Première et dernière fois

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Cher Temps,

Aujourd'hui, tout va bien. Enfin, je crois. Tu passes, puis tu repars. Sans me laisser le temps de t'admirer ou de profiter de toi, tu égrènes tes secondes, tes minutes et tes heures. Aujourd'hui, j'ai profité de ce que tu m'as donné. Mais sans vraiment y accorder de l'importance. Aurais-je dû accomplir plus d'actions ? Sourire un peu plus fort ? Adresser un peu plus la parole ? Marcher un peu plus longtemps ? Rire un peu plus sincèrement ?  Aimer un peu plus follement ? Je ne sais pas, tu ne sais pas, nous ne savons pas. Parce que ce que j'ai décidé de faire, est fait, et que c'est trop tard pour changer ça. Devrais-je alors m'apitoyer sur mon sort et pleurer ces précieux instants envolés ?

Non, ça ne me servirait à rien. Par contre, je peux te dire autre chose Temps : tu es impitoyable. Tu ne te soucies ni de nos émotions, ni de nos blessures intérieures. Tu continues ton chemin, en nous laissant nous débrouiller seuls. Mais arriverons-nous un jour à ne plus te haïr et à t'apprécier à ta juste valeur ? Celle que nous découvrons la première fois, lorsque nous grandissons ?

Arriverons-nous à retrouver cette insouciance que nous éprouvions lors de nos premières découvertes, nos premiers pas, nos premiers fous rires ? Ou continuerons-nous à te craindre et à empêcher certaines personnes de nous atteindre de peur de les perdre au fil de ton pouvoir ? J'aimerais pouvoir répondre à toutes mes questions moi-même, mais je pense sincèrement que Tu es le seul détenteur de nos doutes.

Lorsque j'étais enfant, je voulais à tout prix que tu défiles le plus vite possible. Je voulais connaître toutes ces sensations que mes proches plus âgés rencontraient sur leurs chemins. Que ce soit l'amour, la compassion, la fierté, la bienveillance, la prudence, je voulais, du haut de mes trois ans, parvenir à les ressentir, et à devenir une adulte également. Ma maman et ma grand-mère me répétaient souvent de ne pas grandir trop vite, de rester petite et mignonne, mais qui aurait cru qu'un jour, je deviendrais nostalgique de cette époque-là ? Je ne me rendais pas compte, il y a si longtemps, du sens caché de leurs paroles. Du fait qu'il fallait que je profite toujours au maximum de ce que je vivais et ressentais. Que même si j'avais hâte de découvrir encore de nouvelles choses, je me devais de te respecter, et de comprendre ce que tu allais me réserver.

J'étais assoiffée de connaissances, je le suis toujours d'ailleurs, mais plus raisonnablement. Je tenais à connaître toutes ces blagues et ces expériences auxquelles les adultes me répondaient : « Tu es trop petite pour comprendre, tu verras, plus tard. » Oh oui ! Qu'est ce que je désirais pouvoir rigoler avec eux, et renchérir ensuite ! Mais une enfance n'est-elle pas censée se dérouler de cette manière ? Rapide, incompréhensible, et exaltée ? 

Pourtant, nostalgique comme je suis, je désire plus. Je désire pouvoir te retenir quelques instants, et profiter à nouveau, de tous ces moments que j'ai pu vivre. Revivre ces moments si précieux à mes yeux, mais qui deviennent brouillons et qui s'échappent de plus en plus de mes souvenirs, au fil de ton passage. Ces visages, ces voix, ces sensations qui s'effilochent sans que je ne puisse les en empêcher. Pourquoi nous infliges-tu toute cette douleur ? Pourquoi ne considères-tu pas nos envies plus sérieusement ?

A cause de toi, nous perdons de précieux moments, nous perdons des personnes chers à nos cœurs, nous perdons des occasions de réaliser nos rêves. S'il n'y avait que toi encore, nous serions en mesure de faire face et de brouiller ta piste, malheureusement tes compagnons tout aussi féroces te sont loyaux et ne te quittent jamais d'un pouce. Tu veux savoir de qui je veux parler ? Oh, ce n'est pas compliqué. Crois-moi, nous ne connaissons que trop bien tes amis. Vieillesse, Douleur, Oubli, Maladie, Nostalgie nous tiennent et nous maintiennent dans le plus profond des gouffres. Que faire pour vous échapper ?

Je le jure Temps, je parviendrai à te rattraper. Je parviendrais à t'oublier, et à profiter de chaque instant que tu m'offres. J'espère surtout avoir la force pour oublier les pertes que tu m'as infligé. Mais surtout, surtout, j'ai confiance en notre capacité à tous, de te faire comprendre que tu es à la fois notre ennemi juré, mais notre plus précieux cadeau. Sans toi cher Temps, que serions-nous réellement ?

Dear TimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant