Partie 4, démon à la gueule d'ange

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Ce soir là, ça avait tout bousillé en moi.

Aya grandissait, je la regardais prendre de l'âge, grandir, devenir de plus en plus belle. Je voyais les garçons tourner autour d'elle. Je voulais à tout prix la protéger du regard des hommes. Je voulais la protéger de moi, de ma réputation, de ce quartier.


J'ai découvert une petite boite dans ma petite chambre, une boite rose, avec des souvenirs, des photos, des bulletins de notes. J'étais bonne élève, j'avais pleins de copines, j'étais populaire à l'époque. Je regarde les photos des sorties scolaires, avec le centre du quartier. Des merveilleux souvenirs qui me font rappeler que je ne suis qu'une ratée, que j'ai caché ma vie. Je tombe sur des photos de Bilel et moi, c'était il y a 1 an...
Placardées sur les murs, j'avais arraché ces photos de rage, j'avais oublié leurs existences. Elles sont là pourtant, réelles et ce qu'on a vécu l'est aussi. Alors comment il a pu oublier tout ça, comment il a pu oublier tout l'amour que je lui ai donné, toutes ces paroles qu'il m'a balancé, toutes ces illusions dans lesquelles il m'a bercé.
Un vieux cahier tombe sous ma main, sur lequel j'avais griffonné L+B. Sur toutes les tables de mon lycée j'avais écris ces initiales. Des milliards de souvenirs remontent à la minute, c'est trop dur. Je range tout ça et m'enroule dans ma couverture. Quand je pense à lui, à ces moments passés avec lui, il y a toujours cette horrible image de ses yeux noirs quand je le suppliais d'arrêter, toujours cette horrible image de son visage indifférent

**

Un mardi, après avoir emmène Aya à l'école, je l'ai vu en bas de chez moi. Il n'avait pas changé, tout juste un peu grossi. Sa carrure me faisait briller les yeux avant, aujourd'hui tout ça me dégoûte, me fait gerber.

J'ai tourné la tête, j'ai juste entendu le mot "pute" parmi les braillements des mecs.
- Luisa !

La porte de mon immeuble a claqué. J'ai entendu mon prénom résonner dans la cage d'escalier sombre. Merde, pourquoi j'ai pas pris l'ascenseur. J'ai couru de toutes mes forces pour arriver le plus vite en haut, je l'entendais se rapprocher de moi, en 15 secondes il m'a rattrapé. Je tremblais de tout mon corps, j'avais l'impression de revivre ce que j'avais vécu il y a un an.


- Tu vois tu peux pas m'échapper...

Je me suis retrouvée nez-à-nez avec le visage souriant de Bilel. Je tremblais de haine.

- CASSE TOI BARRE TOI !
- Ça va, t'as rien dit. Dit-il avec un sourire victorieux.
A cet instant je voulais le planter, je voulais le voir se vider de son sang devant moi. J'avais une telle rage en moi.
- Je te jure que si tu me touches encore, je te poucave !
- Tu vas poucave quoi toi ? Tout le monde sait que t'es une putain, t'es passée dans des caves, ils vont faire quoi les hnouch quand ils vont te voir arriver en disant que tu fais violer y a un 1 an ? Hein ? Ils vont faire quoi Luisa ?

Son sourire narquois, sa tête d'ange, son regard de démon, sa main sur mon bras. Je voulais le tuer, je voulais le crever et encore plus en le voyant heureux de me faire du mal.
- Espèce de fils de pute, je vais te tuer, je te jure que je vais te tuer !
- Continue ça m'excite
Il pose ses deux mains sur mes hanches, le rapprochant de lui. J'avais la terrible et sanglante envie de le planter, de voir ses yeux me supplier d'arrêter. J'avais la terrifiante envie de voir son corps se vider intégralement de son sang sous mes yeux.
Bilel : ah.. Luisa...
Il a serré mes hanches contre lui. Et là, mon corps entier s'est figé, de peur, de haine, j'étais incapable de le repousser, de bouger les lèvres, incapable de lui crier à quel point je lui souhaitais la mort. La petite dure que j'étais s'est décomposée, paralysée par trop de souvenirs traumatisants.

- Tu sais que toi et moi on est fait l'un pour l'autre, quoi qu'il arrive quoi, tu le sais ça Luisa.
Il passe sa main sur mon visage, dégageant mes cheveux. Les yeux dans le vide, j'étais de glace, tétanisée.
- Et je te ferai pas de mal, je t'en ferai pas.. Jamais...
Il approche sa bouche de mon oreille et y glisse ses quelques mots : Tu m'as manqué...
J'ai réagis à ce moment, je me suis réveillée, prête à le tuer de mes propres mains. Puis j'ai réfléchis, quelques instants, le laissant me toucher une dernière fois. Je me le suis jurée intérieurement, la prochaine fois qu'il me touchera se sera pour me supplier de lui laisser la vie.
Comme lui-même me l'avait appris, j'ai gardé mon calme et tout aussi calmement je l'ai frappé à l'endroit où il était le plus sensible. Il s'est plié en deux devant moi, en hurlant. La satisfaction de le voir souffrir était trop forte. Trop d'idées sombres me traversaient l'esprit..
- Sale puteeeeeeee !

Il a agrippé mon bras et d'un coup sec je lui ai donné un coup de pieds si fort, que je l'ai vu dévalé les escaliers devant moi. Je l'ai regardé s'échouer au sol, sans savoir si il était mort, ou vivant, j'ai couru le plus vite possible. J'ai réuni toutes mes forces possibles pour ne pas me retourner, ne pas hurler de rage, de dégoût, de pas m'effondrer.
La peur m'empêchait de retrouver mes esprits, une telle peur qui m'avait paralysée, qui avait failli me tuer une seconde fois. J'arrivais même pas à m'inquiéter de l'avoir tué ou non, j'avais la sensation qu'il m'avait privé de toute humanité. J'étais vide, vide d'amour et de sentiments, pleine de rage.

Fallait que je parte, fallait que je me casse d'ici avant d'exploser, avant de finir par faire une connerie. J'étais devenue inhumaine, avec ma mère, avec Aya, je répondais plus à Ghita. J'avais la haine des hommes, pour un regard je pouvais planter un mec. J'avais entendu dire que Bilel me cherchait. J'avais peur pour moi, pour Aya, pour ma maman. Alors je l'ai fait prendre des jours de congés, j'ai appelé mon oncle en Italie qui m'a envoyé un peu d'argent pour nous dépanner et j'ai pris des billets d'avions pour nous trois...
C'était mon coin de paradis sur terre l'Italie. Cette petite maison de famille perdue dans le fin fond du monde, était mon petit coin de repos, là où l'oxygène était pure. Mes racines, ces putains de racines, j'y étais bien, j'étais à ma place ici, je me sentais revivre un petit peu. Ma famille arrivait à m'arracher un sourire de temps en temps, je me sentais mieux. J'avais oublié l'existence de Bilel de ses potes, de Julien, de Ghita, des soirées, de l'alcool, de la drogue, de la sappe, du bling bling, de la merde, de l'hypocrisie, du quartier...

Nonna : Tu mi dirai ora.. (Tu vas me dire maintenant).
Je suis assise sur la terrasse avec ma grand-mère, Aya dort dans mes bras. Il a fait très chaud aujourd'hui, tout le monde est épuisé.
- Di cosa ? (Dire quoi)
- La ragione.. Perché volevi entrare più velocemente in Italia ? (La raison, pourquoi tu voulais venir en Italie ?)
- Per vederti Nonna... (Pour vous voir)
Elle me sourit, avec ses petits yeux foncés malicieux..
- Mia figlia.. cosa sta succedendo? Non si sta bene ? (Qu'est ce qui se passe, tu ne vas pas bien). Da quando eri piccolo ti piace venire qui , ma non ho mai visto tanta fretta di lasciare in Francia (Depuis que tu es petite tu aimes venir ici, mais je ne t'ai jamais vu aussi pressée de quitter la France)..

Ma grand-mère a ce don de déceler en un regard le malheur chez les autres. Incapable de lui mentir, elle a réveillé en moi toute cette haine qui se transformait petit à petit en tristesse..
J'ai laissé échapper une larme.
- Un mal di cuore ? (un chagrin d'amour)
- Non Nonna...
- Cosa poi? (quoi alors)
- Nonna, Ho fatto un sacco di sciocchezze..Ho finito per farmi male a me stesso (j'ai fait beaucoup de bêtises, j'ai fini par me faire du mal à moi-même)
Sans comprendre, sans n'avoir rien dit, j'ai vu ma grand-mère fondre en larmes devant moi. Ce fut encore plus douloureux. J'ai su qu'elle avait compris.

La rose fane mais pas ses épinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant