Léa pensait affronter seule son arrivée dans une maison vide depuis plus d'un an que ses derniers occupants l'avaient mise en vente et s'en était fait tout à la fois une joie de posséder enfin quelque chose sans partage et un défi de vivre une solitude qu'elle n'avait pas choisie. Un homme d'une soixantaine d'années, la peau tannée par le soleil, les cheveux blancs coupés sévèrement, grand, élancé, le regard vif et intelligent,s'avança vers elle, main tendue et sourire radieux aux lèvres avant qu'elle n'ait pu insérer la clef dans la serrure.
« – Bonjour, Gérard Deschamps, votre voisin. Léa, les mains encombrées par sa sacoche ventrue de médecin et la clef eut un moment de flottement avant de se ressaisir, de poser la mallette à ses pieds et de rendre son sourire et sa poignée de main à celui qu'elle était tentée de considérer comme un opportun.
– Léa Bouvier, enchantée, Monsieur Deschamps.
– Si vous avez besoin de quoi que ce soit, il vous suffit de venir sonner à ma porte. La solidarité est une valeur essentielle, ici. Valcros est un site exceptionnel pour sa beauté et sa tranquillité mais dès que les mois d'été sont passés, les résidences secondaires se vident et l'isolement a tôt fait de devenir pesant.
– Je vous remercie de votre gentillesse mais j'ai découvert cette maison en hiver et c'est précisément cette ambiance qui m'a séduite. Elle vit le vieil homme se rembrunir et se reprocha d'avoir parlé trop vite. Elle aurait voulu lui expliquer qu'elle avait besoin de se retrouver un peu seule pour faire le point après un divorce difficile mais elle ne pouvait se découvrir ainsi à un inconnu. Elle rougit légèrement de sa maladresse et Gérard mit sa réflexion sur le compte d'une timidité excessive.
– Je vais vous laisser. Vous devez avoir hâte de prendre possession des lieux.
– Merci encore de votre accueil, MonsieurDeschamps. » Gérard lui adressa un petit signe de tête et s'éloigna. Alors qu'elle tournait la poignée de la porte, il lui sembla sentir le regard perçant de son nouveau voisin glisser sur son corps et elle en ressentit un vif malaise qui la poussa à entrer précipitamment à l'abri des murs de crépi rose.
Léa, avec un soupir d'aise, déposa sa sacoche sur la table de verre de la véranda aux immenses baies vitrées s'ouvrant sur le nature splendide avant de poser les yeux sur la masse de paquets, de cartons et de valises qui l'attendaient dans un coin de la pièce, prêts à livrer leur contenu pour donner définitivement à la maison l'empreinte de la jeune femme. Léa, épuisée après de longues heures de consultations, se déchaussa et ouvrit la baie vitrée pour jouir pleinement de la magnifique vue qu'offrait la villa tant sur la colline que sur la mer et les îles d'Hyères, snobant délibérément les caisses empilées. Le bruit de l'eau qui coulait de la piscine d'eau de mer à débordement emplissait doucement le silence, à la fois rassurant et délicieusement relaxant. Les derniers rayons du soleil enflammaient le ciel d'azur,répandant un incendie éphémère sur la forêt omniprésente. Un vent léger vint la caresser, amenant jusqu'à ses narines toutes les senteurs des essences qui la composaient. Peu à peu, les cigales ralentirent leurs stridulations, bientôt remplacées par le chant saccadé des grillons. Les lampes entourant la piscines'allumèrent automatiquement et elle prit soudain conscience de l'obscurité qui l'entourait. A regret, elle se résigna à regagner l'intérieur. Un généreux panier de fruits déposé sur la table de la cuisine attira son attention et elle découvrit un petit mot coincé entre une pomme et une pêche. « Je suis presque sûre qu'une femme qui travaille et qui emménage n'a pas le temps de penser à garnir les placards et le frigo aussi ai-je pris la liberté de le faire. Madame Soler » La confiance qu'elle avait immédiatement éprouvée en rencontrant la femme de ménage que lui avait recommandée l'agent immobilier se confirmait, lui donnant l'agréable sensation d'être à la fois comprise et épaulée. Elle choisit une prune qu'elle croqua à pleines dents et entreprit de ranger les caisses qui l'attendaient, immobiles et implacables. Lorsqu'elle ouvrit la première et découvrit les objets qui s'y trouvaient, les souvenirs ambigus d'une vie commune révolue l'assaillirent et elle eut la tentation de la refermer aussitôt. Avec un soupir nostalgique, elle y plongea néanmoins la main et en sortit un petit soliflore de céramique désormais ébréché que Sylvie,sa sœur, lui avait offert le jour où elle avait emménagé avec Claude. Il n'avait pas grande valeur marchande mais toutes deux tiraient à l'époque le diable par la queue, enchaînant des emplois d'appoints plus improbables les uns que les autres pour subvenir à leurs besoins et financer leurs études. C'avait été une époque faite d'activité fébrile et cependant de bonheur insouciant qui lui laissait le goût amer des souvenirs.Il était plus de minuit quand elle vint à bout du dernier carton et elle se promit de profiter de ce weekend qui s'ouvrait à elle pour se reposer et reprendre ses esprits.
Le soleil voilé de ce samedi matin n'entama pas la bonne humeur de Léa, fermement décidée à profiter des vacances perpétuelles que représentait pour elle le fait d'habiter dans le sud. Elle respira à pleins poumons le parfum du chèvrefeuille sublimé par l'arrosage automatique et la chaleur. Prise d'une impulsion, elle enleva d'un geste vif sa nuisette satinée et courut jusqu'à la piscine où elle plongea d'un bond souple. Après quelques brasses nerveuses, elle s'accouda au bac recouvert de mosaïque bleue et contempla la vue dont elle ne se lassait pas. Un rouge-gorge audacieux se posa à quelques pas d'elle, sur le rebord d'une chaise de fer forgé et la salua de son chant allègre. Elle ferma les yeux de bien-être et rouvrit les paupières juste à temps pour voir l'oiseau s'envoler vers d'autres cieux. Elle s'immergea totalement jusqu'à ce que le souffle lui manque et s'assit sur le bord de la piscine, laissant ses fines jambes baigner dans l'eau limpide. Le voile nuageux se déchira et les rayons du soleil commencèrent à sécher sa peau encore pâle de citadine. Brusquement,elle se sentit observée et l'image de son voisins'imposa à elle, impérieuse, anéantissant immédiatement la fragile magie du moment. Elle se tourna et détailla la haie touffue de cyprès qui séparait les deux propriétés. Rien ne filtrait à travers l'infranchissable mur végétal et elle se gourmanda d'avoir l'imagination trop fertile à propos d'un homme somme toute charmant dont elle ne savait encore rien.

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Extraits de Beauté fatale
Mystery / ThrillerÊtre victime de sa beauté et mourir parce que l'on a une belle plastique, ça a l'air un peu fou et prétentieux, à première vue... Mais oui, la beauté peut être fatale ! Et pourtant, si vous croisez un esthète un peu pervers, ça n'a rien d'impossible...