Chapitre I

84 1 0
                                    

Le liquide ambré s'agitait avec amertume et frénésie, dans la fiole à la teinte transparente, désormais trop petite, pour contenir la tempête qui l'habitait. Une sorte de rage enflammée, prenait peu à peu lieu, dans le simple récipient de verre. L'on aurait pu comparé ce phénomène, à la déferlante ; ombre de cette vague aux aspects dévastateurs, frappant rageusement contre le flanc d'une colline, abîmée par les ravages, occasionnés par le temps.
Le liquide, à la délicieuse teinte caramel, continuait sa danse endiablée, à un rythme effréné. Il n'y avait plus aucun barrage existant, pour séparer ce torrent de haine, du reste du monde. La barrière que le verre formait, renfermant la douce liqueur, disparaissait, se fondant aux lèvres qui happaient avec envie son contenu, la seule limite à son existence n'étant plus que l'esprit de son possesseur.
Après avoir pris une dernière lampée, Alaric posa rageusement le récipient, à présent vide de toute substance, sur la table basse, couleur d'ébène. Cependant, son geste fut trop brusque pour le simple morceau de verre, qui vint s'écraser sur le sol, se brisant de toute part. Fulminant de colère, le jeune homme jura de la plus grossière des manières. Pris d'un excès de rage intense, il assena un coup d'une violence inouïe dans un mur, déjà bien amoché par le passé, qui ne tarda pas à prendre une teinte rougeâtre.
Ne tenant plus en place, Alaric attrapa vivement les clés de son piètre appartement, saisissant son incontournable veste en cuir noire, et quitta ce qu'il décrivait comme étant son exutoire personnel.
Quelques instants plus tard, il se retrouva assis à la place qu'il avait l'habitude d'occuper, dans le bar qu'il hantait dès qu'une crise pareille survenait, cela signifiait, quotidiennement. À force de passer le plus clair de son temps avachis sur son misérable tabouret, il faisait à présent parti du décor, comme un parasite dont il était impossible de se détacher, peu importe la force avec laquelle on avait beau essayer.
Alors que le jeune homme, écumant de rage, attendait que quiconque ne daigne s'occuper de lui, une main s'approcha de lui, tenant un verre plain, d'un liquide transparent. Alaric le saisit, sans un remerciement, se contentant de le porter immédiatement à ses lèvres sèches. La première gorgée lui brûla la gorge, laissant une traînée d'amertume. La seconde tarit sa colère. Et enfin, la troisième le noya dans cette douce sensation de quiétude, qui le saisissait à chaque fois qu'il s'abreuvait d'un pareil mélange, qu'il qualifiait dans ses rares moments de sobriété, de boisson divine.
- Monsieur ?
Une voix parvint à l'oreille du jeune homme, d'une manière sourde, lointaine. Pourtant, cette dernière n'était qu'à quelques pas de lui, se rapprochant inexorablement. Se sentant interrompu de manière impromptue dans sa routine, il décida de jeter un bref regard, empli de mépris, à quiconque qui osait l'importuner ainsi. Quelle fut sa surprise, lorsqu'il aperçu une jeune femme, à peine plus haute que le bar, s'approcher de lui, un air aigri s'associant très mal à la beauté de son visage.
- Excusez moi de vous ennuyer de la sorte, mais la jolie femme au bar vient de vous servir un verre, et vous n'avez même pas pris la peine de la remercier, un sourire aurait suffit vous savez. Ne vous a-t-on jamais appris la politesse, dans la tanière de laquelle vous avez l'air de sortir ? Ou êtes-vous tout simple trop machiste pour accorder un intérêt quelconque à une femme ?
Pendant un court moment, Alaric fut pris de court, ne sachant que répondre, face à la hargne de la jeune femme. Cependant, il reprit rapidement ses esprits, se rendant compte, par la même occasion, que l'attention était braquée sur eux.
- À qui ai-je l'honneur ? Une féministe en herbe ? rétorqua-t-il.
- À qui ai-je l'honneur ? À l'alcoolique du coin, qui se croit tout permis, grâce à ses airs de tombeur, reprit-elle une mimique moqueuse aux creux des lèvres.
- Seriez-vous tombez sous mon charme ? Il fallait me le dire plus tôt, si c'est un autographe que vous souhaitez.
La naissance d'un sourire prit forme sur le visage d'Alaric, même si, cependant, ce dernier s'effaça à une vitesse éclair sous le regard courroucé de la jeune femme. La moue de l'inconnue chassa sa bonne humeur, aussi rapidement que cette dernière fut apparue. Alors, afin de couper court à cette entrevue, il se contenta de reprendra sa place d'alcoolique hostile, et pour ce fait, lâcha simplement :
- Ma fiancée est morte.
Après coup, il se tourna de nouveau face au bar, apercevant une brève éclat de pitié qui passa dans le regard de l'étrangère, et c'était ce qu'il haïssait le plus, la pitié que les gens ressentaient à son égard lorsqu'ils connaissaient son histoire.
- Et c'est votre excuse pour vous comportez comme un demeuré envers les gens ? Vous savez, au fil du temps, les gens en auront marre de se sentir désolés pour vous, et vous finirez seul, comme le misérable et méprisable alcoolique que vous êtes.
Son discours sonnait tel une morale à l'égard d'Alaric, ce qui lui déplut fortement. Elle, qui avait réussi à percer une faille en lui, lorsqu'elle avait réussi à le faire sourire, ne lui inspirait que du mépris désormais. Il se haïssait pour ce moment de faiblesse, auquel il s'était laissé allé. Pour le jeune homme, son geste était perçu tel une trahison envers sa défunte fiancée, disparue dans de funestes circonstances. Alors, il engloutit la totalité de son verre, d'une traite, noyant sa peine. Redevenant le grossier personnage, dont il endossait le rôle, il cracha dans la direction de la jeune femme, sans pour autant oser la regarder :
- T'as pas autre chose à faire, petite...
Cependant, il ne put se résoudre à tant de vulgarité, et s'arrêta dans sa lancée, laissant sa phrase en suspend.
- Allez-y, insultez moi si cela vous plaît, soit. Mais vous savez quoi, votre copine là, est mieux là où elle est maintenant. Au moins, elle n'a pas à voir le médiocre alcoolique que vous êtes devenu.
Ce fut la parole de trop, Alaric fut pris d'une rage folle. Incontrôlable, il se leva brusquement, les paumes ensanglantées, par le verre qui s'était brisé sous sa poigne ferme. Ses mains se fermaient de manière compulsive, comme s'il luttait contre lui-même, bien qu'il savait qu'il s'agissait d'un combat perdu d'avance. Il s'approcha à grand pas de la jeune femme, qui avait osé l'importuner, la rage au ventre, puis soudain, le néant.

Si seulement...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant