Le retour en France a été glacial pour moi, pour Aya et ma mère un peu moins. Nonna me manquait déjà, ma famille là-bas me manquait, le calme, la tranquillité, la sérénité me manquaient plus que tout encore...
Je devais reprendre ma vie ou plutôt la reconstruire. Je devais retrouver une stabilité dans ce vieux quartier pourri.
Je n'avais pas de nouvelles de Ghita, elle était surement trop occupée avec son nouveau pigeon du moment... Ça me fatiguait tout ça. Je n'avais que 19 ans et j'étais las de la vie que je menais jusqu'ici. Quant à Bilel, j'ai eu la chance d'apprendre qu'il était tombé. Mais Bilel enfermé ne signifiait pas forcément tranquillité assurée, ces larbins étaient toujours dehors, à traîner en bas de mon immeuble.A cette période, mon envie de reprendre ma vie en main était forte. J'avais pris rendez-vous avec l'assistance sociale de mon quartier. Elle m'a parlée d'avenir, de ce que je comptais faire, ce que je souhaitais faire. Pour la première fois, on me posait réellement la question « qu'est ce que tu veux faire toi Luisa ? ». J'ai pas eu de réponse précise sur le coup, mais des tas d'idées, que j'ai déballé en vrac... L'écriture, la musique, l'art, les enfants, les handicapés... Tellement de choses que j'aurais pu faire, que j'aurais voulu faire si ma vie n'avait pas pris ce tournant.
L'Italie m'avait fait du bien, j'avais lâché mon maquillage, mes fringues, ma panoplie de pin-up, j'avais tout troqué contre des vieux jeans et des tee-shirt. J'étais à l'aise, je passais le plus clair de mon temps chez moi avec Aya ou ma mère, ou chez l'assistance sociale. Elle m'aidait énormément pour mes démarches. C'était une jeune, sympathique et jolie. Nous l'appellerons Julie. Et avec Julie j'ai noué des liens d'amitiés, à tel point que je lui ai parlé du viol, du harcèlement, de Bilel, des virées avec Ghita, je lui ai parlé de tout. Elle m'a écoutée attentivement et m'a simplement dit « on va te sortir de là Luisa ». C'est la première fois que je rencontrais un adulte responsable, qui me tendait la main, à moi la gamine pommée de 19 ans.Après 1 mois paisible, Ghita a refait surface, elle a claqué la porte de mon appartement délabré :
- Mais alors toi tu comptais pas me prévenir que t'étais rentrée d'Italie ? Je pensais que t'étais tombée amoureux d'un beau italien, ou que la mafia italienne t'avait enlevé !
J'étais assise sur mon lit, au milieu de bouquin sur l'orientation et les différents métiers qui me plaisaient. Elle avance et attrape un bouquin :
- Ghita : C'est quoi ces conneries ? Tu veux reprendre tes études ?
Je lui arrache des mains.
- Lâche ça Ghita !
- Ok l'accueil ! J'allais te proposer de sortir avec moi ce soir
- J'ai pas envie de ça, j'ai plus envie de ça...
- Qu'est ce qui t'arrive ? T'as vu ta gueule ? Tu te laisses aller là ! Bilel est au placard, de quoi ta peur ? Tu peux sortir librement et profiter de la vie, t'as que 19 ans et tu te comportes comme une grand-mère
- Dégage Ghita
- Mais t'es sérieuse cousine ? te plains pas d'être seule au monde après !
- Mais dégage Ghita putain bouge !
Elle disparaît en claquant la porte.Pardonne moi Ghita... Je veux m'en sortir, je veux pas finir comme toi, à chercher l'amour parental que j'ai pas eu dans les bras des hommes. Je veux pas être l'objet des convoitises parce que je couche facilement. Je veux plus me laisser entraîner par des hommes pour de l'argent. Non, je veux avoir la vie normale d'une gamine de 19 ans.
Malheureusement, mon destin était déjà tout tracé, et la volonté ne suffisait plus pour s'en sortir. Un mois plus tard, un énième entretien d'embauche plus tard, j'ai réalisé ça...
Un mardi, habillée d'une chemise classe, d'un pantalon droit, mes cheveux attachés de façon classe, je me contemple dans la classe. Je sens une main entourée ma taille :
Mamma : Mia figlia, che cosa sei bello ! (ma fille qu'est ce que tu es belle).. si guarda come tua nonna più giovane (tu ressembles à ta grand-mère plus jeune).
Je souris, fière, et heureuse. Pour la première fois depuis longtemps j'ai la sensation de rendre ma mère fière.
- Allez vas-y. ils seront fous de ne pas t'embaucher !Je m'asperge de parfum, pour pas choper l'odeur de pisse du RER, et je quitte le domicile familial.
- Mademoiselle Sahid
- Oui c'est moi
- Enchanté, entrez, asseyez vous, Monsieur Vanier va vous recevoir.Elle se rassoit derrière son bureau, je la regarde, anxieuse, taper sur son clavier. Un homme en costard entre dans la pièce. Il me fait simplement un signe de tête de le suivre. Il n'a pas l'air commode. Il ferme la porte de son bureau. Je suis prise d'une mini-angoisse, les séquelles qu'ont laissé le viol.
- Bonjour, asseyez vous, Mademoiselle ?
- Sahid Luisa
- Hum... Vous avez apporté votre CV ?
Je lui glisse tremblante, il le zyeut rapidement, lâche un « hum ».
- Vous n'avez pas le bac ?
- Non, j'ai eu un tas de soucis personnels, ce qui ne m'a pas permis de continuer mes études. Je..
- Ecoutez je vais être honnête avec vous, ça va nous éviter de perdre du temps, tous les deux. Je vous ai reçu pour faire plaisir aux institutions, mais je ne suis pas assistance sociale hein. Je ne suis pas là pour ramasser les gamines des quartiers sans diplôme. Repassez des diplômes, et revenez dans quelques années, qualifiée.Je suis restée idiote face à ses paroles, il me tend mon CV, je le prends et il rajoute :
- Et mademoiselle un conseil de vous à moi. Soyez un peu plus avenante, vous n'obtiendrez rien habillée comme une grand-mère, mettez vos atouts en évidences.
J'avais ravalé pendant plusieurs semaines ma mentalité de meuf de cité. Il avait réveillé le voyou qui sommeillait en moi.
- Pardon ?
- Vous m'avez bien compris, je vous laisse pr..
- Attends j'ai pas bien compris là ?! Faut que je m'habille comme une te-pu pour trouver du taf c'est ça que tu me dis là ?
- C'était un simple conseil, je dis ça pour vous.Je fulmine :
- Ecoute bien le jour où moi je vais me déshabiller pour des fils de pute comme toi il est pas arrivé, tu m'as bien entendu là ? TU M'AS ENTENDU OU PAS ?
Alertée par mes cris, son assistance entre dans le bureau, elle parait flipper. Je me lève et balance la moitié du bureau du mec par terre, j'ai la haine, la haine comme j'ai pas eu depuis longtemps. Tous des fils de !
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La rose fane mais pas ses épines
RomanceLuisa est une jeune fille de cité désorientée. Consumée par la vie, par la gente masculine, par le manque d'argent et par la précarité. Elle tente de s'en sortir et de combattre ses vieux démons. Mais est-il possible de combattre les démons qui nous...