Prologue

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L'ombre se faufilait à travers les murs avec l'aisance d'une virtuose dont les doigts parcouraient son instrument. Les ténèbres étaient son élément et elle les maniait avec une innocence enfantine. Les ténèbres étaient siennes, elle les adorait.

A gauche, souffla une voix à son oreille.

Avec un discret soupir d'agacement, comme résignée, l'ombre s'exécuta. Au croisement qu'elle atteignit, elle tourna à gauche, s'enfonçant plus profondément dans les entrailles de la tour qu'elle pensait si bien connaître. Ces nouveaux couloirs qu'elle parcourait aujourd'hui la réconfortaient, la poussant à croire que ce qu'elle faisait était juste, qu'elle n'était pas en train de trahir tout ce en quoi elle croyait.

Descend, ordonna à nouveau la voix.

Commanditaire de ses actions, maîtresse de ses pas, guide de ses pensées, cette voix la tenait en joug depuis des jours, ruinant sa vie.

Elle parvint jusqu'à des escaliers à l'apparence sombre, dur, en pierre mal taillés. Ils étaient bien loin du confort de la zone qu'elle avait quitté quelques heures plus tôt lorsque la voix l'avait appelée pour commettre son méfait, trahissant l'essence même de son être.

Et à présent elle déambulait, dévorant les mètres, fouinant les viscères de ce bâtiment qui était sa maison comme la lame d'un couteau vilement plantée dans un corps. Elle allait dérober quelque chose aux Instances, un secret qui, selon la voix, remettrait en cause toutes ses certitudes, tout ce qu'elle savait du monde. Et de ce monde, elle en connaissait pourtant beaucoup déjà.

Elle dévala les escaliers, le cœur au bord des lèvres, les mains tremblantes d'appréhension et d'excitation parce qu'elle savait ce qui venait, ce qui arriverait bientôt. Les Sauts, le Voyage, la mort et la résurrection.

Bientôt, jubila la voix de façon incontrôlée, bientôt !

Au bout d'un temps qui lui parut durer une éternité, elle arriva en bas de l'escalier. Celui-ci donnait sur une large porte en fer forgé, large, épaisse, enduite de magie, impossible à contourner. River sentit la voix sourire, fière de l'avoir dans ses rangs pour contourner cet obstacle. Et d'une façon malsaine, elle aussi ressentait cette fierté en écho à la sienne. Elle était la meilleure, et ce dispositif, qu'ils avaient conçu comme ultime rempart, elle allait le contourner en baillant.

C'est à ton tour, Duncan.

Ses lèvres articulèrent des mots silencieux. La sensation familière du Saut bien moins puissante que celle du Voyage la saisit, retournant ses tripes, arrachant sa peau, la brûlant comme de l'acide, lui tirant des frémissements incontrôlables et un cri d'extase manqua de franchir ses lèvres. Une seconde plus tard elle avait franchi la porte et était de l'autre côté, dans une masse de noirceur compacte, tangible, comme de la boue dans laquelle elle s'enfonçait. Elle devinait sans mal que c'était un espace créé par les Artisans, les Instances capables de manipuler la matière. Ils avaient sans doute reçu l'aide des siens, les Poussières, capable de voyager entre les mondes. L'omniprésence de l'obscurité laissait penser à River que c'était les siens, friands des recoins sombres, qui avaient choisi la décoration.

Répète après moi, Duncan : vent, vent, ô souffle sur ces terres. Nuages, nuages, ô ombre sur ce ciel. Fuyez, fuyez, que le soleil revienne. Une fois que tu auras prononcé cette phrase, tu seras visible, Duncan. Ils pourront te repérer.

Ne prenant pas le risque de lui répondre directement, elle ne fit que répéter ce qu'il dit, les muscles bandés prête à se mettre à courir. Un vent d'une puissance inouïe balaya l'obscurité et elle se retrouva dans un nouveau corridor, dans le même style que les escaliers. Quelque chose de roman et de lourd jurant de façon presque provocante avec le XXIème siècle. Les murs étaient en pierre, le plancher en bois grinçant sombre comme le reste, la seule lumière provenait de chandelles accrochées aux murs, rajoutant au décor cette nuance lugubre, renforçant cette impression d'exiguïté et d'oppression. La jeune fille cligna des yeux. Cette incantation relevait des Artisans, elle n'aurait pas dû fonctionner avec elle. Elle avisa le collier à son cou que la voix lui avait ordonné de porter. C'était grâce à cet instrument, elle en était convaincue.

La Boîte d'AnésidoraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant