Je ne voulais pas. Mais je fus contraint de l'enterrer. C'était plus honorable et plus raisonnable pour elle. L'enterrer ou finir à l'échafaud, j'eus très vite choisi. Cette nuit d'automne était froide et silencieuse. Je lui rendis un dernier hommage. Je n'étais pas antipathique au point de l'enterrer insensiblement.
Une brise fraîche et légère effleurait mon visage et un doux parfum enivrait mon odorat. Il devait être passé minuit, j'étais sur mon balcon, aspirant quelques bouffées de cigarette. Je l'écrasai et partis rejoindre Rosalia. J'étais obnubilé par la forme de son visage,la saveur de ses lèvres et la chaleur que son corps renfermait. Elle n'était pas difficile. Je lui faisais plaisir quand j'avais le temps, madame avait du goût pour la mode. Je passais des journées entières avec elle, à flâner. Nous pouvions nous le permettre, nous travaillions tous les deux la nuit. Moi à ma banque et elle dans la rue. Rosalia était une péripatéticienne, son enfance gâchée et sa pauvreté lui ont anéanti ses grandes ambitions. Je la logeais chez moi au début, car je ressentais une lourde peine pour elle. Je commençais à l'apprécier autrement que pour ses services, et un beau matin je lui annonçai qu'elle avait désormais son adresse à mon domicile. C'étaient des moments si roses et insouciants. On avait eu plein de projets subitement. Elle était ma confidente. Je lui contais mes moindres craintes, et elle me rassurait. Ma confiance en elle alla jusqu'à lui révéler mon plus grand secret. J'éprouvais énormément de compassion pour son âme désincarnée, elle qui est si touchante et angélique, comment pouvait-elle vouloir perdurer dans son métier, où elle est traitée comme un vulgaire bout de viande? Ce n'était pas les moyens qui manquaient. Étant patron de ma propre banque j'avais un revenu largement suffisant pour la défrayer. Je l'aurais employée tout en continuant de l'héberger. Pour des raisons de fierté probablement elle refusait tout aide de ma part. Sa naïveté lui laissait croire que sa détermination la débloquerait de cette situation. Chaque nuit je la voyais partir et revenir à l'heure où les réveils interrompaient les rêves des lève-tôt. Pendant ce temps je besognais dans mon bureau. J'étais plus productif la nuit. Le jour, le bruit de la cohue et la lumière sauvage m'horripilait. J'appréciais que nos horaires s'harmonisent à merveille.
Une sombre matinée d'un triste jour, l'harmonie disparut. Avec l'amour et les émotions qu'elle diffusait. Une sorte de routine s'était installé. J'insinue par là dispute, alcoolisme et adultère. J'avais une jeune stagiaire et quatre Aberfeldy 21 dans le bidon. Comment aurais-je pu résister à cette tentatrice? Sa robe moulante et son décolleté, en les revoyant, augmentait ma production salivaire. De toute façon, je ne la trompais pas vraiment. Cette garce m'infligeait chaque soir la douleur de son infidélité. Moi aussi j'avais le droit de m'amuser. Ça ne lui avait définitivement pas plus, au point de me menacer de révéler mon grand secret publiquement, ce qui me pousserait du haut de l'échelle que j'ai construit et grimpé avec courage pour arriver à cette place confortable de riche banquier. Je tentais de calmer les choses mais ça la contrariait d'avantage. Je devais faire un choix sur le moment, un horrible choix dont chaque possibilité mène à la souffrance. Soit je la laisse faire et je risque ma place et donc mon aisance financière, soit je la tue et j'obtiens l'assurance de conserver ma richesse. Je ressentis trop de pression. Saurais-je l'abattre de sang froid? Saurais-je vivre dans la misère? La réponse à la deuxième question était négative. La réponse de la première importait peu. Je devais le faire. Je fis mine de chercher mon portable à la cave, simple prétexte justifiant mon acte. Je dévalai les marches deux par deux et j'entreprenai la recherche de l'arme la plus propre pour commettre mon meurtre, assouvi par mon obsession de conserver mon trône de capitaliste. Mais ma plus grande motivation était mon plus grand pêcher, l'avarice. Il n'y avait pour moi rien de plus important que le nombre de chiffre sur mon compte bancaire. Tantôt il s'accroissait proportionnellement avec mon euphorie. Tantôt il périclitait et mon bonheur subissait le même sort. Je finis par trouver une clé anglaise, elle devrait porter rapidement le coup fatal. Je remontai les escaliers avec une sérénité déconcertante. En arrivant dans le salon où elle noyait son chagrin dans un verre et étouffait sa tristesse avec une cigarette, je me pris d'angoisse et mes membres commencèrent à ne plus m'obéir, ils préféraient trembler pour oublier ce qu'ils allaient entreprendre. Je m'avançais vers elle d'un pas sournois. Je levai ma main gauche pour porter mon coup et je saisis sa bouche avec ma main droite pour éviter de lui laisser comme dernière parole des cris de panique. Je portai un premier coup sur le front pour l'assomer. S'en suivirent dix-sept coups tous à la périphérie de son ventre. Je croyais que le plus dur était fait mais il restait encore à savoir comment me débarrasser de son corps inerte. L'idée de devoir le porter et l'enterrer me donnait des nausées. Rosalia, si profondément inscrite dans mon coeur auparavant était déjà de la chair en putréfaction. Je perdis une femme qui m'aimait et mon empathie. Comme toujours c'est le vice qui écrase la vertu. Malencontreusement, le sol était recouvert de son sang de catin. Mes nausées ont battus ma détermination à conserver mon souper. J'attendais que minuit sonne pour partir dans une forêt où je pourrai me débarrasser de ce corps impur. J'eus le temps de penser à nos souvenirs mais le chiffre sans cesse croissant de mon compte m'emplissait d'une excitation formidable. Minuit sonna. Je pris un sac à sapin,une pelle et des bottes. Pied au plancher, Je partis enterrer Rosalia. Cette nuit d'automne était froide et silencieuse. Je lui rendis un dernier hommage. Je n'étais pas antipathique au point de l'enterrer insensiblement.
Je ne sais plus combien de fois j'ai souffert d'insomnie avant de trouver un remède pour alléger ma conscience. Cela faisait plus de 2 semaines que j'avais porté mon jugement sur son droit de vie. Pendant ces 2 semaines la côte de ma banque et donc le nombre de chiffre sur mon compte avait remarquablement dégringolé. La productivité n'y était plus. Le jour je dormais et la nuit je coulais mon navire boursier dans le Whisky, malgré les matelots qui devait suivre les tempêtes que leur capitaine ne parvenait pas à affronter. J'ai viré la stagiaire. Elle a porté plainte. L'affaire n'a pas eu lieu. Pas assez de charge retenue à mon égard paraît-il. Cette catin méritait le sort de Rosalia. Aurais-je mal jugé la personne méritant le châtiment de mes malheurs? Oui, sans doute. La mort de Rosalia m'affligeait et je continuais de sombrer, comme le vieux loup de mer têtu désirant couler avec son épave qui était sûrement la seule femme qu'il avait jamais aimé.
Aurais-je vraiment au nom de l'argent, de la luxure et de la conservation de mon secret tué cette femme? J'arrivais toujours pas a m'en rendre compte. Je fouillais ses affaires espérant retrouver un fragment de sa douceur. Je sorti sa nuisette préférée. Une enveloppe tomba. Elle était tachée toute comme la lettre qu'elle contenait. Je l'ouvris:
"Bonsoir mon amour,
Malgré les temps difficiles que nous traversons je suis toujours aussi raide dingue de tes charmes. Je t'en veux, tu m'en veux mais tu as raison. Ton acte n'était pas justifiable, mais il est une réponse aux infidélités que mon travail m'impose. J'en suis consciente. Néanmoins ce n'était pas une raison valable pour que tu commettes ce pêché car j'ai un aveux à te faire. Je suis enceinte. Ce n'est pas un enfant non-désiré d'un client. C'est le tien. J'osesespérer que cet événement va remettre du goudron sur les nids-de-poules de notre chemin. Je vais arrêter le métier, accepter ton aide temporairement, le temps que je trouve un travail qui me rendra ma fierté. Je n'osais pas te le dire en face, alors je l'ai laissé dans cette nuisette. Je sais que t'aimes bien la porter. Fais-moi savoir que tu as lu cette lettre le plus vite possible.
Bisous, Rosalia."
Je m'en suis mordu les doigts, jusqu'à la chair, jusqu'à l'os. Je n'avais pas commis un meurtre mais un double meurtre ! Je n'avais pas seulement tué ma femme, j'avais aussi tué mon bébé, mon enfant, mon propre sang. Et de mes propres mains. Le sang qui collait au sol, était peut être le mien. Ma conscience s'évaporait dans de sombres nuages. Il pleuvait dans ma tête et l'eau abondait. Elle s'écoulait vers mes yeux et finissait par ruisseler le long de mes joues qui rougissaient de honte, de colère et de tristesse. Elle terminait son chemin sur un papier, celui sur lequel j'écrivais ma peine, celle que je ressentais et celle que mon acte allait me faire encourir. J'écrivais pour elle, j'écrivais pour lui. J'écrivais pour celui qui allait me retrouver, s'il jugeait que je puisse être pardonner:"Cher inconnu,Ton goût pour la tragédie t'a amené jusqu'à moi. J'en ai vécu une, moi, de tragédie. J'étais riche. J'avais une femme qui m'aimait éperdument. J'avais un bébé qui allait me métamorphoser en père. Mais je les ai tué. Pourquoi ? À cause d'un terrible secret qui n'a pourtant pas le mérite d'être une raison valable pour commettre un double meurtre. Je suis un travesti. Voilà ainsi tu sais, et t'as pas à me chercher juste pour me demander ce que c'est car de toute façon je serais déjà mort quand tu liras cette page ! Pardon de m'être emporté, je suis un peu nerveux. Il faut me comprendre, bien que je sois un meurtrier je reste un humain pourvu de sentiment après tout. Donc je disais je suis un travesti mais aussi le patron de la banque Hermès, la plus riche du pays. Vois-tu, si ce secret s'apprenait j'aurais coulé dans la misère. Seulement sa non-révélation m'a couché dans un cercueil. Je ne te demande pas de me pardonner et de me retrouver, je ne mérite pas un enterrement. Je te demande juste de me dénoncer, de révéler á mes amis, mes employés, mes clients, mes adorateurs, mes détracteurs, mes ennemis, mes proches qui j'étais réellement. Je considère ceci comme un devoir que tu devras remplir, comme une sanction que je dois m'infliger. Je souhaite que mon histoire soit un remède contre des cas similaires que le mien. Protège les femmes et les enfants, des hommes odieux comme moi !Que ton âme soit purifiée de tes pêchés quand tu auras allégé ma conscience. Je te remercie d'avance pour ton sens aigu de la justice et ton courage, nécessaire à l'entreprise d'une tellelourde tâche. Adieu."
Je pliai le papier en deux, puis en quatre. Il sera visible mais restera discret. Je ne veux pas qu'il aille entre les mains de n'importe qui. C'est pour ça que je le mettrai dans "Apothycon", la tragédie que Rosalia et moi préférions. Je pris route vers la bibliothèque communale. Il était tard. Elle était fermée. J'y entrai par effraction. Après tout, quand on est un tueur, on est aussi un vandale.Je trouvai sans trop chinner le livre. Le papier dépassait légèrement. Pourvu qu'il soit lu et comprit. Les hommes, ils savent lire mais comprendre, c'est autre chose. J'aurais peut être dû écrire l'inverse pour être bien interprété.
Je suis ressorti aussi facilement que j'avais pénètre la bibliothèque. Je repris route sans trop m'attarder à réfléchir sur le papier. Il pleuvait toujours dans ma tête mais il semblait qu'unéclairci était apparu. Peut être ma conscience s'allégeait. Peut être je devenais fou. Je me conduisis au Lac des Regrets. Encore une histoire tragique à raconter. Une prochaine fois, peut être. Ou pas. J'avais pris avec moi un vieux CD appartenant à Rosalia. La musique qui y était gravée était en adéquation avec la situation. Ce ne sont plus des larmes qui coulait. Mais un mélange de sanglots et de Whisky. Je m'étais enfilé une bouteille. Dix-sept ! C'est le nombre de minutes qu'il m'a fallu pour la descendre, le nombre de coups que j'ai donné a mon enfant.
Je suis arrivé, enfin. J'étais toujours dans ma voiture, au bord d'une falaise abrupte. La pluie coulait toujours. Mais cette fois ci c'était mon pare-brise qui subissait la douleur des larmes célestes. Faut croire que l'alcool, ça vous met un soleil dans le crâne et une prescription médicale pour le foie, rien de plus !Un phare au loin éclairait mon bolide toute les dix-sept secondes. Entre la lumière du phare et le soleil dans ma tête, j'étais aveuglé. Je m'allumai une dernière cigarette tout en léchant le goulot de la bouteille. Toujours la même musique diffusait la mélancolie dans cette voiture qui allait me servir de cercueil. J'écrasai ma cigarette et je lançai ma bouteille par le carreau. Cette fois c'est pour de bon ! J'arrête la clope et l'alcool ! Je fus un triste et pessimiste travesti alcoolique et avare. Comme le sont et le resteront tout homme ayant goûté à l'excès de pouvoir et à la carence d'affection. Je démarrai, pour la dernière fois, mon véhicule. Je reculais pour la dernière fois, maintenant j'irais toujours de l'avant ! Pour la dernière fois, pied au plancher, je me rapprochais de l'imminent destin funeste qui m'accablait. J'étais débarrassé de ma conscience, de mes pensées, lavé de mes pêchés, de mes actes, mort, enfin mort, et qu'on me laisse tranquille.