1. No fui yo

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Cigarette à la bouche, pantalon à chaînes. Un regard vers l'horizon, brouillé par la fumée grisâtre, crachée toutes les quinze secondes. 

.. Non, ne partez pas tout de suite. Vous avez ouvert cette page avec le bouton gauche de votre souris ou l'écran tactile de votre téléphone, avec l'espoir de tomber sur la parfaite biographie de Ruggero Pasquarelli. Supposé que tu veuilles en découvrir une de la sorte, alors il te suffit simplement d'ouvrir mon premier livre. Sinon, tu aurais dû me demander d'en écrire un autre deux mois plus tôt. Parfois, il faut juste attraper au vol les occasions qui feraient de nous quelqu'un de meilleur, quelqu'un de plus heureux.  Si tu es un de mes fans les plus fidèles, tu attendais avec impatience cet ouvrage, parce que tu n'avais plus entendu de mes nouvelles depuis longtemps. Mais si tu es dans l'autre tas, celui des gens qui me regardent avec un air dédaigneux et méprisant, alors tu vas brûler ces pages dans l'espoir de ne plus jamais les revoir de toute ta vie. Et dans mes souvenirs, cette catégorie comporte les trois quarts des personnes qui me connaissent, qui ont déjà entendu parler de moi. 

J'ai tout avoué, ce 11 juin 2017. J'ai débarrassé mon cœur de toutes les saloperies qu'il portait depuis, pour certaines, le début de ma carrière. Lorsque j'ai signé mon premier contrat dans le monde la musique, on m'a formellement interdit de me montrer réellement, étant donné que nul ne voulait me voir de cette façon et que mon avenir allait être gâché. 

Pendant trois ans, je n'étais pas moi

Je me souviens de mon discours à la télévision, chaque jour il se répète dans ma tête, comme si ma conscience m'en voulait, elle aussi. Les questions arrivaient de tous les coins du monde, on m'interrogeait sur mon éventuelle petite-amie, âgée de six ans de moins que moi. Cette rumeur avait lancé une polémique, sur le fait que je sois majeur et elle non. Et puis, on me demandait pourquoi je n'étais plus naturel dans mes prestations. Je ne l'ai jamais été, ils avaient uniquement commencer à découvrir la personne cachée sous ce costume d'homme sans défauts, avec un physique de rêve et toutes les filles à ses pieds. Mon manager, dont j'ai décidé d'oublier le nom une bonne fois pour toute, ne cessait de critiquer l'allure que je présentais. Et cette fois-ci, c'était la goutte de trop. Je me suis levé brusquement, arrachant de la même manière ma chemise étoilée. Cette dernière cachait un long t-shirt, déchiré au niveau de mes deux flancs. Néanmoins, le nombre incalculable de tatouages sur mes bras choqua davantage. J'avais récupéré le micro entre mon pouce et mon index, tandis que je remarquais plusieurs doigts se pointer au niveau de mes hanches. Qu'est-ce qu'ils pensaient, qu'il n'y avait que mes membres inférieurs de transformer ? Je me suis avancé près du public et de la caméra principale en même temps, les sourcils froncés, puis je me suis mis à parler. 

« Je ne suis pas celui que vous croyez. Avais-je commencé, sèchement. Je ne suis pas le genre de chanteur qui accepte les câlins, les photos ainsi que les autographes à chaque croisement de rue. Je suis caché derrière un déguisement d'homme gentil depuis que mon nom s'est affiché sur un magazine. J'en ai plus que marre de suivre la norme, de baisser les armes face à mes supérieurs qui me dictent ce que je dois faire, soi-disant pour que ma popularité explose. Ça me fait chier, clairement. Je suis persuadé qu'à ce moment précis, votre corps bouillonne de l'intérieur et que vous voulez me sauter dessus pour m'étrangler. Contrairement à tout ce que vous pouvez penser, ce métier, j'en ai toujours rêvé, mais pas de cette façon là. Je me suis dégoûté des mélodies, des instruments de musique, des vocalises et tout ça à cause d'une société bornée et renfermée ! J'ai souhaité donner corps et âme dans mon travail et vous aimez plus que n'importe qui, mais ça ne s'est jamais produit. Et non, je ne vous aime pas, je ne peux pas vous aimer. Sur ce, je vous déclare mes adieux, sans remerciements. »

Ensuite, plus personne ne m'a jamais revu. J'ai empoigné mes affaires et je me suis cassé, en claquant bien fort la porte après avoir franchi le seuil de la libération. 

Pour l'avant-dernière phrase de mon monologue, je tenais à ajouter une petite précision. J'aime les fans qui me soutiennent toujours, qui gardent la photo de ma vraie personne dans un coin d'un de leurs appareils électroniques, malgré mes aveux difficiles à avaler et à encaisser. Ces individus sont tellement rares et précieux, que je souhaite les garder dans une partie de mon cœur scellé pour le restant de mes jours. 

Je ne suis pas loin de la ville où j'ai subitement disparu, mais je ne peux pas vous révéler l'endroit dans lequel je me cache. Ou plutôt, l'endroit dans lequel je peux enfin vivre comme je l'entends. Avec Karol. Karol, c'est la fille de tous les débats. J'avais fait une apparition sur le casting d'une série, pour chanter et jouer quelques scènes. C'est à ce moment-là que je l'ai rencontré et qu'en un regard, elle m'a donné le courage qu'il me manquait. Elle fut la première personne, en dehors des employés de mon label, ma famille, mes amis, à découvrir le vrai Ruggero. Elle fut la première à ne pas avoir écarquillé les yeux d'horreur en découvrant toutes mes facettes, mis à part mes amis. Parce que eux, ils sont comme moi. Elle et moi sommes au contraire plus que différents, avec beaucoup de points en commun à la fois. Elle a trouvé mon véritable sourire, bien que je croyais qu'il avait déserté la planète depuis un bon moment déjà. Je l'aime tellement, si vous saviez. Je donnerais ma vie pour qu'elle soit heureuse. Elle m'a dit un jour, qu'elle ne pouvait être heureuse qu'à mes côtés. Alors je l'ai emmené avec moi, dans ce lieu mystérieux. Je rêve de terminer mon existence dans ses bras, après l'avoir embrassé comme jamais je n'aurais pu le faire. 

J'écrase doucement ma cigarette sur le muret et je glisse à la fin du cahier ligné une photo d'elle. C'est en partie grâce à elle que ce livre ne possède pas que des tournures atroces et négatives. Je ne la remercierais jamais assez pour ça. 

En entendant des pas se rapprocher, je tourne la tête, arquant un sourcil, celui-ci percé de deux faux diamants. Je la remarque, puis je la prends dans mes bras. Par la suite, je dépose un baiser dans le creux de son cou et je me retire pour l'admirer. Sa beauté n'égale celle de personne d'autre. Je lève le cahier vers elle, tandis qu'elle m'adresse un hochement de tête. Je me mets à courir en direction de la rue la plus proche et glisse mon bloc de feuilles dans une boîte aux lettres, avant de fuir, une nouvelle fois. 

One Shot | Ruggero PasquarelliWhere stories live. Discover now