22 octobre 1937,
Clayton,
Les journaux intimes ne sont pas faits pour moi.
J'ai tenté d'en tenir un durant la dizaine de jours qui vient de s'écouler mais cela ne mène à rien.
Je trouve cette tâche fastidieuse et stupide.
Alors je t'écris encore, par habitude.
J'ai envoyé la dernière lettre, mais je me dis qu'avec les caprices de la poste tu ne l'as peut-être pas reçue. Cela m'a pris comme ça, je l'avais écrite dans un café et l'avait timbrée, par habitude, encore, toujours, et je ne sais pas pourquoi, une impulsion sans doute, m'a fait la glisser dans la première boîte que j'ai trouvée sur le chemin du retour.
Il faisait nuit, il n'y avait personne dans les alentours et, malgré tous mes efforts, je n'ai pas réussi à la récupérer. Le lendemain j'ai couru très vite après le travail pour y retourner et arriver en même temps que la levée du courrier, mais j'ai été trop lent.
Alors la lettre est partie.
Qu'importe, celle-là je la garderai chez moi, loin des bureaux de poste.
Hier j'ai reçu des nouvelles de Louise et mes lettres font pâle figure à côté des siennes.
Elle ne peut, hélas, pas en envoyer souvent, le premier village où cela est possible est situé à plusieurs jours de marche, alors elle a réuni dans une grande enveloppe des dizaines de pages manuscrites et ornées de dessins. Elle s'améliore beaucoup en anglais et même si sa maîtrise des verbes et des temps est souvent fantaisiste elle possède désormais un vocabulaire plus que varié.
Tu aimerais ses dessins, quoi que ce ne soit plus important pour moi désormais. Elle abandonne peu à peu son style très académique et maîtrisé pour quelque chose de plus flou. Certains pourraient y voir un manque de talent, mais ce seraient là des jugements d'idiots et d'aveugles. Louise semble avoir suffisamment bien compris les règles de base pour s'amuser à les distordre et les transgresser comme bon lui semble. Le portrait qu'elle fait d'une vieille femme est assez fort en cela. Il arrive dans un même temps à regorger de détails tout en n'étant fait que de quelques traits précis et acérés. Je pense que c'est dû à la couleur. Elle a déposé quelques touches de peinture ça et là, c'est sans doute cela qui donne cette aspect si terminé et à peine ébauché en même temps.
En tout cas elle est heureuse.
Cela m'a fait du bien, de la voir déborder ainsi de bonheur, car je dois bien avouer que l'immeuble semble empêtré en ce moment dans un marasme de tristesse et de malheur.
Ma logeuse est malade, ses bronches la font souffrir depuis mon retour et selon elle cela dure depuis l'été. On l'entend tousser en permanence et ses rondeurs ont cédé la place à des angles qui n'appellent plus les étreintes. La maladie n'épargne pas non plus mes voisins du dessous, leur petite fille est, semble-t-il, d'une constitution fragile et il ne se passe pas un jour sans qu'elle souffre d'un mal. Mais les autres enfants, eux, vont bien et Claus a retrouvé définitivement le sourire.
Enfin, il semblait l'avoir retrouvé car aujourd'hui il est de nouveau éteint.
Hier, j'ai trouvé son père assis sur un banc, dans un parc public, après le travail. Il tenait sa casquette à deux mains et était en pleurs. Quelqu'un volait de l'argent aux employés de son usine, le malfrat se glissait dans les vestiaires et s'emparait des pièces, des billets, mais aussi des bijoux, lorsqu'il y en avait, des cigarettes et de la nourriture. On l'a convoqué car il y avait soi-disant des preuves accablantes contre lui, en vérité on ne l'a jugé que sur les terribles a priori qu'ont les gens à propos de sa religion. Il a été mis dehors, comme cela, sans même qu'on lui laisse le temps de se défendre.
Je lui ai laissé mon travail au marché.
J'avais réussi à obtenir de nouveau un poste mais ai insisté auprès de lui pour qu'il prenne ma place. Mon patron est un homme arrangeant et a bien reconnu que ce soit lui ou moi qui travaille, cela ne changerait pas grand-chose. Sa femme cherche elle aussi dans les petites annonces, car le marché ne pourra jamais couvrir les dépenses de toute une famille, mais personne ne veut d'une personne avec un bébé en bas âge, et ma logeuse est trop mal en point pour prendre soin de la petite.
Il faudra, moi aussi, que je trouve un nouvel emploi sous peine de devoir choisir entre mon loyer et de la nourriture. En attendant je sauve le moindre sou comme le faisait ma vieille tante, à la différence près qu'elle n'agissait ainsi que par avarice.
Oui, cela est bien mieux qu'un journal.
Tu vois, je ne me suis même pas senti écrire alors que ce foutu journal semblait m'arracher chaque mot comme s'ils étaient des gouttes de mon sang. Cette lettre va rejoindre le tiroir de mon bureau, d'autres suivront sans doute. Tu n'es plus digne du nom d'amant, mais celui de journal intime te sied à ravir.
A bientôt.
Sean O.
Hello!
Une lettre très courte où les choses n'avancent pas vraiment, mais bon, tout ne peut pas se régler en un ou deux courriers.
Sinon je fois vous annoncer que la suite arrivera la semaine prochaine, le premier juillet, mais que les lettres suivantes, elles n'arriveront pas de suite.
En effet j'ai décidé de faire une pause estivale qui durera jusqu'au premier septembre. Et si vous vous demandez pourquoi je poste une dernière lettre la semaine prochaine c'est parce que je suis quelqu'un de très carré, ou timbré, dans ma petite tête et que comme ça, ça fait pile deux mois de pauses.
Mais bref.
Pourquoi une pause?
Parce que boulot.
Depuis le quinze mai je bosse en accueil périscolaire ce qui fait que je n'ai pas le temps d'écrire en journée, que le soir je suis trop claqué pour le faire et que le week-end ou le mercredi je passe mon temps affalé comme une loutre sur mon lit, terrassé par la fatigue et la chaleur.
Du coup je n'ai touché à aucun de mes textes depuis deux semaines, alors que d'ordinaire j'écris en moyenne deux chapitres par semaines et que j'avance en parallèle sur mes brouillons.
Ajoutez à cela que je bosse en aout et vous comprendrez pourquoi la pause est nécésaire.
Du coup je vais passer mon mois de juillet, enfin, à partir du sept quoi, à écrire, et en septembre j'aurais pleins de nouvelles lettres à vous proposez!
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Hymne à nos masques
Historical FictionAoût 1936, trois ans avant le début de la guerre, Sean arrive à Paris. Il vient d'un petit village anglais et rêve depuis longtemps de la capitale française. Dans son petit une pièce il écrit à son amant. Ses cours de littérature, ses voisins...