PARTIE I
Eunwoo détestait le vendredi soir.
Tout comme le lundi, et le mercredi, ainsi que tous les autres jours.
En fait, elle détestait tout simplement la semaine entière, hormis le dimanche, son seul jour de congé que lui accordait le mythique restaurant « La Lune écarlate » . Non mais franchement, qu'est-ce qui lui avait pris de déposer son CV dans un endroit pareil ?
Cet endroit grouillait de petits vieux qui stationnaient en plein milieu du passage pour se raconter qui ils avaient croisé au supermarché du coin durant leur semaine Ô combien fatigante de retraités. Sans parler des gamins qui courent dans tous les sens pour jouer à chat, alors que leurs parents s'engueulent entre eux sans se soucier d'eux. Mais enfin, le must du must, c'était quand même ces hommes d'affaires impolis qui voulaient tout, tout de suite, en plus de parler à la limite du murmure. Et si Eunwoo avait le malheur de leur demander de répéter, elle gagnait en bonus un beau petit regard noir du client, ainsi que l'étiquette «serveuse à moitié sourde» collée sur son front.
Bref, Eunwoo haïssait ce foutu restaurant. Si ça ne tenait qu'à elle, elle serait partie dès le premier jour. Celui où elle avait trébuché sur un câble électrique et qu'elle avait atterri la tête la première dans les galettes de pommes de terre. Mais elle avait besoin de cet argent pour payer son loyer, et « La Lune écarlate » était son ultime recours. Enfin, elle devait s'estimer heureuse, maintenant les câbles du sol avaient des protections. Au moins, même si elle détestait son job, elle savait qu'elle ne tomberait pas à nouveau dans les galettes pleine d'huile, c'était déjà ça.
Mais franchement, « La Lune écarlate », où est-ce que ses patrons avaient été cherché ce nom débile ? Depuis quand la Lune était écarlate au juste ? Au début, elle s'était dit que ça devait être un jeu de mots, quelque chose dans le genre, mais non, on lui avait simplement répondu :
— On trouvait que ça rendait bien.
Voilà le genre d'endroits que la jeune fille fréquentait, non pas pour le plaisir, mais par purs besoin de rémunération. Comme quotidien, elle aurait pu avoir largement mieux.
Activée à nettoyer une table du fond avec énergie avant l'arrivée des premiers clients du samedi midi, elle vit une jeune femme pénétrer à l'intérieur du restaurant, alors que l'écriteau sur la porte d'entrée indiquait clairement que l'accès était actuellement restreint.
« Encore une qui doit avoir besoin de lunettes ! » pensa-t-elle. Elle se redressa en soupirant, rajustant alors son uniforme de serveuse d'un rose d'une pâleur immonde. Même les tenues étaient atroces.
Elle laissa en plan son rendez-vous avec les lingettes nettoyantes parfumées au pamplemousse et s'avança vers l'intruse, se répétant mentalement ce qu'elle pourrait lui dire pour la faire sortir, tout ça sans montrer qu'elle détestait le samedi, « La Lune écarlate » et son uniforme, chose compliquée en somme.
— Bonjour, lança-t-elle d'une voix qu'elle espérait polie. Nous ne sommes pas encore ouverts pour le moment, je vous prierai donc de bien vouloir repasser d'ici une dizaine de minutes.
— Oh bonjour ! répondit la future (?) cliente avec un sourire. Excusez-moi, j'ai bien vu l'écriteau, mais je voudrais voir les patrons de ce restaurant.
