Partie 3, l'enfoiré

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J'avais beau me laisser mourir à petit feu, me laisser crever dans cette merde et faire de la merde. J'avais beau me tuer la santé et celle de ma mère. Le seul petit rayon de soleil dans cette pénombre, c'était Aya. Âgée d'à peine 7 ans, née d'un père marocain et d'une mère italienne, la petite blondinette aux yeux verts faisait trépasser mon coeur.

J'ai loupé des milliards d'occasions de réussir, j'ai délaissé des milliards de promesses faites aux gens, mais je n'ai jamais loupé une sortie des classes d'Aya. C'était la seule qui me faisait rester humaine, la seule qui me donnait, de temps en temps, l'envie de sortir de cette merde.

- Dis, Luisa.. Tu crois que papa il va revenir, ou qu'il pense un peu à nous ?
Mes bras encerclés autour de son petit corps, je resserre mon étreinte..
- Je sais pas.
- Non, mais tu sais, mamma l'autre jour elle a dit qu'un jour, il allait revenir, et que on serrait tous ensemble, une vraie famille.
- Siamo una familia. (Nous sommes une famille)
- Aya : une famille, c'est avec un papa, et une maman.. Une maison, et un chien.
- L'important c'est qu'on soit ensemble, toi, moi et maman. Non ?
Elle se retourne vers moi et se colle contre moi.

- Je veux être belle comme toi plus tard.
Mon coeur se presse, putain de connerie..
- L'important c'est les études mia cara, dormi adesso (dors maintenant).
Les seuls souvenirs que j'ai de cet homme sont assez flous. Pourtant j'ai vécu en sa présence beaucoup plus longtemps qu'Aya. Mais dans mes souvenirs, je n'ai que le visage d'un homme sévère, distant aussi bien physiquement que mentalement. Née d'une mère italienne et d'un père marocain, j'ai peu profité de ma deuxième culture. Mon géniteur est parti avec une demoiselle quelques années après la naissance de ma soeur. Pour ma part, ça n'a pas été une grande perte, j'ai simplement pu admirer un peu plus souvent le visage souriant de ma mère après ça... Il avait emporté avec lui, les cris, les larmes et la peur.

Après qu'Aya ce soit endormie dans mes bras, je me suis levée, doucement. Ma mère dormait dans le canapé du salon. Ce minuscule appartement n'avait pas assez de chambre pour nous 3. Ma mère avait préféré nous laisser la chambre et la négociation n'était pas possible. Je dépose une couette sur le petit corps fatigué de ma mère, j'enfile une paire de basket et ferme la porte derrière moi.
L'hiver était rude, les mecs avaient déserté, le froid avait eu raison d'eux. Les phares d'une voiture m'éclairent. Celle du nouveau mec de Ghita.
- Ghita : Grouille ton cul, il caille putain !
Le mec klaxonne, j'entre en claquant la porte.
- Moi : Arrête ça toi, on est pas chez ta mère là, y en a qui dorment.
- Le mec : Putain, c'est stylé, c'est le ghetto chez vous, dit-il en admirant les grandes tours de béton

Je lève les yeux au ciel. Je déteste que Ghita emmène ces mecs dans le quartier. Ces petits fils à papa débarquent avec leurs grosses caisses, leurs gueules hautaines et faut toujours qu'ils aient cette impression d'avoir traversé le bronx.
- Bon tu démarres, ou tu veux prendre des photos là ?
Le mec, se tournant vers Ghita : Elle est pas commode ta copine là, se tournant vers moi, respire hein.
- Moi : Je vais te suriner tu vas voir si..
- Ghita : Stop, c'est bon Luisa calme. Démarre toi.

Son mec s'exécute comme un petit toutou. Je le vois me téma dans le rétro, putain je supporte pas sa gueule à celui-là. Il nous emmène dans une soirée, chez un pote à lui. Le décors change. Grand appartement, avec des meubles qui doivent coûter une blinde. Rien que le vase dans l'entrée, je suis certaine qu'il vaut un minimum quatre loyers de mon appart. Je repère des trucs qu'on peut taper avec Ghita, autant en profiter. La soirée se passe tranquille, on enchaîne verre sur verre. Ghita est collée à son mec. Moi je discute, un mec me file son numéro, me propose de boire un café un jour, j'accepte.
Après tout, j'ai rien à perdre. Je discute même avec une meuf. En fait son esprit un peu ghetto m'a attiré, ça fait bizarre de croiser ce genre de meuf. Ça fait du bien même.
Elle s'appelle Karima. Elle sort avec un Français depuis presque 2 ans. Elle est bien différente de moi, elle, elle est amoureuse. Elle me présente son mec. Il est calme et posé et elle, à l'inverse, un peu trop dynamique. Mais ensemble ils sont mignons. C'est bizarre, on a discuté peut-être 3 heures, elle m'a déballée sa vie.
Le fait que ses frères et son père n'accepteraient jamais cette relation, qu'ils veulent un musulman, qui plus est algérien. Tout le contraire de Maxime, le petit brun, à la peau claire. Elle parle de ses galères, des fois où ils ont tenté de la marier avec des cousins, ou des mecs qu'elle connaissait à peine. Elle me parle de sa grande soeur, amoureuse d'un céfran, mariée de force au bled. Elle vit aujourd'hui avec le parfait enfoiré. Elle relativise, se dit que si ses parents la marient de force, peut-être qu'elle tombera sur un mec bien. Mais elle fait non de la tête, elle aime que Maxime. Une vie sans lui, me dit-elle, ça sert à quoi de vivre.
Je suis un peu réticente au début, les histoires de love, c'est pas ma tasse de thé maintenant. Je reste silencieuse, parce que je ne saurai pas la conseiller. Mais je l'écoute, attentivement. J'arrive même à trouver ça légèrement beau l'amour qu'elle lui porte. Puis je réagis, ça se trouve il la trompe, on sait pas, faut pas se voiler la face. Je veux pas lui dire, pour pas lui casser son truc. J'ai pas confiance en l'amour.
Elle vient d'une famille ultra nationaliste, très conservatrice, au fond je les comprends, mais je comprends pas qu'on puisse détruire sa gosse pour le regard des autres.
- Karima : En plus, il est pas muslim, et ça, pour mes darons, c'est le pire.
- Moi : Même s'il le devient ?

- Moi même, je sais pas si j'y crois. Je vais pas obliger quelqu'un à faire croire qu'il y croit, tu vois ce que je veux dire ? Puis, je sais pas si ça changerait quelque chose, ils veulent pas de céfran chez eux. T'façon je vais me barrer, avec Maxime, on va prendre un appartement dans le sud, on verra, mais je vais me barrer, le jour où j'en aurais le courage. Quitter ma mère ça va me faire mal, mon père aussi. Mais je peux pas vivre comme ma soeur, tu vois. Elle est mariée à un mec qui lui tape sur la gueule et à s'imaginer jusqu'à sa mort ce qu'aurait été sa vie si elle avait épousé le mec qu'elle aime réellement. C'est pas une vie de merde ça ? Je ne veux pas de ça moi.

Elle avait raison Karima, je crois que j'aurais fait la même... Enfin je sais pas, je croyais à l'époque.
L'heure tourne, il est presque quatre heures. Ghita a disparu. Il reste que des mecs complètement explosés dans la salon et quelques meufs. Je m'éclipse dans la salle de bain, je fais le tour de l'appartement je visite, j'ouvre une chambre. Des parfums de marque, de la sappe, je me sers et je fous des trucs dans mon sac. Y a des photos sur les murs, une jolie petite famille, ils sont beaux tous ensembles.

- Tu veux de l'aide ?
J'ai sursauté, oh putain, le mec de Ghita, Julien.
- Non, je regarde...
- Tu crois que j'ai pas vu, ce que t'as mis dans ton sac.
- Quoi ? qu'est ce que j'ai mis dans mon sac ? T'as rien vu !
- Ok vide ton sac, dit-il en approchant.
- Mais casse toi putain !
Un sourire s'affiche sur son visage, il avance dans la pièce en fermant la porte.
- Je dirais rien Luisa, c'est bon. Mais juste à une condition.
Sur sa gueule on voyait le vice, les yeux rougis, il était pas net. Il avance vers moi, automatiquement je recule. Il se colle à moi d'un coup, et me chuchote :
- J'ai envie de toi, depuis la première fois où je t'ai vu là, j'ai envie de toi.

Je l'ai poussé violemment en arrière, il tenait pas trop debout.
- CASSE TOI FILS DE PUTE, ME TOUCHE PAS !
Il a repris ses esprits, a foncé sur moi et m'a tiré vers lui.

- Allez Luisa, joue pas la sainte avec moi, on dira rien à Ghita, tu prends ce que tu veux ici.

Je lui mis un pain dans le nez, il a eu un mouvement de recul, sonné. J'ai couru vers la porte. Je l'entendais vociférer contre moi. Je suis sortie de ce putain d'appartement, je savais même pas où était Ghita. Je marchais dans la rue sombre, en pleurant, en pleurant toutes les larmes de mon corps, cette horrible scène, cette peur qui remonte, celle qui m'a rappelé Bilel. Je pleurais comme une conne, j'avais la haine. J'aurais du le tuer. J'aurais du tous les tuer. J'ai entendu une voiture klaxonner.

- LUISA ?!
J'ai vu Karima, accompagné de son mec. La chance de ma vie, j'aurais pu tomber sur n'importe qui d'autre.
- Vous pouvez me ramener...
- Oui oui monte, qu'est ce qui se passe, on t'a fait un truc ?
- Non rien, je veux juste rentrer chez moi.

Putain d'enfoiré de Julien, putain d'enfoiré de mecs. Blancs, noirs, rebeu, gitans, mecs de quartier ou pas, c'est tous les mêmes, des enfoirés.

La rose fane mais pas ses épinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant