. J'ai donc sauté de boulots en boulots et mon argent s'épuisait. J'ai donc voulu revenir vers mon père, bien que sa trahison battait encore dans mon sang définitivement marqué. Malheureusement, en arrivant chez lui, j'ai appris son décès. Je n'ai hérité de rien car il n'avait tout simplement rien. Voilà à quoi s'est résumée ma vie, mais je ne m'en plains pas trop, il doit bien y avoir pire dans le monde. J'arrive enfin devant la porte de mon immeuble que je franchis sans regarder le grand bâtiment, je suis bien assez triste comme ça. Je monte les escaliers un par un, j'ai le temps car pour mes dix derniers jours ante-mortem, j'ai décidé de ne pas travailler. Et pourtant, je chute sur une marche à moitié cassée et ma tête heurte violemment la dernière marche, me plongeant dans une douleur atroce. Je m'efforce de me lever et rentre chez moi. Je garde la main sur le front, la où le choc s'est produit mais je la retire quand je sens un liquide chaud entre mes doigts, je saigne. Je vais vite dans la salle de bain et tente de regarder mon reflet dans une vitre - je n'ai pas de miroir. Je ne vois pas clairement mais je pense mettre ouvert l'arcane sourcilière. Le sang continue de couler, s'encrassant dans mon chez moi, déjà bien trop crade. Je me précipite dur le papier toilettes et déroule le tissu avant d'arracher deux bandes que j'applique sur mon front. Cela fera l'affaire.

Puis je m'allonge sur mon matelas. Les ressort à l'intérieur me rentre dans le dos mais la douleur est principalement concentré sur ma tête. Je n'ai pas faim, et de toute manière, je ne peux pas manger car je n'ai pas assez d'argent. Je me retourne sur le lit, une fois, deux fois, et une dizaine de fois encore. Je suis fatigué, pourtant je n'arrive pas à trouver le sommeil. J'essaie de savoir pourquoi je n'arrive pas à dormir grâce à mon esprit scientifique. Ma conclusion est que mon corps n'arrive pas à se relâcher, il est remplie de stress et de tristesse.

Donc je regarde une dernière fois encore mon calendrier dans le noir, jusqu'à ce que ma vue se brouille. Mes larmes coulent abondamment, je les laisse sortir. Mon corps se détend, mes dents se décrispent, mes muscles se relâchent. Je sombre finalement dans un sommeil agité.

Malheureusement, ce sommeil ne dure qu'une heure, tout au plus, des petits cris de rats me tirent des bras de Morphée. On entend aussi leurs petits pas parcourant le plancher. Cela fait écho dans ma tête qui me relance. Chaque son se répercute contre les parois de ma matière grise pour s'amplifier, se décupler. Cette torture dure, encore, toujours, comme cette vie misérable. Je finis par m'évanouir, je n'en peux plus.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 05, 2017 ⏰

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