Chapitre 1 : La foudre s'abattra du ciel

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          L'Inquisition venait de faire un véritable coup de maître au Jeu : sauver l'Impératrice et la réconcilier avec sa chère « marquise » Briala. Dorian n'avait de cesse de railler son amie à ce sujet, et ce, même deux semaines après leur retour à Fort Céleste.
« C'est votre côté fleur bleue qui vous a poussé à les réunir, n'est-ce pas ? Quelque chose me dit que votre relation avec Cullen y est pour quelque chose... » Taquina-t-il, un sourire goguenard aux lèvres.
« De quoi parlez-vous ? » Réagit Aelia, piquée au vif.
« Oh, mais de votre danse bien sûr ! Répliqua Dorian, à moitié hilare. Il avait pourtant dit qu'il ne danserait pas. Mais pour vous, il a accepté de se ridiculiser ! Tout ce romantisme, quelle horreur... »
Il fut soudain assombri par la silhouette imposante d'Iron Bull, qui était arrivé par derrière en écoutant la conversation.
« Ouais, t'aimerais ça hein ? Si tu veux, je peux te faire danser. Mais pas sûr que tu puisses marcher tout de suite après... » Souffla-t-il.
Le mage tévintide le fixa, l'air offensé. Il prétendit devoir chercher et lire un certain livre et fila à la bibliothèque aussi vite qu'un de ses sarcasmes.
Iron Bull haussa les épaules, amusé, et se dirigea vers la taverne après avoir salué l'inquisitrice d'un signe de tête. Aelia le suivit des yeux distraitement. Tout le monde commençait à remarquer son intérêt pour Cullen. Devait-elle s'en inquiéter ? Elle craignait qu'une relation avec le commandant nuise à l'Inquisition. D'un autre côté, elle pensait de plus en plus à lui, tant et si bien qu'elle avait du mal à se concentrer lors des conseils de guerre, où pendant les dîners lorsqu'il daignait se montrer... Elle avait même surpris Léliana l'observer avec un petit sourire en coin. Ils avaient fait quelques parties d'échecs, et la mage avait adoré ces moments. Rien ne venait entacher ces doux souvenirs, pas même son inquiétude par rapport au sevrage de Cullen. Il n'avait pas été facile pour lui de se libérer de sa dépendance au lyrium. Comprenant son dégoût pour ce que cette substance signifiait pour lui, elle avait fait de son mieux pour l'encourager dans sa décision de se sevrer, avec le soutien de Cassandra.
     Aelia fut tirée de ses pensées par un messager qui la bouscula malencontreusement. Il se répandit en excuses, rouge de honte. Elle le rassura en disant que ce n'était rien, et lui permit de reprendre son travail. La Messagère d'Andrasté commença par se diriger vers ses quartiers, désireuse de se reposer tranquillement, loin de toute agitation. Mais elle s'arrêta : elle souhaitait aussi se confier à quelqu'un. Toutefois, qui donc pourrait bien l'écouter ? Dorian serait trop heureux d'en profiter pour la titiller. Sera ne prenait jamais rien au sérieux, et lui conseillerait sûrement quelque chose du genre « mettez-vous à nue devant lui... et prenez la situation en main ! ». Aelia rougit à cette seule pensée. Elle secoua la tête et continua à passer ses compagnons en revue. Blackwall ? Gentil et galant, mais très centré sur lui-même... Il ne serait pas à l'écoute. Et elle n'était pas sûre qu'il voit d'un bon œil le leader de l'Inquisition avec son commandant. Varric serait prompt à donner des conseils extravagants. Elle avait besoin d'un avis et de conseils, pas de l'intérêt purement littéraire d'un écrivain de renom de son genre ! Même si ça pouvait être drôle. Aelia soupira, se forçant à se concentrer sur un confident plutôt qu'à l'élaboration d'une histoire rocambolesque entre une mage et un beau templier. Aelia ne se sentait pas à l'aise avec l'idée de discuter de ses sentiments avec un Qunari mercenaire. Et Cassandra n'était pas vraiment le genre de personne lucide sur une histoire d'amour. Qu'est-ce que ce serait ? « Inquisitrice, déclarez votre amour en lui lisant un poème ! » avec une voix passionnée, en prenant les mains d'Aelia dans les siennes. Celle-ci pouffa de rire en imaginant la scène. Les passants alentours lui jetèrent un regard interloqué. Cole ne comprendrait pas. Solas ? Discuter de magie avec lui donnait lieu à des conversations fascinantes. Mais parler d'amour ? Hors de question. Et Joséphine et Léliana étaient bien trop prises par leur travail. Avec un grand soupir, elle abandonna l'idée de se confier et se rendit dans ses quartiers.

     Le soir venu, Aelia descendit pour assister au dîner. Tout le monde ou presque était là, il manquait seulement Léliana et... Joséphine ? Connaissant cette dernière, Aelia songea qu'il y avait peut-être quelque chose de grave et d'urgent pour retenir leur attention; Joséphine ne manquait aucun repas en compagnie des dignitaires présents à Fort Céleste. L'inquiétude s'empara d'elle : il y avait forcément quelque chose, ça ne ressemblait pas à l'ambassadrice d'être absente. Elle garda néanmoins son sang-froid, affichant un air impassible. Elle prit place à côté de Cullen (Dorian lui jeta un regard appuyé) et l'interrogea à voix basse sur l'absence de la conseillère.
« Tout ce que je sais, c'est que Léliana s'entretient avec elle depuis le début de la soirée. Il semblerait qu'elle ait reçu un rapport très préoccupant, mais je n'en sais pas plus. » Répondit-il dans un murmure.
Aelia l'observa du coin de l'œil. Le commandant avait la mine renfrognée ; elle en déduisit qu'il avait dû être forcé d'assister au dîner pour combler l'absence des deux autres conseillers. D'ailleurs, la plupart des femmes présentes dans l'assemblée se mettait à glousser dès qu'elles levaient les yeux vers lui. La raison pour laquelle Cullen assistait rarement aux repas était évidente...
« Alors chère amie, comment vous sentez-vous ? » S'enquit Dorian.
« J'ai pris le temps de me reposer. Le Noble Jeu était éreintant, j'en ai mal à la tête rien que d'y repenser. Je me dis parfois que j'ai eu de la chance de ne pas être une aînée dans ma famille. » Répondit Aelia.
« Oh, c'était comme à la maison : des complots, du désespoir, quelques assassinats par ci par là... Dorian poussa un long soupir. Je devrais éviter d'y songer. »
« Parlons plutôt de bonnes nouvelles, dans ce cas ! Encouragea la Messagère. L'Inquisition a désormais une bonne influence. Nous avons eu plein de nouveaux alliés depuis. »
Le Tévintide lui adressa un grand sourire.
« Oui, ça vous fait un problème de moins. Vous allez pouvoir dormir un peu plus sereinement, j'espère. »
Cullen se tourna brusquement vers eux.
« Comment ça ? Vous... Vous dormez mal... inquisitrice ? » Interrogea-t-il, l'air inquiet.
Aelia se demanda ce qui le préoccupait : son sommeil, ou ses rêves ? Était-ce par politesse, ou autre chose ?
« Disons que le stress n'est pas l'idéal pour avoir des nuits reposantes. » Répondit-elle vaguement.
« Oh, oui, bien sûr. »
Le commandant détourna le regard, gêné. Aelia fronça les sourcils en voyant Dorian tenter de réprimer un fou rire. Sera, qui était en pleine conversation avec Blackwall et Iron Bull, leur lança un coup d'œil, intriguée. Aelia donna un coup de coude à son ami, agacée qu'il attire l'attention ainsi.
     C'est alors que des pas pressés se firent entendre. L'inquisitrice étudia du regard les deux nouvelles venues : Joséphine et Léliana. Elles avaient la mine sombre, et la lumière rougeoyante des torches leur donnait même un air angoissant. Cullen se raidit en voyant à son tour les deux arrivantes. Celles-ci se dirigèrent tout droit vers leur dirigeante. Léliana se pencha à son oreille, mais Joséphine l'arrêta net.
« Je ne pense vraiment pas que ce soit nécessaire de la prévenir ! » Chuchota-t-elle à l'intention de la maître-espionne.
« Me prévenir de quoi ? » Questionna Aelia, sur le même ton.
« Il vaudrait mieux que nous en parlions en privé, inquisitrice. » Murmura Léliana, d'une voix accablée.
« Non, ça peut au moins attendre la fin du repas ! Il faut montrer une certaine image aux digni... »
« Josie ! » Interrompit le Rossignol.
La Messagère d'Andrasté posa ses couverts en douceur et se leva, en adressant un petit sourire aux nobles qui les scrutaient en essayant d'entendre leurs paroles. Elle emboîta le pas de ses deux conseillères. Dans un grand bruit, Cullen repoussa son assiette et les suivit, sous les gémissements plaintifs des femmes présentes.
« Merci pour votre discrétion, commandant. » Fulmina Léliana.
Cullen renifla, indifférent. Contrarier quelques nobles ne le dérangeait pas le moins du monde.
Ils se rendirent dans le bureau de Joséphine prestement. La pièce était impeccablement rangée, même le bureau malgré l'impressionnante masse de parchemins qui l'encombrait. L'ambassadrice avait l'art et la manière d'être tant et si bien organisée que les centaines de lettres et de rapports n'étaient absolument pas une difficulté à trier soigneusement pour elle. L'Antivane alla s'asseoir derrière son propre terrain de bataille et prit, entre ses mains délicates, une lettre qui semblait avoir été lue maintes fois déjà.
« Inquisitrice, Léliana a reçu un rapport d'un de ses agents. Un rapport qui vous concerne. »
Aelia croisa les bras, en attendant la suite.
« Tout d'abord, quels rapports entretenez-vous avec votre frère Julian Trevelyan, inquisitrice ? » Demanda Léliana d'une voix douce.
Leur chef se crispa en entendant le nom de son frère aîné. Elle prit une profonde inspiration, et leur répondit qu'ils ne se parlaient plus depuis de longues années. Tous comprirent aisément qu'il s'était passé quelque chose de grave... Cependant, Aelia ne semblait pas vouloir en dire plus. Joséphine adressa un regard implorant à la maître-espionne, mais cette dernière n'en tint pas compte.
« Navrée d'avoir à vous l'annoncer, mais... » commença Léliana.
« Mais ce n'est peut-être pas nécessaire de vous en parler si vous n'avez plus aucun contact avec votre frère ! » Interrompit l'ambassadrice, d'une voix tremblante.
La mage lui lança un regard brûlant. Ses deux conseillères n'avaient pas pris part au repas, et elles l'avaient attiré loin des oreilles indiscrètes pour l'avertir d'une affaire importante. Qui, de surcroît, semblait être en lien avec son frère. Et maintenant elles faisaient marche arrière ?
« Je veux savoir ce qu'il se passe. » Gronda-t-elle.
Joséphine baissa la tête, embarrassée. Cullen gardait le silence, attendant la suite. Les flammes des torches et des bougies faisaient danser les ombres dans la pièce, rendant la scène quelque peu lugubre.
« Vous saviez que votre frère est templier ? » S'assura Léliana.
Aelia hocha affirmativement la tête.
« Eh bien, votre frère ne se trouve plus dans les Marches Libres. Il est à Orlaïs depuis quelques mois, maintenant. Mes agents ont découvert qu'un certain Julian Trevelyan s'était rendu à l'Emprise du Lion récemment. À la Tour d'Os... »
Léliana laissa sa phrase en suspend, sachant pertinemment que l'inquisitrice comprenait ce que cela impliquait.
Aelia perdit contenance. Elle se retourna, s'appuyant sur le dossier d'une des deux chaises devant la cheminée. L'idée que son frère puisse être un templier rouge la rendait malade... Elle pensait que l'éloignement le mettrait en sécurité, qu'il ne serait pas mêlé à toute cette histoire. Pourquoi était-il à l'Emprise du Lion ? Pourquoi était-il avec les templiers rouges ? Il ne pouvait pas en être un. Mais elle devait le vérifier par elle-même. Pour la première fois depuis des années, Aelia ressentait le besoin de voir son frère, afin de s'assurer qu'il allait bien. Mais le pouvait-elle vraiment ? Il n'avait sûrement pas oublié, et lui avait encore moins pardonné... Pourtant, il fallait qu'elle sache s'il était un templier rouge ou non. Et surtout, pourquoi se trouvait-il à la Tour d'Os, qui était un de leurs bastions ? Peut-être était-il prisonnier.
« Sait-on pourquoi se trouve-t-il là-bas ? » questionna Aelia, la voix brisée.
« Non, pas précisément. On sait juste qu'il s'y est rendu avec un groupe de templiers rouges. » Répondit Joséphine.
Aelia serra les poings avec colère. Un bref éclair fusa alors dans la pièce. Cullen mit aussitôt la main sur la garde de son épée, prêt à dégainer : réflexe dû à sa méfiance des mages... Aelia le remarqua, et eut un pincement au cœur. Elle ne voulait pas inspirer de la méfiance aux yeux du bel homme. Elle se força donc à se calmer en inspirant profondément. Le commandant se rendit compte trop tard de son geste; il adressa un regard d'excuse à l'inquisitrice, troublé.
« Merci pour ces renseignements. » Souffla-t-elle à l'intention de ses deux conseillères.
Elle sortit promptement de la pièce. Elle avait besoin d'air. Varric avait peut-être raison : elle avait la poisse divine.
     Aelia courut jusqu'aux remparts de Fort Céleste. Elle inspira de grandes goulées d'air froid. Cette courte discussion venait de lui faire remonter de douloureux souvenirs. Et il fallait ajouter à cela le risque que son frère soit lui-même un templier rouge ? Ou tout du moins, la quasi-certitude qu'il travaillait avec ces monstres... au service de son ennemi juré : Corypheus. Allait-il tout lui prendre ? L'inquisitrice serra les dents. Elle s'accrocha au rebord, refusant de s'effondrer. Corypheus avait tenté de s'emparer des mages retranchés à Golefalois. Il avait tué nombre des soldats de l'Inquisition. Darse avait été détruite à cause de lui, et elle avait failli être ensevelie sous une montagne en se sacrifiant pour protéger ce qu'il restait de l'Inquisition. Il avait manipulé les Gardes des Ombres, avait sali leur Ordre. Il avait tenté d'assassiner l'Impératrice Célène, profitant de la guerre civile. Et cette chose gonflée d'orgueil avait corrompu les templiers. Combien de gens avaient souffert à cause de lui ? Combien souffriraient encore ? Et maintenant, il cherchait à lui prendre son frère ? Ce n'est pas comme si elle ne l'avait pas déjà perdu. Mais elle ne pouvait pas laisser l'Ancien corrompre Julian.

     Au beau milieu de la nuit, après avoir préparé ses affaires, Aelia sortit discrètement de ses quartiers. Dorian, Iron Bull et Sera l'attendaient déjà aux portes de Fort Céleste, sous l'œil vigilant des gardes. Aelia n'avait prévenu personne, mais elle se doutait que ses conseillers le sauraient bien assez tôt.
« Prêts ? » demanda-t-elle à ses compagnons.
« Toujours, chef. » Répondit Iron Bull au nom de tous.
« Alors allons-y. » Ordonna l'inquisitrice, déterminée.  

Dragon Age Inquisition : Le Chant de la HaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant