Le jeune homme courrait droit devant lui, les yeux épouvanté de terreur. Il osa jeter un regard par-dessus son épaule et frémit devant la vision d'horreur qui s'offrait à lui. Un immense cadavre de cheval au pelage aussi ardent que le feu des enfers le poursuivait, les yeux étincelants de fureur et de haine. Une fumée épaisse sortait de ses larges naseaux frémissant de rage, et ses prunelles à l'éclat cruel semblaient lancer des gerbes de flammes. Des lambeaux de chairs noires l'enveloppaient tel un linceul dans sa course folle.
Le jeune homme tenta d'accélérer sa course mais ses pieds semblèrent peu à peu s'enfoncer dans le sol. Il tenta avec l'énergie du désespoir de se défaire de sa paralysie, mais il se pétrifia tout à fait. Figé comme une statue de sel, il tentait de gesticuler, en vain. En face, le monstre décharné s'approchait dangereusement. Le soldat gémit. Vingt mètres. Le martèlement des sabots se rapprochait. Dix mètres. Les yeux du démon flamboyaient d'une lueur mortelle. Cinq mètres. D'ici, il pouvait apercevoir la rangées de dents jaunes et pourries aussi aiguisée que la dentition d'un requin. Deux mètres. Ses narines s'emplirent de l'haleine fétide du monstre aux les lèvres émoussées d'écume. Un mètre. Il ferma les yeux.
Une douleur affreuse comme il n'en avait jamais connu auparavant lui broya tout le corps.
Tout était fini. Le cheval démoniaque avait eu raison de lui. Des lames de lumières lui brulèrent les yeux. Tous ses membres tremblaient, paralysés de douleur. Ces poumons semblèrent se déchirer sous une étreinte mortelle. La lumière se fit plus vive encore et il hurla, aveuglé. Puis, elle s'estompa doucement. Peu à peu, il distingua à travers ses paupières une minuscule croix sur un fond blanc vaporeux. C'était à gauche que se mouvait la cruelle lumière qui inondait son visage, semblant venir de nulle part.Le jeune soldat haussa un sourcil, étonné. Ce n'était pas du tout de cette manière qu'il s'était imaginé le paradis et encore moins l'enfer. Où donc avait-il atterri ? Il grimaça. La douleur le rongeait de toute part, affaiblissant ses membres et son esprit. Il se sentait épuisé. Il poussa un soupir et laissa sa tête tomber sur l'oreiller moelleux. Un oreiller. Il se redressa subitement et scruta rapidement la petite pièce où il se trouvait. Il était assis sur un petit lit au drap blanc comme neige, très doux et confortable. Autour de lui se dressait quatre murs, d'un blanc beaucoup moins pur, la peinture arrachée à certains endroits. La pièce était exigüe, et le seul mobilier résidait en le petit crucifix qu'il avait aperçu tout à l'heure, le lit et une minuscule commode de bois brun. Malgré l'extrême simplicité de la pièce, une curieuse atmosphère s'en dégageait. Des petits grains de poussière dorée voletaient doucement dans le trait de lumière, et une douce et tranquille chaleur régnait.
Le jeune homme émit un petit rictus devant sa sottise. Il se trouvait donc dans une chambre. Mais dans quelle chambre ? Qui donc l'avait recueilli ? Où pouvait-il donc être ? Que c'était-il passé ?
Il tenta de se relever pour tenter d'inspecter plus en détail son environnement mais une douleur aiguë lui perça le crâne. Il plaqua sa main sur sa tête et sentit la rugosité d'un bandage sous ses doigts. De même, il s'aperçut rapidement que tout son poitrail était durement enserré dans des longues bandelettes de laines blanches et que son bras gauche reposait mollement sur une écharpe.
Tout lui revint en mémoire. La nuit, les bombardements, la folie du cheval, la mort de ses compagnons et sa course folle. Un profond sentiment de tristesse et de désespoir l'envahit. Le cœur lourd de chagrin, il laissa couler le long de son visage des larmes de rage et de tristesse. Il en voulait à la terre entière. Il en voulait à la guerre qui avait brisé son innocence, à la mort qui l'avait privé de ses compagnons, à la souffrance insupportable qu'il subissait. Mais il en voulait surtout à lui-même de ne pas avoir cherché à les protéger, à les ramener, de ne pas être rentré au camp. Il s'en voulait de s'être enfui comme un lâche, un couard, un moins que rien. Dégouté, il ferma les yeux, puis ne sachant que faire pour apaiser sa douleur il pria silencieusement, pour le repos de l'âme de ses compagnons morts. Prier l'apaisait. Bien que la douleur physique était encore à la limite du supportable, son esprit tourmenté se calmait peu à peu. Sa respiration devenait plus calme, plus souple. Il resta ainsi un long moment, lorsqu'un bruit de pas le tira de sa douce méditation.
Il ouvrit brusquement les yeux et tomba nez à nez avec une jupe noire aux plis énormes camouflant des mollets de la taille d'un éléphanteau serrés par d'immenses bas blancs. Plus haut, le chemisier du même noir d'ébène était retenu très sommairement par de petits boutons nacrés qui manquaient de se détacher à tout instant sous la forte pression de l'impressionnante corpulence de la femme. Tout était décidément noir et volumineux. Enfin, il aperçu le visage le plus étrange qu'il n'est jamais aperçu; des yeux gris acérés comme deux petites perles, un nez fier et aquilin, une peau blanche drapés de quelques rides éparses, et deux traits fins de chair marquant la bouche. Une masse de cheveux d'un blanc immaculée encadrait le portrait comme un long voile vaporeux. Une beauté singulière se dégageait de la rondeur douce du corps et du visage simple de la femme. Cette élégance laissait transparaître une certaine jeunesse mais son visage marqué et la lueur de ses iris laissaient penser qu'elle avait assisté au commencement de ce monde. Le jeune soldat était incapable de lui donner un âge exact. Ils se regardèrent longtemps ainsi, dans un silence respectueux, s'observant l'un et l'autre avec attention.
Puis la vieille femme commença à parler. Le soldat entendit une bribe de sons, comme un balbutiement. Puis plus rien. Elle attendit un instant et reprit son baragouin incompréhensible. A la façon dont elle le regardait, il sut qu'elle attendait une réponse de sa part. Il continua à la fixer, les yeux grand ouvert, perdu et indécis. Que lui demandait-elle donc ? Toujours avec patience elle répéta sa phrase inintelligible avec la même solennité. Il commença à paniquer. Que devait-il répondre ? Etait-ce un interrogatoire ? Et qui était cette dame ? Etait celle qui l'avait recueillie et soignée ? Et où bon sang se trouvait-t-il ? En France ? Sûrement. Comment l'avait-elle trouvé ? Que lui voulait-elle ? Pourquoi l'avoir sauvé ? Voilà toutes les questions qu'il aurait souhaité posée à son interlocutrice mais il murmura doucement, « I don't understand ». Ce fut autour de la vieille dame d'arquer un sourcil immaculé, perplexe. Elle le sonda d'un regard impérieux, son œil argenté analysant le soldat pétrifié sous toutes les coutures.
"Anglais ? " demanda-t-elle d'un ton autoritaire. Le soldat souffla de soulagement en reconnaissant un des seuls mots qu'il connaissait de cette langue étrangère. "Yes, I'm English", répondit-il dans une voix rauque qu'il ne reconnaissait pas, sa gorge le brûlant atrocement. La vieille dame esquissa un sourire, comme soulagée. "Comment t'appelles-tu ? " demanda-t-elle de cette même voix impérieuse. Le jeune soldat lui lança un regard affolé. Que lui voulait donc cette mégère ?
"Madame Desbreuil" dit-elle, son regard argenté braqué sur le blessé en pointant son index grassouillet vers son opulente poitrine. Puis tout doucement, elle pointa son doigt en direction du jeune homme.
Son nom, elle lui demandait son nom. Un instant de stupeur le saisi. Le premier mot lui venant à la bouche fut son surnom « green », puis son numéro de plaque, K712. Puis, timidement, une lettre, puis un mot commencèrent à émerger de son esprit à la manière d'un jeune papillon sortant de sa chrysalide. Il se hissa doucement jusqu'à lui. «William, murmura –t-il, my name is William ».
William, répéta la vieille dame aux cheveux de neige en souriant réellement pour cette fois, un sourire franc et chaleureux. William. Cela faisait un an qu'on ne l'avait appelé ainsi. William.
Je tenais à m'excuser de ne pas pouvoir répondre à vos commentaires car je suis partie en vacances vendredi et je ne rentrerais que dans deux semaines. Étant donné que je n'ai ici ni wifi ni 4G il est pour moi très difficile de tenir à jour mes écrits et de répondre à vos questions et votre soutien. Merci encore à tous ceux qui me suivent et commentent mon travail. Cela me fait réellement plaisir. À bientôt pour la suite des aventures de Marie et William.
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Le chant de l'alouette
Historical FictionMai 1916. Aux abords du petit village de Verzy, au cœur de la campagne champenoise, la guerre fait rage. Depuis la mobilisation des hommes au front, la vie des villageoises est bouleversée. Mais malgré le labeur, la peur et les peines, elles s'en...