Vint le jour fatidique où observer des pétasses siliconées allumer des bellâtres bodybuildés dont le Q.I. flirtait avec le zéro absolu n'enthousiasma plus les foules. On ne se passionnait plus à essayer de deviner avec qui machine allait tromper machin. On s'ennuyait à visionner des mochetés tout faire pour que les jeunes enfants ne soient plus effrayés en les voyant. Les concours de beauté, les concours de voix, les concours de stupidité, c'était du vu et revu. La foule était lasse.
Dans le même temps, on s'aperçut que les audiences pour les journaux télévisées, les documentaires traitant des crimes les plus trash et les films violent crevaient le plafond. C'est dans la nature humaine de s'arrêter au bord de la route pour admirer les dégâts d'un accident mortel en faisant semblant de s'apitoyer ou de se sentir concerné.
Les scénaristes décidèrent d'exploiter ce nouveau filon. On envisagea brièvement de placer des caméras dans un foyer syrien, de suivre un soldat Ukrainien dans son quotidien, voire de suivre l'évolution psychologique d'une victime d'attentat (de préférence atrocement mutilée, ça ne gâche rien ). Malheureusement une chose qui était inconnue à tous les producteurs de télé réalité les en empêcha : l'éthique.
On estima que l'idée pourrait resservir plus tard quand la masse moutonnante serait prête à l'accepter. Pour cela, il fallait l'amener doucement à perdre le peu de morale qui lui restait. Avec les télés réalité classiques, on avait déjà réussi à baisser le niveau intellectuel général de manière impressionnante, on s'appliquerait désormais à détruire consciencieusement les principes de chacun. Rien de moins compliqué.
Une idée de génie (si on peut dire) traversa l'esprit d'un ancien présentateur télé prêt à tout pour faire son come back. Il sirotait tristement sa bière quotidienne en zappant au hasard quand il tomba sur une émission traitant de la surpopulation carcérale. La croissance exponentielle de cette dernière commençait sérieusement à poser problème. Les lois se durcissaient tant pour les novices que pour les récidivistes et de plus en plus de gens qu'on aurait autrefois considérés comme "sans histoire" cédaient volontier à la prédisposition humaine à la violence. Où donc mettre tous ces gens?
C'est là qu'intervient l'esprit génial (ou pas) de notre présentateur. Il envoya sa proposition de scénario à des dizaines de chaines de télé. Elles s'arrachèrent toutes ce concept. Du jamais vu. Le téléspectateur moyen s'en donnerait à cœur joie!
C'est ainsi que la télévision atteignit les bas fonds du mauvais goût, ouvrant la porte sur le gouffre de l'indécence absolue.
L'émission fut annoncée en fanfare à grand coup de tapage publicitaire. Elle suscita moult débats. On avait présenté aux téléspectateurs les candidats aux plus fortes personnalités. Chacun avait déjà son favori.
La première diffusion battit tous les records d'audiences jamais enregistré pour une émission de télé réalité. Le générique présenta les dizaines de participants.
Parler de candidat n'était certes pas très approprié étant donné que personne n'avait participé de son plein gré, mais à défaut d'un autre terme, on garda celui ci.
Le principe était simple. On avait choisi les pires raclures qui pourrissaient depuis des années au fond de leur cellule. Dix prisonniers en provenance d'une prison, dix autres en provenance d'une autre prison. Chaque semaine, on laissait le soin aux téléspectateurs de voter pour choisir quels seraient les deux heureux élus qui se battraient à mort sous les yeux ébahis de la France entière.
On avait tout de même prit soin de donner une touche d'esthétisme à l'émission en faisant parader quelques bimbo type Nabilla pour annoncer les combats, ou donner leurs prognostiques voire même se faire fesser l'arrière train en défilant dans les couloirs des prisons. Il en faut pour tous les goûts.
Histoire de motiver les participants, on leur fit miroiter une éventuelle remise en liberté pour le grand gagnant. La populace s'en offusqua au premier abord. Mais on lui annonça rapidement qu'il n'en serait rien, on se contenterait de transférer le prisonnier se faire dorer la pilule dans une prison à l'étranger. On envoyait le problème chez quelqu'un d'autre. Ce qui comptait, c'était que le peuple soit "divertit".
L'émission fut un franc succès. On rempila pour de nouvelles saisons avec de nouvelles vermines de plus en plus nuisibles et vicieuses. Les audiences étaient de plus en plus fortes. De nombreuses chaines créèrent des dérivées du programme, là aussi, ce fut un triomphe. Les gens textotaient à cœur joie afin de choisir quels seraient les mis à mort de la semaine. Ils se sentaient en droit de décider après tout, c'est avec l'argent du contribuable que ces rebus de l'humanité avaient grassement vécu ces années derrière les barreaux. Et puis vu les atrocités qu'ils avaient commis, ce n'était que justice qu'ils paient le prix fort aujourd'hui.
Ainsi on put envisager sans trop d'appréhension de ressortir du placard les ébauches de la télé violence.
Personne ne fut choqué.
On était même plutôt enthousiaste.
Aujourd'hui, une nouvelle émission voit le jour grâce à un nouvel éclat de génie. Les accros du téléphone pourront désormais choisir quelles tortures devront subir les nouveaux repris de justice. Offrir le pouvoir à une foule enragée. Est-ce cela l'évolution? Où sommes nous revenus au moyen âge où les voleurs étaient éviscérés en place publique...?
Pensons avant tout au bien commun, l'important, c'est que les gens ne s'ennuient pas...si au passage ça rapporte un peu de fric alors pourquoi pas...
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Du pain et des jeux
General FictionJusqu'où la télé poubelle est-elle capable d'aller...?