Où sont les trans ? (page 1)

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Je suis là, dans cette foule. Je suis vivante. Ou plutôt, je suis vivant. Nous marchons depuis maintenant une heure à travers la ville. Nous sommes tous unis. Nombreux sont les couples qui se donnent la main, entourés des manifestants, et qui s'embrassent passionnément, enroulés dans des drapeaux de toutes les couleurs.

Le drapeau arc en ciel... Ça fait bien longtemps que ce drapeau ne représente plus uniquement les gays mais la communauté entière, et pourtant il n'y en a toujours que pour eux. C'est eux qu'on acclame, c'est eux qui s'expriment.

« Je suis fier ! Fier de m'assumer en tant que gay !

– Fier d'être homosexuel !

– Heureuse d'être une lesbienne sortie du placard !

– Avant d'être une fille qui aime les filles, je suis une fille qui aime ! »

On les aime, les homosexuels. Ils constituent une grande partie de notre communauté ; ils militent activement pour quelque-chose de magnifique, mais... Que faites-vous des bisexuels, des pansexuels ? Puis des biromantiques, panromantiques, aromantiques, demiromantiques ? Que faites-vous des non-binaires ? Et à la fin, que faites-vous des transgenres ? Où sont les autres FtM ? Et les MtF ?

J'ai beau épier les couleurs qui m'entourent, je ne vois que six bandes rouges, oranges, jaunes, vertes, bleues et violettes autour de moi. Pas le moindre drapeau bleu, rose, blanc, puis rose, puis bleu. Pas non plus de drapeau rose, violet et bleu ; ni de drapeau rose, jaune et bleu ; ni de drapeau rose, blanc, violet, noir et bleu ; ni de drapeau vert, jaune et gris... Certes, le drapeau arc en ciel à lui seul est censé représenter la communauté LGBT+, mais les gens ne voient que gay. Mais non, il n'y a pas que les gays !

Certaines personnes autour de moi pensent que je suis lesbienne, et que je n'ai pas à me plaindre, puisque j'ai suffisamment de visibilité. Mais je ne pas lesbienne, moi, je suis hétéro. Que fais-je dans une Gay Pride, me direz-vous ? Et bien de un les hétéros aussi ont le droit d'y aller, de deux je ne suis pas dans une Gay Pride mais dans une Pride tout court, et de trois je suis transgenre. FtM, plus précisément. J'ai ma place aussi parmi cette communauté, il me semble ! Je suis représenté dans les quatre premières lettres, je suis même représenté avant le + ! Et pourtant, les gens ne voient que les homosexuels cisgenres et, avec un peu de chance, les bisexuels cisgenres. Les gens ne savent même pas qu'il existe le mot cisgenre pour faire la différence avec transgenre, parce qu'ils pensent que les personnes cisgenres sont normales, et n'ont pas besoin d'un mot spécifique pour se définir. Et alors les personnes transgenres qui ont besoin de ce terme, sont-elles anormales pour autant ? Non.

Plus je marche, plus je suis bouillant. Chaque fois que le mot gay est prononcé, je serre les dents. Je me promets alors d'embrasser langoureusement la première personne à sortir le mot trans. Plus je m'enfonce dans la foule, plus je me sens délaissé. Il n'y a que des gays et des lesbiennes autour de moi ou quoi ?! Les autres LGBT+, les pauvres, ils ont dû croire que parce que le nom commun de ce festival était Gay Pride, ils n'étaient pas concernés. Mais revenez, bordel ! Les autres queers, les non-binaires, les trans, où sont-ils à la fin ? Je me sens si seul...

J'ai 19 ans, je m'appelle Gaël. Gaël, et pas Gaëlle. Ça fait bien trois ans que j'ai fait mon coming-out à mes parents, ils ne veulent toujours pas le croire. De toute façon, vu que maintenant je suis majeur, je prends des hormones sans avoir besoin de l'accord de mes parents. Enfin. Toute cette patience aura fini par payer. Ça fait bien 10 ans que j'ai réalisé qu'il y avait quelque-chose qui ne collait pas. Je n'étais pas comme les autres filles. À 9 ans, j'ai songé à me dire que c'était parce que je n'avais pas l'impression d'en être une, de toute façon. Et puis cette idée est restée, et s'est avérée vrai. Le pire, c'était 2 ans plus tard, au début de ma puberté. Quel malaise, mes premières règles et mes débuts de seins... Je m'en rappelle encore. Heureusement qu'aujourd'hui jec onnais l'existence du binder. Chaque fois que je dois sortir, je le mets. Je ne le garde pas plus de 8 heures par jour, comme indiqué par mon meilleur ami lui aussi FtM. En ce moment il est malade, il n'a donc pas pu m'accompagner. Je lui ai promis que je lui raconterai la Pride, et je ne courrai pas chez lui avant d'avoir entendu le mot transgenre sortir de la bouche d'un des manifestants.

La prochaine fois je pète un câble, me promets-je. C'est alors qu'un homme marchant à côté de moi s'exclame :

« GLOIRE AUX GAYS ! »

Où sont les trans ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant