Chapitre 4

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Marie ouvrit doucement la porte de la maison endormie. Elle glissa son nez dehors et huma avec délice le parfum frais et vivace de la rosée. Comme à son habitude, elle se glissa hors du foyer et entreprit sa promenade matinale quotidienne. Elle marchait, un sourire aux lèvre, la tête haute, faisant claquer ses sabots contre le pavé, détaillant le paysage qui l'entourait. Les petites maisons en pierre, semblable à la sienne se succédaient, parfois séparées par une étable ou une grange. La jeune fille salua d'un sourire la bonne Mme Bonemine qui sortait de bons petits pains tout chauds et tout dorés du four. Elle avait à présent dépassé la laverie et s'approchait du grand tilleul de M. Vertevigne. D'ici, elle bifurqua à droite, en direction des champs se profilant sous la montagne de Reims. Elle commença alors à courir, ses longues jambes battant les blés et les herbes folles, ses mains arrachant au passage quelques tiges frivoles. Elle sentait ses poumons s'enflammer et ses jambes la tirailler en montant une petite colline mais elle ne ralentit pas. Comme elle aimait, chaque matin, vagabonder dans la campagne, sentir le vent fouettait son visage, inspirant à fond ce sentiment de liberté. Alors, tous ses soucis, ses chagrins et ses peurs s'envolaient loin, très loin d'elle.

Arrivée en haut de la colline, elle s'arrêta, le souffle court, le cœur battant et les joues rougies. Elle laissa avec bonheur le doux zéphir matinal s'emmêler dans sa grande robe brune de bergère et ses longs cheveux dorés. Elle écarta les bras, voulant enlacer le paysage qui s'étendait loin devant elle. Au loin, elle entendit une alouette chanter, fendant avec légèreté et vivacité le blanc pur des nuages cotonneux.

Elle embrassa d'un regard le paysage qui se déployait sous ses yeux. Des champs dorés gorgés de soleil, des grandes étendues d'herbes et de foin aux senteurs odorantes, de longues trainées de vigne éclatantes d'un vert aussi tendre que les bourgeons d'avril se profilaient; et là bas, à l'ouest, le parterre de coquelicot et partout, des beaux bois verts fourmillant de gibier.

A gauche, le vieux moulin de M. Levent se découpait de l'émeraude du feuillage de la montagne. Ses longues ailes blanches battaient l'air avec entrain comme l'hirondelle voltige dans le ciel avec allégresse. Marie savait que si son regard avait porté plus loin, beaucoup plus loin, elle aurait aperçu la grande ville de Reims, et peut être même la cathédrale maintenant en ruine. Derrière elle, se prolongeait la montagne de Reims qui la surplombait, culminant de sa douce et ronde hauteur, les champs, les collines et les bois. Au pied de cette douce géante s'écoulait le long bras tranquille de la Marne, qui courait allégrement le long des petits villages aux clochers aigus. A sa droite se tenait la forêt des Faux de Verzy, si particulière avec ses arbres biscornus que l'on ne trouvaient nul part ailleurs.

Et devant elle, s'étendait le ciel, d'un bleu pur et éclatant, qui s'étendait par delà les champs, les monts et les bois. Le ciel immense et infini, le ciel à perte de vue. Mais là encore, Marie savait que si son regard avait porté plus loin, beaucoup plus loin, elle aurait vu la boue, la terre et le sang. Elle aurait vu les tranchées, les canons et les mitraillettes. Elle aurait vu la souffrance, les blessées et les morts.

Soudain, les rayons ardents du soleil levant enflammèrent les blés, les arbres et la vigne dans un embrasement rougeoyant. Les oiseaux s'envolèrent dans une gerbe de flèches noires, les fleurs ouvrirent leurs coroles recherchant avec délice la chaleur matinale, les champs de blé ondulèrent comme l'écume de l'océan sous la brise légère.

La jeune fille laissa s'échapper un long rire cristallin, ravit de ce bonheur et de cette liberté éphémère ; fêtant le réveil de la nature sublime. Elle attendit longtemps debout, contemplant avec ravissement le spectacle miraculeux qui se déroulait chaque matins sous ses yeux brillants d'étoiles.

Puis lorsque le soleil fut suffisamment haut dans les cieux céruléens, elle émit un long et étrange sifflement. Tfiiiiii !! tilitili ! Elle attendit un moment avant de recommencer. Tfiiiiii !! tilitili ! Tout à coup à coup, déboulant à toute allure, une masse sombre se rua vers elle. C'était un splendide chien de berger, le poil doux et lustré, l'œil vif et clair, la langue haletante qui vient bondir et gambader avec joie autour de sa maîtresse. Celle-ci caressa avec bonheur les longs poils aussi soyeux que le satin. Si la plus grande partie du corps était d'un noir d'ébène, le poitrail ainsi que l'extrémité des pattes était serti d'un beau blanc éclatant, tandis que la tête fine et fière était recouverte d'un pelage de feu.

Le chant de l'alouetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant