Hantise

24 5 8
                                    

Au début ce n'est rien.

Mais d'un coup, ça sort de nulle part, il suffit d'un geste, d'un lieu, d'une personne, d'une phrase, d'une chanson, d'une paire d'yeux et puis tout bascule.

Moi je vois des flashs. Juste une scène et puis mon esprit s'emballe.

Une fille qui crie, au sommet d'une falaise, ses longs cheveux bruns battant le vent. Une autre aux cheveux fous et aux yeux bleus qui sourit d'un air malicieux.

Deux garçons assis sur des chaises en plastique bleu foncé, le soir lorsque le crépuscule laisse sa place à la nuit noire, ils se ressemblent comme deux gouttes d'eau et je les vois distinctement, ils se parlent d'un air grave. Je sais même de quoi ils parlent, dans un éclair j'ai compris qui ils étaient, avec quelle force ils s'aimaient et comment ils sont arrivés là. Je les ai rencontrés, il y en a même un des deux qui m'a dit son prénom sans que j'ai eu besoin de le chercher. C'était juste limpide, un équilibre entre son physique et son caractère. J'aurais aimé qu'il s'appelle autrement mais ce n'est pas moi qui ai choisi, c'est lui.

Il est venu, comme ça, avec son sourire désarmant, et il m'a expliqué la situation. J'ai bu ses paroles et j'ai compris.

Et puis il y a encore une scène que je vois, elle m'est apparue d'un coup, sans prévenir, alors que je revenais de l'océan, pédalant sur mon vélo le plus vite possible, le vent dans les cheveux et pressée de rentrer parce que j'avais ramené la dune du Pyla avec moi.
C'est une image, juste une image. Mais c'est le début de quelque chose. Et depuis, ça me hante.

Ce n'est pas facile, c'est frustrant. J'ai envie de me jeter sur le clavier immédiatement mais je sais que la dernière fois que j'ai été trop hâtive, ça m'est retombée dessus.

Quoi qu'il en soit, c'est une hantise. Tout me hante. Les personnages qui me dévisagent de leurs grands yeux clairs, un sourire idiot vissé aux lèvres, je les vois mais je sais qu'ils ne sont pas prêts, ils sont en chantier, en cours de construction, ils ne sont pas complets, comme un fœtus dans le ventre de sa mère, il faut de longs mois pour que l'embryon devienne un bébé prêt à naître. Les lieux me narguent eux aussi, figés dans l'attente de se remplir de vie, si irréelle soit elle.

Quelque part, je sais que c'est aussi moi. Moi qui ne suis pas prête à me plonger dans le projet, parce qu'il y en a trop et je ne sais pas lequel choisir. J'ai l'impression de ne pas bien faire les choses. Ces fantômes du futur viennent me hanter, déjà, alors que je n'ai pas fini avec ceux du passé. Je n'ai pas encore fait mon deuil, c'est ça qui est terrible, et pourtant je suis constamment en train de préparer le chemin des suites.

Deux parties de mon cerveau s'opposent et je les regarde faire, obéissant tantôt à l'une, tantôt à l'autre. La plupart du temps, la rêveuse me fait revivre une autoroute déserte et une voiture filant vers le soleil levant, ou encore une terrasse de café ensoleillée, une terrasse aux dalles moirées, orangées.

Et puis boum, l'autre reprend le dessus et me voilà à colmater avec la jongleuse, la déprimée, la réveillée mais perdue, l'amoureux amoureux, ou encore les jumeaux. Ils me frôlent et me murmurent à l'oreille. Même les fantômes du passé sont revenus me hanter récemment, avec des flashs de cinq ans en avance, alors que je viens juste de les laisser et qu'ils ont pris deux ans de ma vie.

Je m'y perds.

Midnight thoughtsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant