Seven

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Le lendemain matin, je me réveille sans avoir cessé de penser à Alex, mais Autumn n'est pas dans le lit. Elle a maintenant presque dix mois et elle se déplace déjà partout à quatre pattes. Je descends l'escalier comme une furie et je la trouve assise dans la cuisine, en train de manger avec ma marraine.

- Oh tiens, bonjour June. Comment ça va ce matin ?

Je respire à nouveau quand je vois qu'elle va bien et me sers un café pour pouvoir tenir la journée et je leur souris.

- Je vais bien. J'ai juste une dissertation dans deux heures, alors je vais rapidement emmener Autumn à la crèche.

- Oooh. Ne t'inquiète pas je m'en occupe. Je pars tout de suite. On te laisse la maison. Bye bye.

Elle enfile son manteau et je m'empresse d'embrasser ma soeur avant qu'elle ne me l'arrache et ne parte dans la brise matinale. Je n'ai même pas eu le temps de discuter, elle était déjà partie.
Il me reste un peu de temps avant mon départ, alors je décide de faire un petit peu de ménage. Je suis dans la salle à manger lorsque mon téléphone sonne et que je réponds. Lorsque je décroche, c'est une voix plutôt grave à l'autre bout du fil, celle de quelqu'un qui semble plus que sérieux. Son ton est solennel et s'en est presque effrayant.

- Bonjour. Commissariat. Pourrais-je avoir mademoiselle June Willow au téléphone s'il-vous-plaît ?

- C'est moi-même.

- Très bien. Je suis ici pour vous informer que l'enquête criminelle concernant la mort de vos parents est désormais close. Il s'agit d'un simple accident. Nous regrettons le désagrément que nous avons pu causer et nous vous présentons toutes nos excuses et de sincères condoléances. Bonne journée mademoiselle Willow.

Il raccroche avant que je ne puisse le remercier ou simplement lui dire au revoir. J'en suis retournée. Je vais enfin pouvoir vivre en paix et faire mon deuil. Mes parents sont morts accidentellement. Tout le monde les aimait. Il n'y a pas de nouveau pyroman dans la nature. C'est une excellente nouvelle.
Malheureusement, ce coup de fil n'a pas que des effets positifs. Il me rappelle que je suis livrée à moi même. Que mes parents sont morts. Que ma soeur ne les connaitra jamais. Qu'elle grandira sans eux. Qu'ils ne seront pas là pour elle. Que je devrais m'occuper d'elle pendant dix-huit ans. Que je ne suis plus rien sans elle. Que je ne suis plus rien sans eux. Que je suis seule. Que je menace de m'effondrer à tout instant. Que je suis devenue fragile. Que je ne suis rien. Je suis tout d'un coup vidée de toute énergie, de toute pensée.
Je pars au lycée dans cette perspective négative, avec la boule au ventre. Lorsqu'Alex et les filles me voient arriver, ils ne me posent aucune question, se contentent de me saluer et de me suivre à travers les couloirs. Mais Britanny s'avance vers moi.

- Alors miss Admirable comment ça va ce matin ?? Pas trop fatiguée?? Tu veux peut-être que l'on se cotise pour t'apporter un café?? Tu nous diras peut-être pourquoi tu es si admirable !

Son ton est sarcastique et détestable. Je préfère ne rien dire de déplacé et je me contente de lui répliquer avec un ton plutôt agressif car je ne suis pas d'humeur.

- Lâche-moi tu veux !

- Oh pardon, pardon. Madame s'est vexée.

Je passe mon chemin même si l'envie de lui répondre me torture les cordes vocales. Elle est aussi mature que sa cheville gauche. Je n'ai la tête à rien. Je ne suis pas attentive à la moindre remarque que les autres peuvent me faire. J'ignore tout. Mais involontairement. Je ne peux penser à rien d'autre qu'à cet incendie. Je ne suis plus moi-même. J'aurais dû mourir. J'étais là et ils m'ont sauvée. Au péril de leur vie. Je paye aujourd'hui les conséquences de leur générosité et de leur bravoure. Je ne suis pas la June qu'ici tout le monde connaît. Je redeviens la June que j'étais. La June qui ne parle à personne. La June solitaire. La June que l'on ne remarque pas. La June qui se renferme sur elle-même. Celle que personne ne connaît. Celle dont on ne se soucie pas. Celle dont on ne parle pas. Celle que l'on ne voit même pas. Celle qui a perdu ses parents. Celle qui est devenue maman a dix-sept ans. Celle qui est différente, qui est à l'écart. Je ne suis plus moi. Mais malgré cela, Alex est à mes côtés et toute la journée il va me suivre et m'épauler, sans pour autant me poser une seule question. Je l'admire pour cela. Il est d'un naturel si gentil que l'on ne voudrait pas lui faire de mal. Pourtant, je lui en ai fait sans le vouloir et malgré cela, il est toujours là.

Lorsque je rentre dans la classe cet après-midi-là, je ne suis pas bien. À mon entrée dans la salle, Scott lève la tête et me regarde, intrigué. J'ai les yeux détrempés et je tourne la tête. Je ne veux même pas penser à ce qu'il a pu dire, à ce que je ressens à chaque fois que je le vois. Je suis complètement vide aujourd'hui et j'ai peur d'exploser s'il me fait une remarque. Il m'observe longuement, comme s'il voulait essayer de comprendre quelque chose, mais je ne laisse rien paraître. Je n'en ai pas envie et même si au fond je saute de joie du fait qu'il s'intéresse à moi, je ne le ressens pas. Durant tout le cours, il me fixe, pose des questions autour de lui pour comprendre, mais rien ne marche. Je suis de marbre. Je fixe le tableau et les paroles du professeur me bercent. Je me sens tomber vers le sommeil mais la sonnerie retentit et les cours sont terminés. Je m'empresse de faire mon sac et de me lever. Je sors devant tout le monde, seule. Je ne veux parler à personne, juste rentrer chez moi. Scott m'interpelle mais je suis loin. Je ne veux pas le voir depuis l'autre fois. Il crie mon nom, mais je ne me retourne pas, ne le regarde pas. Alors, j'entends quelqu'un courir. Je pense qu'il s'en veut pour la dernière fois. Enfin, j'espère. Lorsqu'il arrive à ma hauteur, il halète.

- June, je voudrais te parler. Et même peut-être t'aider.

Alors, les larmes affluent sur mon visage je ne peux plus les stopper. Le sentiment qui m'assaille est indicible. Je ne sais pas si j'ai envie de le remercier ou de l'envoyer valser. Je ne contrôle plus mes émotions et les mots sortent sans que je n'ai une quelconque influence sur ce que je dis.

- Écoute Scott, je n'ai pas le temps et je n'en ai pas non plus envie. Laisse moi seule s'il-te-plaît. Je n'ai besoin de personne et encore moins de toi.

Il s'arrête et je me mets à courir, à pousser pour pouvoir sortir et m'échapper de cette prison éducative. Je ne supporte plus rien. Encore moins de le voir alors qu'il me plaît. Il me plaît mais ce n'est pas quelqu'un de bien. Il n'est pas ce dont j'ai besoin et je n'arrive pas à l'admettre. Je me force à voir le bon côté de chacun et me faire à l'idée que certains n'ont aucune onde positive m'est impossible. Lorsque je rentre à la maison, je file sous la douche. Je défais mon chemisier bouton par bouton, lentement. Je pleure. Les larmes coulent encore et toujours. Il a voulu m'aider et je l'ai rejeté. Les rapports que nous entretenons sont trop toxiques. Ils me grignotent de l'intérieur. Je retire ensuite mon pantalon et finis par mes dessous en dentelle. J'ouvre le robinet et une forte pression d'eau sort de la pomme. Je me glisse alors dans la baignoire et tire doucement le rideau. L'eau brûlante réchauffe mon corps et la douleur commence à apparaître. Je préfère l'ignorer et me replonger dans mes pensées. Les gouttes d'eau ruissellent le long de mon corps, dans ma nuque, et je finis par mettre ma tête entière sous le jet. Mon élastique lâche et mes longs cheveux bruns se détachent et s'étendent de toute leur longueur le long de mon dos. Sous l'effet de l'eau, des boucles plus prononcées apparaissent et je passe mes mains dans ma masse capillaire. Je me frotte alors les tempes en fermant mes yeux noisettes. Il faut que je me détente, que je tienne encore moins d'un an au sein de ces hypocrites et nonchalants personnages pour pouvoir toucher mon rêve du bout des doigts et assurer l'avenir de ma petite soeur.

I'm not okay, but it's okay...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant