CONTE D'HALLOWEEN

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RENDEZ-VOUS AVEC LA MORT

La première fois était le trente-et-un octobre deux mille treize, le jour d'Halloween. Il s'était présenté à elle et lui avait demandé de l'appeler « Mort ». Il était effrayant, elle était sorcière. Il l'avait surprise avec ses grands airs, l'avait fait rire mais aussi un peu pleurer, le temps de consoler les morts. Ils avaient marché le long des côtes de Plymouth, par Madeira Road jusqu'aux quais de River Plym, non loin des bars. C'est dans un de ces fumoirs, « The Cider Press », imprégné du charme anglais, qu'ils s'étaient rencontrés. Il y eut une deuxième fois puis une troisième toujours à la même date mais pas la même année. Aujourd'hui encore, elle se retrouve assise sur cette même chaise, la table ne les séparant que de quelques centimètres. Jusque-là, leurs rendez-vous nocturnes ne lui avaient pas permis d'en connaître plus sur l'inconnu à la cape noire ; elle ignorait donc qui il était vraiment. Cette fois-ci, elle avait décidé de tenter sa chance et de voir jusqu'où cette aventure les mènerait.
« Toujours le même costume ? susurra-t-elle.
— Toujours.
Sa voix grave, légère et envoûtante l'avait entièrement conquise. Il était grand, très grand mais c'est tout ce qu'elle avait pu découvrir de lui. Un mystère, voilà ce qu'il était resté pour elle. Le premier soir, elle l'avait vite oublié. Elle avait eu des amourettes d'un jour, des histoires un peu plus longues, enfin généralement celles qui ne dépassaient pas un mois de vie. Elle eut un rire malicieux en y songeant.
— Qu'est-ce qui te fait sourire ? interrogea l'homme d'un regard qui cherchait la cause de ce gloussement si soudain.
— C'est toi, répondit-elle, sa main glissant discrètement vers ses bouts d'os.
Il lui avait souvent dit que c'était une illusion d'optique. N'empêche, son costume, pour sa part, était habilement fait. Elle l'avait d'ailleurs souvent félicité pour ce côté réaliste d'un faucheur d'âmes. Est-ce pour cette raison qu'il n'avait pas voulu en changer cette fois-ci encore ? se demandait-elle.
— Que regardes-tu ?
— Toi.
Elle soupira longuement puis reprit :
— Je te regarde. Tu m'obsèdes. C'est fou, en seulement deux rencontres, tu as fait de moi ta première fan.

La jeune femme prit une gorgée de sang frais – mélange de jus de fraises et de limonade – avant de tenter de poser sa main sur la sienne. Il se rétracta légèrement. Comme toujours, il se montrait distant.
— Vas-tu disparaître comme les autres fois, Mort ? s'inquiéta-t-elle.
L'homme la regardait, admirait ses pommettes roses puis sa mèche de cheveux qui retombait inlassablement sur ses yeux. Mais visiblement, cela ne la dérangeait pas de refaire le même geste. Il avança alors sa main droite et effleura de ses doigts la mèche noire qui déjà blanchissait légèrement. Les grands yeux amande de la jeune femme lui rappelaient ceux d'un de ces contes pour enfant que les Hommes aimaient bien citer, « La Belle au bois Dormant ».
— Je vais disparaître, oui, dit-il simplement.
Elle semblait désenchantée. La tête alanguie sur sa main gauche, elle se détourna alors vers le barman. L'homme inquiet reprit :
— Tu es déçue ?
Elle se retourna vers lui et le fixa plus sérieusement :
— Mort, dis-moi la vérité, as-tu quelqu'un dans ta vie ?
— Non, je te l'ai dit pourtant, je n'ai personne. Et toi ? As-tu refait ta vie ?
— Pas depuis que je t'ai revu l'année dernière.
— Te manquerais-je ?
Elle reprit une nouvelle gorgée et attendit qu'il en dise plus mais l'homme restait silencieux.
— Mort, tu es si mystérieux et si inaccessible ! J'aimerais que l'on se voie un peu plus souvent. Réponds-moi, souhaites-tu vraiment me revoir ?
L'homme qui jusqu'alors n'avait montré aucun signe de stress commença à hésiter.
— Lilly, je...moi aussi j'aimerais te revoir mais...cela risque d'être impossible.
— Pourquoi ? cria-t-elle, gênant le brouhaha qui diminua un instant. Pourquoi ? reprit-elle plus doucement.
— Lilly...viens, suis-moi. Allons ailleurs si tu le veux bien.
La jeune femme sans rechigner prit sa veste et son sac et suivit l'homme jusqu'à la sortie.
— Où m'emmènes-tu ? Brrr ! Il fait beaucoup plus froid que d'habitude ! dit-elle en se frottant les bras, espérant au fond d'elle-même qu'il la prendrait sous son long manteau noir.
Elle aurait voulu lui tenir la main et, ne serait-ce qu'une nuit, faire de lui son amant. Elle le suivit sans un mot à travers les ruelles.
— Lilly, aujourd'hui je vais te raccompagner chez toi, il se fait tard.
Et voilà, il avait encore échappé à un deuxième rendez-vous embarrassant. Elle s'arrêta alors brusquement, les bras croisés, détournant le regard ; elle boudait. L'homme se rapprocha de la jeune femme et voulut la prendre dans ses bras mais réprima son geste au dernier moment.
— Pourquoi Mort ? Pourquoi ne veux-tu pas m'enlacer, m'embrasser ? Pourquoi ne peut-on pas se tenir la main comme le ferait n'importe quel couple ?
— Lilly, ce n'est pas que je ne veux pas, c'est que je ne peux pas. Là est toute la différence.
— Explique-moi alors ! cria-t-elle, ou tout est terminé entre nous !
Le forcer pour en obtenir une réponse, pensa-t-elle. L'homme se retrouvait bien embêté et pour ne pas la perdre décida de lui confier son grand secret.
— Lilly, si je ne puis te serrer la main comme le ferait n'importe quel homme, t'enlacer et t'embrasser, c'est tout simplement parce que je n'ai pas de corps ni d'âme comme le commun des mortels. L'âme qui me maintient en vie est dangereuse pour les humains.
— Cesse de me raconter des sornettes et dis-moi la vérité ! Je t'en prie !
— Je te dis la vérité Lilly ! Tu m'appelles Mort car je suis la Mort, celle qui rapporte les âmes égarées. »
En colère et à deux doigts de verser une larme, la jeune femme tourna les talons et partit. Mort sentit pour la première fois depuis quatre ans une grande douleur l'envahir.

Chez la Mort l'ambiance était moins morne. Une petite pieuvre s'affairait à nettoyer l'antre, une grotte aménagée dans les profondeurs de la terre. Des têtes de morts faisaient office de tapisserie, quelques bougies éparpillées éclairaient l'espace et quelques meubles récupérés de la surface comblaient le vide. Le lit en fer comportait de la paille et une simple peau d'ours, le bureau, de la paperasse, une plume d'oie pour l'usage, une chaise vieillotte et un canapé sortis d'une décharge. Pas de coin repas, pas de coin toilette, vous l'avez compris, c'était mortel. Le petit animal qui avait terminé sa besogne se posa sur le bureau et attendit son maître. Justement la Mort qui n'était jamais en retard, rentrait tout juste de sa soirée.
« Ah tiens ! Mort, te revoilà ! dit l'animal.
La Mort glissa dans un filet de fumée noire et vint s'asseoir auprès de son amie. La petite pieuvre pas plus grosse qu'un chat flotta jusqu'aux épaules de son maître. Ses tentacules s'enroulèrent autour de son crâne et se mirent à le masser. On entendait les « plocs » des ventouses qui aspiraient puis se détachaient de l'os. L'animal sentit son maître fatigué et préoccupé.
— Mort, comment s'est déroulée ta soirée ?
La mort d'une voix plus grave et plus rauque lui dit :
— Oh Pieuvre ! Je crois bien être amoureux mais hélas je ne puis rien faire.
— Amoureux ? La mort serait tombée amoureuse et de qui, pardi ?
— D'une jeune femme des plus exquises, Pieuvre.
— Cette jeune femme aurait-elle un prénom ?
— Lilly.
— Lilly, Lilly, répéta-t-elle sans enthousiasme et un brin jalouse, la Mort serait amoureuse d'une jeune femme se prénommant Lilly, dit-elle sarcastique. Pendant que moi je m'étripe à nettoyer la maisonnée, toi tu t'en vas batifoler. Crois-tu que ces petits tentacules soient faits pour ça ? Non, ils sont faits pour nager, flotter mais pas pour être ta boniche, dit-elle encore, énervée, le corps flasque accompagnant ses plaintes.
Les « plocs » pourtant continuèrent. La pieuvre en colère n'était pas rancunière. La Mort soupira. La pieuvre lui demanda alors :
— Pourquoi soupires-tu Mort ? N'as-tu donc pas vu ta belle ?
— Pieuvre, oh Pieuvre ! Je l'aime mais je ne puis l'approcher, l'embrasser et la serrer dans mes bras, n'est-ce pas là la plus grande des frustrations ?
— Voilà quatre ans que cette histoire dure, Mort. Il serait peut-être temps de passer à autre chose. De plus, j'imagine que la damoiselle en question doit se lasser de ces longues absences.
— En effet Pieuvre. Lasse, elle l'est et moi je n'y peux rien. Je l'ai laissée partir sans la retenir.
La petite pieuvre attristée de le voir ainsi enlaça son maître pour le consoler.

Un an passa et voilà que la Mort faisait les cent pas, tournant encore et encore dans son antre comme une âme perdue. Il grognait, s'arrêtait puis recommençait.
— Mort voyons, que t'arrive-t-il ? Aurais-tu égaré ta liste ?
— Non Pieuvre mais, sais-tu quel jour on est ?
— Oui, bien entendu, nous sommes le seul jour où nous pouvons nous montrer aux hommes. La pieuvre s'arrêta de parler, fit fonctionner ses quelques synapses quand soudain elle se rappela. Mort ! C'est aujourd'hui Halloween, comptes-tu aller la voir ?
— Voilà ce qui me rend perplexe, Pieuvre. Devrais-je y aller alors qu'elle s'en est allée sans que je fasse quoi que ce soit ? Devrais-je espérer qu'elle puisse me pardonner ? J'avais tant attendu ce moment pour me montrer à nouveau à ses côtés. Mais tu vois, l'histoire risquerait d'être inchangée. Je ne pourrais pas la toucher, l'enlacer ou l'embrasser comme elle le voudrait. Que dois-je faire ? J'hésite. Que ferais-tu à ma place ?
— Si j'étais à votre place Mort, la belle je la courtiserais tant et si bien que même la distance ne serait pas un problème.
— Tu es vaniteuse, Pieuvre.
— Je dis ce que je pense. Rien ne sert de te lamenter comme tu le fais. Elle t'a bien attendu à chaque fois, alors pourquoi ne le ferait-elle pas aujourd'hui ?
— Tu as raison, je devrais y aller pour m'assurer au moins qu'elle ne soit pas là à m'attendre.
Si la Mort avait eu un cœur, on l'aurait senti battre depuis la surface tant son envie de revoir Lilly était grande.
— Je viens avec toi, Mort.
— Toi, Pieuvre ? Mais pourquoi donc ? Tu ne ferais que m'encombrer.
— Suis-je devenue en l'espace de quelques secondes une chose que tu utilises à ta guise ? s'énerva la pieuvre, se boursouflant et se faisant multicolore.
La Mort qui ne voulait point fâcher son amie l'invita donc sans grand enthousiasme à le suivre. La petite pieuvre était remplie de joie. Et pour cause ! C'était la première fois qu'elle allait voir de ses propres yeux globuleux le monde des humains.
— Mort, tu sais que j'ai beaucoup d'estime pour toi mais aujourd'hui je te vénère, dit-elle heureuse, agitant ses tentacules pour rejoindre l'épaule de son maître.
— Tu exagères.
Mort, lui, n'était pas si enchanté que ça.
— Si, si, je te le confirme. Tu es un homme bon, un homme courageux, un homme fidèle, un homme...
— Un homme mort, Pieuvre, interrompit la Mort.
Pendant que la Mort se dirigeait vers le fond du couloir, l'animal s'extasiait devant les pierres qui illuminaient leur chemin de cristaux de milles éclats diffusant une lumière arc-en-ciel.
— Mort, vois-tu ce que je disais, ce monde est rempli de merveilles et tu es le seul à ne pas savoir en profiter.
— Ne me fais pas répéter, Pieuvre. Tu sais que mon travail exige de moi une grande sagesse. Ces biens sont superflus lorsque l'on ne peut en profiter pleinement. Et puis j'ai trop de travail dans l'autre monde. À croire qu'ils ne pensent qu'à s'entretuer.
— Ne sois pas si défaitiste mon ami ! Des occasions, il en existe des tonnes mais tu es le seul à être aveugle.
— Suffit, où je te laisse à terre !
— Je n'ai aucune intention de te vexer. J'ai trop hâte de voir ce monde dont tu te plains si souvent. Et aussi les traits de cette jeune femme qui hante tes pensées. Je me demande à quoi elle ressemble.
— A une poupée, si je devais la comparer.
— Une poupée ? Et moi alors que suis-je à tes yeux ?
— Une lampe et une servante dévouée.
— Une lampe ! s'offusqua la pieuvre qui se remit à briller de rouge. Une lampe, moi ? Mort, je retire ce que j'ai dit tout à l'heure, tu es un idiot de ne pas t'apercevoir de la chance que tu as de m'avoir avec toi.
La Mort soupira, sentant venir le long discours sur la personne qu'est la pieuvre. Quelques minutes plus tard, ils arrivèrent face à un ascenseur.
— Mort, qu'est-ce donc ? demanda l'animal qui plissait des yeux pour mieux voir.
— Un ascenseur ma chère amie.
— Et à quoi cette chose métallique peut-elle bien servir ?
— A monter, Pieuvre.
La porte qui s'ouvrit lui permit d'observer l'intérieur de l'engin dont les parois étaient en bois tapissé de velours noir et le sol comme le plafond étaient éclairés d'une lumière si blanche qu'on ne pouvait en distinguer la matière. Le tableau de commande comportait une écriture ancienne rappelant les runes des gens du petit peuple. La Mort entra, tapota sa destination et attendit que les portes se ferment. La pieuvre surprise questionna à nouveau :
— Un ascenseur ? Et comment la chose fonctionne-t-elle ?
— Elle glisse, monte, descend mais jamais elle ne tourne.
— Un peu comme un labyrinthe. Et tu dis que tu peux aller n'importe où avec seulement trois boutons ? dit-elle, en frottant son crâne mou de l'un de ses tentacules.
— Oui chère amie, un bouton pour annuler, un autre pour valider et enfin un dernier pour effacer, sait-on jamais si tu te trompais de destination, tu risquerais de te retrouver devant la bouche des Enfers.
— Mais Mort, es-tu donc le seul à l'utiliser ?
— Non pas vraiment. Nous, les agents de la mort, utilisons le même réseau et donc pour ne pas encombrer la circulation, des horaires ont été établis. Un peu comme des lignes de bus.
— Qu'est-ce donc encore cette chose ?
— Un bus Pieuvre, et non une chose, tu me fais répéter.
— Tu dis avoir des horaires, mais je n'ai point vu de montre à ton cou, questionna l'animal curieux.
— Ce qui est tout à fait normal, voyons. C'est juste une question d'habitude. Il faut apprendre à regarder le déplacement des étoiles, le changement du temps et tous ces petits détails que l'on nous enseigne en tant qu'agent. Toi tu n'es qu'un mollusque. »
La pieuvre mécontente se remit à pester à tous les diables au grand dam de la mort qui se détesta. Cette fois-ci sa complainte dura tout le long du chemin où ils purent sentir l'objet métallique bouger dans tous les sens. Même les taupes vivant dans les galeries pouvaient entendre résonner la voix du mollusque.

Arrivé à destination, l'ascenseur ouvrit les portes donnant sur Exchange Street. Mort, dans un nuage de fumée noire, sortit comme une ombre tandis que l'ascenseur disparaissait aussitôt derrière eux. Dans les rues, la fête d'Halloween battait son plein et les humains déguisés en monstres se pavanaient et s'amusaient à effrayer les passants. Durant ce jour exceptionnel, au lieu d'être pétrifiés de peur, ces derniers se mettaient à rire et à les féliciter.
« Pieuvre, cache-toi sous mon manteau car même si aujourd'hui nous pouvons nous montrer aux yeux des Hommes, le danger qu'ils découvrent la vérité n'est pas exclu. Tu sais ce que je devrais faire si cela arrivait.
— Regarde bien autour de toi Mort, des monstres il y en a profusion. Que veux-tu qu'il nous arrive ? dit la pieuvre tout excitée, j'en suis un parmi tant d'autres.
La Mort soupira une fois de trop mais laissa son amie faire à sa guise. Alors qu'ils marchaient en direction du bar, des hommes, des femmes, des enfants faisaient des grimaces et des singeries, avaient des démarches douteuses, semblaient sortir de livres de série noire ou juste de paquets de bonbons colorés. La foule criait, s'agitait en danses endiablées dans les rues, sur les trottoirs, dans les maisons et même dans les bars. Celui où devait attendre Lilly, The Cider Press, se trouvait à quelques pas. À l'intérieur, une ambiance de fêtards avait empli la pièce. La mort maintenant habituée à cette folie, entra d'un pas assuré. Mais même le jour d'Halloween, les clients du bar restaient silencieux à son approche. La brume habituelle qui l'entourait semblait prendre possession des lieux, captivant tous les hommes, sauf le barman qui au bout de la cinquième année, s'était accommodé de son odeur. Mort vit au loin la jeune femme qui avait conquis son âme de défunt. S'il avait eu des muscles, on l'aurait vu sourire. Pieuvre qui s'était finalement cachée sous sa capuche observait le monde de ses minuscules yeux de mollusque. La mort s'approcha de la table et d'un simple geste dans l'air poussa la chaise. La jeune femme lui sourit alors :
« Bonsoir Mort. Je n'ai jamais compris comment tu réalisais ce tour. Il est toujours aussi bluffant. Quel est ton truc, tu peux me le dire maintenant ?
— Lilly ! l'appela-t-il soulagé. J'ai cru ne plus jamais te revoir.
La jeune femme se redressa puis fit glisser un verre à son attention.
— Je t'en ai pris un au hasard ; je ne savais pas ce que tu aimais : je n'ai jamais eu l'occasion de te voir un verre à la main.
— Lilly, m'en veux-tu pour la dernière fois ?
— Un peu oui, dit-elle tristement, mais j'y ai réfléchi, longuement d'ailleurs. Après tout, nous ne nous voyons qu'une fois par an. J'ai eu des aventures mais je me suis vite ennuyée. Ils n'avaient pas ton intérêt.
Mort se sentit épris. La jeune femme, certes « vache », lui plaisait de plus en plus. Les cornes qu'elle avait mises sur sa tête lui donnaient beaucoup de charme ainsi que son costume blanc à taches noires. Elle portait une moumoute qui cachait ses seins et un mini short en jean qui laissait entrevoir ses jambes fuselées. Sa ceinture en cuir, ses bottes et son chapeau de cowboy finissaient son déguisement ainsi que quelques fausses blessures sur le visage qui s'accordaient au thème. Mort, lui, restait le même.
— Et qu'as-tu conclu ? demanda-t-il, s'agrippant légèrement à sa faux, qui comportait plusieurs dessins de morts sculptés sur le bois rouge. La lame quant à elle, faisait briller à la lumière ses motifs celtiques dorés où une phrase écrite dans un langage ancien, le même que celui de l'ascenseur, était discrètement dissimulée.
— Mort, toi et moi, nous nous aimons, il faut se l'avouer. Mais il est étrange de construire une relation au bout de cinq ans et après seulement cinq rendez-vous. J'ignore ce que tu fais de tes journées, où tu vis, ce que tu aimes ... Malgré tout, je suis prête à t'accorder une autre chance. J'ai mûri, j'ai grandi mais je ne t'attendrai pas toute ma vie. Mort, dis-moi enfin la vérité, qui es-tu ?
— Je te l'ai dit Lilly, mais tu refuses de me croire.
— Tu voudrais me dire que tu serais la Mort, la vraie ?
— Mais puisqu'il te dit qu'il est la Mort, jeune fille ! rouspéta une voix sous la capuche.
La jeune femme sursauta. Elle y regarda de plus près et vit une forme gélatineuse bouger.
— Pieuvre, cesse donc de gigoter, tu risques de la faire fuir.
— Pieuvre ? interrogea la jeune femme.
D'un léger mouvement, l'animal sortit deux tentacules puis la moitié de son corps transparent du vêtement.
— Je sais bien que je ne suis qu'un mollusque mais il faut le dire, Mademoiselle, vous êtes bien bête de ne pas avoir remarqué plus tôt l'homme qui était en face de vous, dit-elle d'un ton narquois.
La jeune femme devenue rouge, Mort s'enragea contre la pieuvre et tenta de la faire sortir en l'extirpant par un de ses bras. Mais celle-ci restait désespérément accroché à son crâne. Les ventouses se délogeaient puis se remettaient aussitôt dessus. Au final, la Mort perdit patience et soupirant encore, la laissa à sa place.
— Mort, comment fais-tu ce prodige ? demanda Lilly étonnée de voir une marionnette aussi bien réussie.
— Lilly, je te présente ma fidèle partenaire, Pieuvre. Elle a insisté pour que je l'emmène. Je le regrette déjà.
— Allons Mort, ne vois-tu pas que cette jeune dame ne te croit pas ?
— Je le vois bien, mais que puis-je faire pour la convaincre ?
Lilly qui assistait à la conversation se posait de plus en plus de questions sur le mécanisme qui permettait au mollusque de bouger.
— Chère Damoiselle, que pouvons-nous faire pour vous convaincre que nous venons d'un autre monde ? interrogea la pieuvre.
— Me convaincre, mais de quoi ? Vous voulez me faire croire que vous n'êtes pas humains ?
En entendant une telle ânerie de la part de la jeune femme, la pieuvre tapota de son tentacule sur ce qui s'apparentait à un visage.
— Mais puisque je vous dis que nous ne le sommes pas !
— Pieuvre, laisse-moi faire. Lilly, suis-moi.
— Si c'est pour me raccompagner, non merci, dit-elle renfrognée. Je préfère encore rester là où je suis.
— Cette fois-ci, je te rassure, je répondrai à toutes tes questions.
Alors la Mort, tout comme à l'aller, repartit dans une ambiance de mort. Le silence se fit lorsqu'il se mit debout. Les clients qui, la seconde d'avant riaient aux éclats, n'osèrent plus montrer leurs fausses canines, la musique grésilla, les lumières s'éteignirent et se rallumèrent...Tous étaient figés face à Mort qui les dépassait d'une tête et dont le nuage maléfique imprégnait la salle tout entière.
— Mort, où m'emmènes-tu ?
— Nulle part.
— Nulle part ? Mais je ne comprends pas, demanda la jeune femme.
— Lilly, c'est à toi de me dire ce que tu voudrais que je fasse pour te convaincre de qui je suis.
— Qui tu es ? pensa-t-elle. Puis s'adressant à lui :
— Mais comment le savoir ? Tu pourrais être magicien que je ne le verrais même pas. Aurais-tu des pouvoirs où quelque chose qui serait propre à la mort ?
— Je récupère des âmes, n'est-ce pas là un prodige à tes yeux ?
— Des âmes ? Ah, ah ! Oui bien sûr, mais peux-tu me le prouver ? Tiens ! Avec ces fous furieux dans la Mustang jaune, là-bas !
— Humm...
— Tu ne crois pas que tu exagères fillette ! se fâcha la pieuvre, le tentacule pointant la brune.
— Qui traites-tu de fillette, mollusque ! s'énerva-t-elle à son tour.
Mort lui, se concentra sur le véhicule qui avançait en zigzaguant sur la route. Les trois adolescents hurlaient et gesticulaient fièrement dans le cabriolet qui avait largement dépassé la limitation de vitesse. La mort prépara sa faux qui s'agrandit d'un coup. Puis, après avoir calculé le bon angle, Mort, à l'approche du véhicule fou, trancha le convoi en deux. La jeune femme sursauta, la pieuvre sifflota tandis que la Mustang s'écrasait contre un arbre en contrebas. Une lumière bleue apparut comme un flash puis le calme de la nuit revint, sauf pour ces trois jeunes hommes qui s'étaient écroulés au moment où la faux les avait touchés. La lumière n'était autre que les trois âmes des garçons qui maintenant avaient l'apparence de trois petites boules d'énergie flottant autour de la pointe de la lame.
— Ah ! Mais...Mais...Mais...bégaya-t-elle, tu les as tués ? dit-elle avec étonnement. Elle le regarda au bord des larmes. Mais pourquoi ?
La mort s'étonna de sa réaction.
— Pourquoi donc ? Il ne fallait pas ? N'est-ce pas là ce que tu espérais de moi ? dit-il d'une voix grave.
— Mais tu les as tués, tu les as...
Elle le regarda, regarda la voiture en feu, le regarda à nouveau, interloquée.
— Tu me l'as demandé, s'offusqua la mort.
— Mais...reprit-elle difficilement. Ses mots ne semblaient plus vouloir sortir.
— Tu lui as demandé, reprit la pieuvre fière de son maître.
— Oui, mais je ne pensais pas que...
Elle se figea un instant dans un mutisme, incapable de réfléchir et de trouver une logique à ce qui venait de se passer devant ses propres yeux.
— Ne t'ai-je pas dit que je reprenais les âmes ?
— Tu m'as affirmé que c'était des âmes perdues. Eux étaient toujours en vie !
— Plus pour très longtemps, j'ai juste accéléré leur mort de quelques minutes.
— Ah ? Ohh ! se ressaisit-elle, tu veux dire qu'ils allaient quand même mourir ?
— N'as-tu pas vu qu'ils étaient zinzins ? se moqua la pieuvre.
Mort la dévisageait maintenant, craignant d'avoir fait une bêtise.
— Bien, enfin, je dirais si de toutes les façons c'était prévu qu'ils meurent...les pauvres ! Au moins ils n'ont rien senti, c'est déjà ça. Que va-t-il se passer maintenant ?
La mort regarda sa lame puis sourit secrètement. Il fit remonter la faux puis frappa fortement son bâton sur le sol. Au point d'impact, un losange transparent sortit de terre et attira les trois âmes à l'intérieur. La mort récupéra le cristal que son corps absorba juste après.
— Mon Dieu, tu manges les âmes ? s'écria Lilly paniquée.
Mort qui décidément allait de surprise en surprise se mit à rire d'une voix rauque et monstrueuse. Les jambes de la jeune femme flageolèrent tandis que la pieuvre tentait d'imiter son maître, deux tentacules sur ce que l'on pourrait prendre pour des hanches et une voix sortant d'outre-tombe. Voyant la peur dans ses yeux, il s'arrêta net, penaud.
— Oh ! Pardon, je ne voulais pas t'effrayer.
Lilly se reprit, bien obligée d'admettre que Mort ne lui avait point menti.
— Non, c'est à moi de m'excuser. Je suis la seule qui t'aie demandé de le faire. Elle mit une main sur son cœur comme prise de vertiges. Je me sens coupable, dit-elle sur un ton ironique, puis elle fut prise d'un fou rire.
Mort, heureux de n'avoir rien gâché lui demanda :
— Avais-tu d'autres questions à mon sujet ?
Redevenue sérieuse, elle respira profondément et commença à réfléchir. Des questions, elle en avait des tas mais les plus importantes, celles qui la démangeaient, passaient en priorité.
— Oui Mort. J'aimerais savoir où tu habites quand tu ne fauches pas ?
— Eh ben, ça ma vieille, t'es pas près de le savoir, lui répondit la pieuvre.
Mais avant même qu'elle ne finisse sa phrase, la mort d'un coup de faux dans le vent les précipita près des côtes rocheuses de Plymouth. La jeune femme cria de peur lors de l'atterrissage pensant s'écraser sur le sol mais avec habileté, la mort ralentit sa chute. Encore sous le choc mais maintenant consciente du surnaturel qui entourait l'homme de son cœur, elle s'apaisa. Une fois debout, Mort allongea le bras en direction de la mer.
— Je vis au-delà de ces terres à quelques milles des côtes bretonnes.
— Tu...tu es Français ? s'étonna-t-elle avant de s'esclaffer. La mort est française et de surcroît bretonne, si on me l'avait dit, ah, ahah ! pleurait-elle de joie.
Mort qui ne trouva pas sa blague de bon goût la regarda d'un air sérieux et désapprobateur de même que Pieuvre. La jeune brune se tut, sentant le malaise.
— De toute façon, tu n'aurais jamais pu venir nous voir. Tes goûts sont trop raffinés pour l'antre de mon maître, se désola l'animal.
Lilly s'attrista de savoir qu'une chose de son amant si particulier lui était inaccessible. Mort s'enragea à nouveau contre Pieuvre qui avait encore blessé la jeune femme. Il la prit si rapidement que Pieuvre ne put s'accrocher comme elle avait l'habitude de le faire. Elle était maintenant suspendue au bras de Mort à plusieurs centaines de mètres au-dessus de la mer.
— Pitié maître, je ne supporte pas le sel ! avoua la pieuvre trompeuse.
— Une pieuvre qui ne supporte pas le sel ? J'aurai tout entendu ce soir, se moqua Lilly.
— Pitié, pitié, pitié, répétait-elle dans un murmure sans fin. Lilly, supplia-t-elle enfin.
— Tu peux la relâcher ! Une amie comme elle, tu n'en trouveras pas deux.
La mort rapprocha le corps flasque qui alla rapidement se planquer sous sa capuche.
— Souhaiterais-tu savoir autre chose Lilly ? demanda Mort plus serein.
— Pardon, j'ai l'impression de jouer la difficile, mais oui, j'ai une dernière question, en tout cas pour ce soir. Vois-tu, tu m'as confié ton secret et je te remercie. Tu es la Mort et j'en prends conscience petit à petit. A vrai dire, l'année dernière j'avais même imaginé ce scénario improbable. Mais aujourd'hui, tout ceci est bien réel ; en particulier le fait que je ne pourrai jamais te toucher ou te voir quand je le voudrai. Mort, mon cœur t'a aimé et même maintenant il bat encore pour toi, mais comment pourrais-je envisager un avenir avec la Mort ?
— En effet Lilly, c'était aussi le problème qui me faisait perdre le sommeil.
— Tu peux dormir ? demanda-t-elle surprise.
— Non très chère, c'est une métaphore, répliqua Mort ironique. J'ai cherché une solution mais je n'en ai point trouvé.
La pieuvre qui avait repris confiance, montra le bout de son nez :
— Il est dommage de voir deux êtres s'aimer sans pouvoir se toucher. Je vous plains. Si seulement tu pouvais intégrer un corps mortel, ça simplifierait les choses.
Soudain, Mort eut un instant de lucidité.
— C'est faisable, dit-il simplement.
— Mais alors, interrogea Pieuvre, pourquoi ne pas l'avoir fait plus tôt ?
— Je n'y avais pensé.
La jeune femme comme l'animal en restèrent abasourdis, la mort honteuse.
— Ce serait une solution, mais vois-tu il y a un hic, dit-il songeur.
— Lequel ? demanda Lilly les yeux plein d'espoir.
— Pour que cela soit réalisable, je devrais intégrer un corps sans vie qui viendrait tout juste de mourir. Mais je ne pourrais y rester que quelques heures tout au plus.
— Quelques heures, c'est-à-dire ? s'inquiéta-t-elle.
— Douze heures au grand maximum, tout dépend de l'état du cadavre. Cela nous sert en général à accomplir nos missions si la faux ne peut trancher.
— La faux aurait-elle une défaillance technique ? se demanda le mollusque étonnamment sérieux.
— Il arrive parfois que des hommes puissent nous voir et refusent malgré leur destin, de nous suivre. A ce moment-là, la faux ne peut plus récupérer l'âme qui ne le souhaite pas.
— Mais ces garçons ne souhaitaient sans doute pas mourir, pourtant la faux a fonctionné ? interrogea-t-elle.
— Elle a fonctionné car ils ne m'ont vu, ni mon instrument et de ce fait ne pouvaient fuir la Mort elle-même.
— C'est belliqueux !...Saugrenu ! dit la pieuvre d'un ton grave. En gros, nous pouvons échapper à la mort si nous la voyons.
— En quelque sorte oui, Pieuvre. Tu peux si tu la vois et le désire. C'est pour cette raison qu'il nous est permis d'utiliser des corps mortels pour finir le travail.
— Et que se passerait-il si jamais ta mission venait à échouer ? demanda à son tour la jeune femme.
— C'est impossible voyons, car l'homme est mortel et un jour ou l'autre, il devra mourir.
— Mais à quoi servez-vous donc si au final il peut mourir seul ? pensait-elle, l'esprit de plus en plus embrouillé.
— Je te l'ai dit Lilly, je récupère les âmes perdues, celles qui ne retrouvent pas le chemin ou celles comme ceux de ces trois garçons qui auraient pu rester sur Terre et provoquer beaucoup plus de dégâts ou de victimes.
— Plus de victimes ? demandèrent-ils en chœur.
— Une bonne âme ne cherchera pas d'histoire. Une mauvaise tentera d'en tuer d'autres dont l'heure n'est pas encore venue en provoquant des accidents, des catastrophes et j'en passe.
— Je comprends un peu mieux ! se disait la jeune femme, une main sur la hanche et se grattant la tête de l'autre. Mais cela signifie quand même que l'on pourrait se voir plus souvent, non ?
— Lilly, je ne veux pas te décevoir mais as-tu déjà vu un cadavre ? La brune se sentit mal en y repensant. Un cadavre, reprit Mort, peut être boursouflé, avoir des blessures dérangeantes, un ou plusieurs membres en moins et je ne parle même pas de l'odeur.
— Je confirme, attesta Pieuvre, ça chlingue, ça empeste et c'est vraiment pas beau à voir.
Lilly se mit à réfléchir, hésita, regarda Mort puis se tourna. Se réveiller tous les matins à côté d'un cadavre, elle s'y refusait d'autant plus que la trombine changerait à chaque fois. Malgré tout, elle voulait y croire.
— Mort, faisons un essai. Si je parviens à supporter le choc alors nous pourrions nous voir un peu plus souvent. L'avenir nous en dira plus. Dans le cas contraire, nous ne pourrions continuer cette relation éphémère.
— Lilly, je reste convaincu de ton amour et j'espère pouvoir te revoir le plus rapidement possible. Je ferai de mon mieux pour choisir mon hôte. Pieuvre, laisse-nous un moment je te prie.
— Je comprends parfaitement, mon ami. Pose-moi sur cette branche s'il te plaît. Je t'y attendrai aussi longtemps que tu le voudras.
— Je te remercie Pieuvre. »
La mort déposa le mollusque puis partit rejoindre la jeune femme devenue timide à son approche. Le couple étrange marchait le long de la falaise, se remémorant leurs soirées d'Halloween. Ils restèrent ainsi pendant des heures oubliant presque la pieuvre qui se chagrinait dans son coin. Au petit matin, Mort réveilla Pieuvre qui était à un tentacule de tomber de l'arbre.
« Mort, c'est toi ? dit l'animal à moitié endormi. J'ai cru que tu m'avais oublié.
— J'aurais pu en effet, mais qui s'occuperait de mon ménage si je l'avais fait ?
Le mollusque offusqué était maintenant parfaitement réveillé.
— Tu peux me relâcher sur cette vieille branche, j'y étais à mon aise, dit-elle vexée.
— Vraiment ? Tu souhaites rester ici ? Dans ces plaines rocheuses ?
Pieuvre ne disait plus rien, boudant son ami qui le traitait comme un meuble. La Mort le redéposa alors sur la branche puis partit lentement sachant le mollusque sentimental. En effet, après seulement trois pas, cette dernière se mit à gémir et à le supplier, demandant pardon de s'être fâchée. La mort revint sur ses pas et prit le mollusque dans les bras, caressant – une fois n'est pas coutume – la petite tête flasque.

Une semaine plus tard, Mort semblait de très bonne humeur. L'essai avait été concluant malgré quelques réticences au départ. La jeune femme ne voyait plus vraiment les bouts d'os dépasser de la chair, les plaies ouvertes, les objets logés par endroits et un visage différent à chacune de ses rencontres. Son malaise n'avait pas disparu pour autant ; elle avait accepté de ne plus regarder l'apparence mais juste se souvenir de l'homme dont elle était tombée amoureuse. Mort quant à lui se réjouissait de revoir celle qui le faisait chavirer. Dès qu'il le pouvait, il partait la rejoindre espérant trouver un corps qui puisse lui convenir. Mais au bout d'un mois, la brune se lassa de ces morts qui défilaient devant sa porte. C'est la veille de Noël qu'elle avoua à son amant l'étrangeté de cette relation et son désir d'en finir. Ce soir-là fut le plus triste pour la mort qui dut trancher de surcroît une vingtaine d'âmes dispersées sur les lieux d'un grave accident de train dans le tunnel sous la Manche.
De retour de Plymouth, la mort erra longtemps avant de retourner dans son antre. Pieuvre qui l'attendait comme à son accoutumée, le vit s'approcher sans entrain.
« Mort, comment vas-tu mon ami ?
— Pieuvre, oh Pieuvre ! Je viens de perdre la plus belle chose de ma vie.
— Lilly ?
— Lilly. Son désir s'est éteint et elle n'aspire plus à cette vie macabre. Pieuvre, que devrais-je faire ? Je ne puis oublier et je ne puis effacer ces sentiments que j'ai nourris pour ma belle. N'y a-t-il donc aucune solution pour nous agents de la mort ? Sommes-nous vraiment condamnés à la solitude ? pensait-il tout haut.
— Solitude c'est vite dit ! Et moi dans tout ça, je sers à quoi ? A une lampe comme tu me l'as déjà suggéré, une encre dont tu peux te servir à loisirs ? Cette rupture était inéluctable Mort, et tu le savais déjà. En t'engageant avec cette humaine, tu as pris le risque d'y laisser ton âme.
La mort fatiguée, attristée et meurtrie de sa rupture avec la belle se laissa choir sur le lit de paille comme une plume portée par le vent.
— Mort ! Mort ! Relève-toi donc ! Ce n'est pas dans tes habitudes de te laisser envahir par des sentiments si fugaces.
Mais la mort se sentait vide, sans espoir. Un comble ! Elle se sentait mourir... Alors la petite pieuvre flotta rapidement dans les airs, rejoignit son maître et frappa de toutes ses forces à l'aide de ses huit bras ; un vain effort quand on possède des bras de guimauve. Épuisée de s'être acharnée sur un mort qui souhaitait être mort, la pieuvre en peine l'enlaça alors pour le consoler.

Quelques jours tard, Mort qui avait repris du service se dirigeait vers le centre, là où les âmes étaient stockées avant d'entrer dans le cycle de la réincarnation. Mort s'approcha du bureau, le seul dans cette immense grotte sombre éclairée par quelques améthystes incrustées dans les murs. Assis sur une chaise rafistolée, une autre Mort s'affairait dans des registres qui ne désemplissaient pas.
« Ludvic, te voilà enfin. Tu es en retard ! fit remarquer le percepteur, le nez toujours penché sur sa paperasse, la plume continuant par magie de remplir les cases de noms.
— Bonsoir Fishman, comme d'habitude les morts défilent chez toi. Ton bureau n'a jamais été aussi chargé.
— Oui, oui, ne m'en parle pas ! J'en ai pour une éternité au moins. Que m'apportes-tu ?
— Dix âmes, cela vaut bien un petit quelque chose, non ?
— Tu es payé par le conseil, non par moi.
— Ce que je veux dire, c'est que j'ai une question à te poser, Fish, dit-il en jetant les cristaux dans le grand puits situé à sa droite.
— Une réponse pour seulement dix âmes ? Ton cas doit être vraiment désespéré. Je t'écoute, qu'est-ce qui te chagrine, demanda Fishman, le regard obnubilé par ses fiches.
— Je suis amoureux.
A cette annonce, celui-ci tomba des nues.
— Amoureux ? Quelle vilaine chose que tu me sors là. Et de qui ?
— Une humaine, répondit Ludvic qui s'affala sur la chaise en osier.
— Une humaine ! s'écria le percepteur surpris par sa réponse. Ludvic, te rends-tu comptes que cela t'est impossible ?
— Je me rends compte en effet. J'ai tout essayé pourtant mais je n'ai pu préserver cet amour à cause de ces corps en décomposition.
— Ludvic de Kerkevan, voilà une bêtise qui te coûtera ton âme, âme qui durant l'Éternité, sera torturée pour avoir eu le malheur d'aimer une humaine.
Mort grommelait puis gémissait de tristesse, il le savait pourtant.
— Mais tu as de la chance ! reprit-il. Soudain l'esprit vif de Ludvic se remit à espérer : J'ai une très bonne amie qui pourra t'aider. Il va par contre te falloir faire un grand voyage.
— Jusqu'où ? demanda-t-il inquiet.
— La récompense en vaut la peine ! répondit Fishman, devenu sérieux, les coudes sur les feuillets et le menton posé sur ses mains jointes. Mort, attentif écouta dubitatif toutes les consignes de son ami : Sa demeure, tu la trouveras dans la bouche des Enfers. Le risque est que tu n'en reviennes jamais. Le contraire, est que tu pourras sans doute vivre avec ta belle.
— Fish, j'ai vécu assez longtemps et je me sens déjà mort. Dis-moi son nom et je m'y rendrai.
Le percepteur le regardait tristement, inquiet pour sa santé.
— La femme aux mille louanges sur sa beauté et réputée pour sa clémence se prénomme Perséphone. Elle vit en haut de la colline des âmes en peine.
— Fishman, voilà que tu me rends un très grand service, je ne l'oublierai jamais, sois en sûr.
— A condition que tu reviennes. »
Mort s'en alla le cœur plus gai – pourvu qu'il en eût encore –et le pas plus pressé de rejoindre son seul et unique espoir, Perséphone. De retour dans son antre, Mort se mit à hurler :
« Pieuvre ! Pieuvre ! Mais où donc te caches-tu mon amie ? Pieuvre !
— Du calme, du calme, je suis ici ! répondit Pieuvre dans un grognement sourd, sous ta robe Mort !
Mort embarrassé, s'excusa de sa maladresse puis enchaîna rapidement sur la bonne nouvelle qu'il venait annoncer :
— Pieuvre, un miracle s'est produit.
— Lequel ? demanda la pieuvre qui frottait son corps gélatineux endolori.
— Pieuvre, je sais comment récupérer Lilly.
— Vraiment ? s'inquiéta le mollusque.
— Le grand Fishman m'a conseillé d'aller voir son amie Perséphone dans la bouche des Enfers. A ce qu'il paraît, elle serait capable de me permettre de vivre avec celle que j'aime.
— Dans la bouche des Enfers ? N'est-ce pas là un endroit risqué pour les morts ? J'ai cru entendre qu'on en revenait jamais une fois le pied posé sur le sol en lave.
— En effet, c'est un risque à prendre.
— Mort, es-tu donc devenu fou ?
— Je le suis déjà, Pieuvre. Je pars sur le champ, souhaites-tu m'accompagner ?
— Tu connais déjà ma réponse. Où que tu ailles, j'irai les yeux fermés quitte à y perdre mon âme. »
La mort se réjouissait d'avoir une amie aussi fidèle, mais à cette allusion ne vit pas les sentiments du mollusque. Après avoir rassemblé quelques affaires, c'est-à-dire presque rien, ils partirent de bon matin. L'ascenseur qui ne tournait jamais arriva après de longues heures au pied d'un volcan souterrain. Il faisait une chaleur de diable. La porte formée de brouillard perdait quiconque tentait de sortir. Les âmes se retrouvaient alors coincées pour l'éternité dans cet enfer. Mort et Pieuvre eurent un pas d'hésitation avant de franchir ce mur épais, mais l'amour le rendant plus fort le poussa à trouver au fond de lui-même le courage d'affronter ces nuages toxiques. Au bout de vingt minutes de marche pénible, ils arrivèrent enfin vers un espace ouvert. Étonnamment, au-delà du sol en lave, de la brume mortelle et des ronces, se trouvait un monde enchanteur formé de verdures, d'arbres fruitiers, de cascades cristallines, de hauts bâtiments et d'une immense forteresse en son milieu qui n'avait pas son pareil.
« Est-ce donc là ce qu'on appelle l'Enfer ? s'exclama Pieuvre ébahie. Si c'est le cas, je veux bien y séjourner pour l'éternité.
— Détrompe-toi Pieuvre ! Ne te fie pas aux apparences. Derrière ces bâtiments, une prison, la plus horrible qu'il soit vous fait revivre mille tourments et nul ne peut en réchapper à cause des bêtes monstrueuses qui gardent jalousement cette vallée paradisiaque. Nous ferions mieux de hâter le pas avant qu'ils nous reniflent, dit-il en scrutant l'horizon.
D'un mouvement de faux, Mort et le mollusque se retrouvèrent propulsés vers les plaines.
— Où se trouve donc cette Perséphone ? demanda la Pieuvre tout de même admirative du paysage fantasmagorique.
— Sur le Mont des âmes en peine, le pic que tu vois au loin, répondit Mort se sentant proche de sa quête.
Une bourrasque de vent soudaine les fit monter puis redescendre rapidement pour atterrir dans un nuage de fumée noire que produisait la mort.
— Où sommes-nous ? demanda la pieuvre, les yeux encore fermés et les tentacules bouchant la vue de Mort.
— Sur un dôme en pierre, répondit-il en même temps qu'il retirait les ventouses de son crâne.
— Un dôme ? s'étonna cette dernière, tout en ouvrant ses petits yeux. Mais...il n'y a point de porte ! Comment y entre-t-on ?
— Il faut l'appeler, sourit la Mort, sûr de lui.
A l'aide de sa faux, il frappa le sommet du dôme d'où s'écroulèrent quelques pierres leur ménageant une ouverture. Juste en dessous, un immense trou abritait des plantes géantes carnivores. Plusieurs petites boules qui illuminaient l'espace s'affolèrent à l'arrivée de l'étranger. C'étaient des âmes errantes autour de ce trou gardé par la déesse des Enfers. Assise sur son trône, la tête appuyée sur sa main, elle regarda tranquillement la mort s'avancer lentement dans les airs : elle avait vu pire...
« Perséphone, je me présente...
— Ne dis rien. Tu es Ludvic de Kerkevan, un agent de la Mort breton. Quel est ton souhait car j'imagine que pour avoir franchi l'Enfer, il t'en fallait un.
— Vous avez vu juste. Je n'ai qu'un seul souhait, c'est de pouvoir vivre au côté de ma belle sans qu'elle ait à craindre de mourir par ma main.
— Un amour ? dit-elle songeuse. J'ai connu l'amour autrefois, mais aujourd'hui dans mon malheur, je vis une fantaisie, un simulacre s'apparentant à de l'amour. Heureux ceux qui peuvent parler en son nom. Je veux bien t'aider, la Mort, mais qu'as-tu à m'offrir en échange ?
— Ma faux, ce que j'ai de plus précieux.
— Des faux, j'en possède des milliers comme tu peux le constater, dit-elle en allongeant le bras en direction des armes et trésors amassés durant des siècles.
— Je n'ai malheureusement rien d'autre de valeur à tes yeux.
— Et les cristaux de la grotte, dit une voix sortie de nulle part.
— Qui est-ce ? Qu'il se présente immédiatement !
— C'est ma coéquipière mais aussi une amie fidèle, Déesse.
Pieuvre sortit timidement de sous la capuche.
— Une âme égarée, comme c'est étrange. Des cristaux dis-tu ? Va dans l'autre pièce et tu en trouveras des coffres entiers entassés dans la plus grande salle.
— Ton ami ta trompé Mort, s'énerva la pieuvre. Ce gredin ! Il mériterait des coups de fouet.
— Pieuvre...voulut gronder la mort.
— Silence ! interrompit la Déesse. Puis, après un temps de réflexion, elle posa la question : Qui donc est ton ami, la Mort ?
— Le grand Fishman.
A ce nom, les yeux de la jeune femme s'écarquillèrent. Elle avait entendu parler de ce Fishman et après avoir fait son enquête, avait découvert qu'il n'était autre que l'homme qu'elle avait aimé avant d'être enlevée par Hadès. Des siècles étaient passés mais son cœur n'avait point oublié.
— J'ai une proposition à te faire, la Mort.
— Je suis tout ouïe, dit-il heureux de pouvoir enfin réaliser son rêve.
— Tout d'abord, tu devras m'apporter une mèche des cheveux de ta belle et un bijou lui appartenant. Deux cristaux de ton antre et une chaîne en argent. Rapporte-moi ces choses et je pourrai exaucer ton vœu. Mais pour être sûr que tu reviennes, je garderai ton amie avec moi.
— Vous pouvez être sûr que je reviendrai, Déesse. Mon but est si proche qu'il me fait oublier ma propre mort.
— Alors, va et reviens-moi vite, dit-elle d'un geste de main.
— Une minute ! Une minute ! hurla le mollusque. Et moi alors dans tout ça ? Après m'avoir utilisée comme lampe puis encre, voilà que tu souhaites que je devienne ta monnaie d'échange ? Qu'ai-je à y gagner dans ta quête, Mort ? s'insurgea Pieuvre.
— Petite chose flasque, appela Perséphone, approche.
La pieuvre ne voulant point heurter la Déesse des Enfers, s'en alla tristement en direction de la jeune femme qui allongea le bras où elle put se poser. Celle-ci rapprocha l'animal de sa bouche et lui susurra quelques mots. Elle en rougit et on crut voir de loin des larmes couler sur ce qui pouvait être son visage. Translucide, elle rosit, bleuit, s'emporta avant de calmer son petit cœur qui battait la chamade. Pieuvre se retourna alors vers un maître interrogateur.
— Va Mort, ne sois pas inquiet, je t'attendrai comme toujours.
— Pieuvre...sa voix tremblait à présent face à un tel dévouement. Je reviendrai te chercher.
— Un instant, la Mort, prends cette lanterne, elle te guidera jusqu'à la sortie sinon tu te perdras sans fin, dit-elle en lui présentant la boîte jaune au pied de son trône.
La mort se rapprocha, prit l'objet, avant de disparaître d'un coup de faux dans sa brume cramoisie.
— Maintenant que nous sommes seuls, je vous écoute Déesse. Pouvez-vous véritablement m'aider ?
— Rien de plus facile, enfin presque. Vois-tu ces âmes qui rôdent autour de la fosse ? Ce sont des âmes en peine du monde des vivants, récupérées par les agents de la mort. Elles viennent à moi pour mourir définitivement. Ces végétaux que tu vois, ne sont pas n'importe quelles plantes carnivores. Elles ont la possibilité d'avaler les âmes perdues. En temps normal, tu aurais dû les rejoindre mais je ne sais par quel miracle, tu as rencontré Ludvic de Kerkevan. Celui-ci t'a gardé auprès de lui et toi tu t'es épris de cet homme. Du coup ton âme n'est plus en peine mais veut vivre. Quel dommage pour toi qu'il soit l'un des rares à succomber à la beauté d'une femme. Mais tu as encore une chance si toutefois tu arrives à faire signer le pacte.
— Quel est ce pacte ? Vous m'avez assuré de pouvoir me redonner forme humaine, mais j'imagine que ce ne sera pas gratuit.
— En effet. Il est simple pour moi de te donner ce que tu souhaites car à la base toi aussi, tu as été humaine, bien que ta mémoire se perde.
— Je lis pourtant tous les jours, mais il est vrai que je ne me rappelle plus grand-chose.
— Le pacte consiste à faire signer à un Homme un engagement avec son sang. Il devra jurer de t'accorder son corps matériel une fois qu'il sera trépassé. Toi aussi, tu devras signer de ton sang bleu le parchemin. Le plus dur sera de le convaincre car il n'aura rien à y gagner même s'il venait à mourir.
— Je souhaite redevenir une femme depuis que je l'ai rencontré et lui avouer mes sentiments, mais comment avec des tentacules ? Il ne me voit que comme une amie, parfois comme une chose.
— Tu retrouveras ton apparence d'antan, pour le reste, c'est à toi d'agir. Ce que j'ai à y gagner ne te regarde pas.
— Eh bien soit. Je ne vais pas refuser la générosité d'une Déesse, celle des enfers qui plus est, dit la pieuvre qui se laissait volontiers caresser par ses douces mains. »


Dans l'autre monde, sur Exeter Street, la mort se hâtait de chercher un nouvel hôte face au temps qui lui était compté. Par chance, non loin de Castel Cross, le cadavre encore chaud d'un jeune Londonien tué sur le coup, gisait sur l'asphalte suite à un tragique accident de moto. Entouré par une foule de curieux, l'adolescent pourtant mort se mit alors à bouger, créant une panique générale chez les piétons venus assister à cette macabre découverte. Pendant que d'autres, choqués hurlaient, le macchabée fit quant à lui, craquer ses muscles endurcis, marcha comme un zombie, s'arrêta un instant puis recommença. Quelques spectateurs épouvantés décampèrent tandis que d'autres restaient médusés confondant parfois réalité et fiction. L'instant d'après, le cadavre partit d'un pas précipité puis finit par courir de plus en plus vite, laissant derrière lui des empreintes sanglantes. Après avoir traversé Beaumont Park, l'adolescent possédé arriva deux minutes plus tard, devant la résidence de Gascoyne Place où se situait l'appartement de Lilly. Face à la porte ancienne, Mort sortit sa faux et d'un mouvement dans l'air, provoqua une bourrasque de vent qui détruisit l'entrée. Il monta les escaliers par bonds jusqu'au dernier palier ; frappa trois coups à la porte grise de son amante pour se confronter durant de longues secondes au silence. Il essaya à nouveau...mais en vain. Mort alors d'une force herculéenne, enfonça la porte qui vola en éclats avant de s'excuser à moitié. A l'intérieur, il en profita pour chercher lui-même le bijou, un des éléments essentiels dans sa quête désespérée. Pendant qu'il farfouillait dans les tiroirs, la jeune femme apparut soudain :
« Qui êtes-vous ? cria-t-elle. Sortez de chez moi tout de suite où j'appelle la police !
Elle se préparait à appuyer sur la touche d'appel lorsqu'elle vit une mare de sang se déverser sur le sol. C'était Mort. A l'autre bout du fil, un policier s'égosillait à connaître l'urgence.
— Non, ce n'est rien, répondit-elle finalement, les yeux écarquillés et la main prête à lâcher le cellulaire.
Elle raccrocha, laissa tomber l'appareil avant de s'approcher doucement de l'homme qui la regardait, heureux de la revoir enfin :
— Mort ? C'est toi ? C'est toi qui a fait ça ? demanda-t-elle d'une voix inquiète.
— Lilly, dit-il d'un ton démoniaque. Il n'avait eu que peu de temps pour s'habituer aux cordes vocales du jeune homme : J'ai trouvé une solution à notre problème mais je dois faire vite.
— Mort ! dit-elle en pleurant. Tu m'as tant manqué.
— Lilly, nous pourrons bientôt nous voir sans que j'aie à usurper le corps d'un homme défunt mais pour cela j'aurai besoin d'une de tes mèches de cheveux et d'un bijou t'appartenant.
— Mort ! dit-elle encore sous le choc.
Cédant à son impulsion, elle partit en direction de sa table de chevet où se situait un bracelet en argent puis courut vers le salon et prit sur son secrétaire une paire de ciseaux. Sans hésitation, elle coupa une de ses mèches sous le regard étonné de son amant. Elle assembla les deux objets sur une feuille de papier blanc puis les lui remit.
— Lilly ! dit-il fou d'amour.
Son corps se vidait par flots.
— Mort, vas-y ! Ne t'en fais pas pour moi, je t'attendrai. Et ne t'inquiète pas pour le désordre, j'ai une bonne assurance. »
Mort, pris d'une envie subite, l'embrassa sur le front. Curieusement, la jeune femme n'était pas dégoûtée par ce baiser lugubre et laissa Mort repartir, un pincement au cœur et une envie subite de le suivre. En chemin, la mort fut rattrapée par deux policiers et un ambulancier qui avaient suivi les traces de sang sur le sol. A leur approche, elle sortit du corps du jeune homme et observa la scène depuis les cieux. Mort attendit que le vacarme qu'il avait provoqué s'atténue, s'assura de la sécurité de son amante avant de reprendre la route pour l'enfer.

De retour chez Perséphone, Mort vola légèrement jusqu'à la Déesse. La pieuvre, voyant son maître arriver, le rejoignit en criant :
« Mort ! Mort ! Mon Mort ! Que tu m'as manqué, dit-elle en enlaçant son crâne.
— Pieuvre ! s'exclama-t-il ému, avant de s'adresser à Perséphone. Déesse des Enfers, voici comme tu me l'as demandé, une mèche de cheveux, un bijou, deux cristaux de mon antre et une chaîne. Peux-tu me dire à présent qu'elle est ta contrepartie ?
— Elle n'est ni compliquée, ni impossible à réaliser. J'aimerais que tu me serves de messager.
— Si cela m'est possible, je le ferai sans me renfrogner.
— Ce sera possible car tu connais déjà le destinataire. »
La mort réfléchit un instant et se souvint d'avoir parlé de son ami Fishman. C'est alors qu'il comprit l'affaire et l'accepta sans poser plus de question.


Revenu à la surface, Mort apporta le médaillon à Lilly qui désormais pouvait le voir mais aussi le toucher. Durant les seules nuits d'Halloween, la mort redevenait la faucheuse, l'être surnaturel dont le destin avait décidé pour lui, une vie solitaire. Ils vécurent ainsi jusqu'au dernier instant de la brune qui couchée sur son lit, fit appeler le mollusque.
« Pieuvre, voici donc ce que tu m'avais demandé. J'ai longtemps hésité mais tu le mérites plus que moi. J'espère que vous serez heureux, dit-elle dans un dernier souffle. »
La mort sentant sa belle partir, s'en alla pleurer dans son antre. Mais quelques heures plus tard, une femme aux longs cheveux châtain et aux pupilles gris perle fit son entrée dans la grotte :
« Mort ! appela-t-elle.
La mort se retourna et vit qu'elle le regardait avec une tristesse étrange dans les yeux. Elle était encore jeune, élancée, connaissait cet endroit et son nom.
— Pieuvre ? demanda-t-il, hésitant.
— Mort, pendant toutes ces années, j'ai voulu te le dire mais je n'ai jamais pu le faire sous mon apparence affreuse de mollusque qui ne me donnait guère avantage. Mais aujourd'hui, je peux enfin te voir à hauteur d'homme et te le dire, je t'aime Mort.
La mort choquée pour la première fois de sa longue existence se leva et observa la jeune femme timide.
— Pieuvre !...
Mais la pieuvre qu'elle était n'avait pas changé et c'est en se jetant dans ses bras qu'elle perdit à nouveau son apparence humaine. Elle se maudit puis gémit de tristesse.
La mort la prit et éclata de rire. Tous les efforts de la pieuvre ruinés en un instant.
— Quel dommage Pieuvre, il aurait été bien pour moi d'avoir une amie de ma taille mais l'avantage est qu'une petite pieuvre peut me cajoler autant qu'elle le souhaite contrairement à un être humain.
L'animal se contenta de sécher ses larmes, si tant est qu'il en eût, et reprit ses massages qui firent de nouveaux « plocs » sur le crâne de son maître.

FIN

RENDEZ-VOUS AVEC LA MORTWhere stories live. Discover now