La Quête du Récit - Prologue

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Ce matin de mars - car toutes les bonnes histoires commencent en mars, ne me demandez pas pourquoi- naquit Eugène Anatole Pierre-Paul Pingouin. Il était le héros de l'histoire. C'était un personnage juste, généreux et brave, prêt à tout pour protéger coûte que coûte la veuve et l'orphelin, et tout le monde le su dès qu'il mit un pied or de son berceau. Au mois de mai, il savait parler, en décembre il commençait à lire toute la section « E » de la bibliothèque municipale. Lorsqu'il eut terminé en février de l'année suivante, il s'attaqua aux « P », puis, aux « A » en avril, et ainsi de suite. Il devint un véritable héros lorsqu'il sauva la fille du directeur de la crèche d'une fin atroce sous les roues d'un bus scolaire, alors qu'il achevait la lecture de la section « F », et de la bibliothèque. Il avait alors deux ans. A huit ans, il entrait au lycée, et déjàpar deux fois ses parents avaient dû agrandir sa pièce, espérant ainsi contenir dans la chambre d'Eugène Pingouin toutes les récompenses qu'il avait accumulées, pour les cent vingt-huit sauvetages de personnes en détresse, l'arrestation de quatre-vingts douze évadés de prison et de soixante-quatorze criminels notoires, sans oublier les mille huit cent trente-cinq personnes âgées qu'il avait aidé à traverser, les sept cent douze chats coincés dans un arbre ou sur le toit, les neuf cent quarante-deux cabas portés et bien entendus les centaines de prix scolaires. Néanmoins, dans sa grande modestie de héros, Eugène avait accepté de se séparer de la moitié de ses possessions lorsque sa mère, découvrant qu'il dormait dans le salon depuis trois semaines parce qu'il ne pouvait plus ouvrir sa porte, lui avait dit : « Anatole (elle l'appelait ainsi car c'était le prénom qu'elle lui avait choisi, le reste venant de la famille décédé de son père), mon chéri, ne crois-tu pas qu'il serait temps de débarrasser la maison ? ». Bien entendu, il avait accepté avec joie et bonne humeur. C'était un héros, et Eugène Pingouin resta un héros en grandissant. A dix-neuf ans, il était reconnu dans tout le pays, et à trente, sa réputation était internationale. Les gouvernements se le disputaient comme se chamaillent des enfants, et Eugène fut riche. Il investit bien sûr dans les actions humanitaires, et jamais le monde ne s'était porté mieux. Lorsqu'il eut cinquante-quatre ans, cent quinze villes portaient son nom, et tous les patelins sans exception possédaient sa statue. Mais - et ce mais là a tardé à venir – il y avait un seul ennemis qu'Eugène ne pouvait battre, et celui-ci fini par le prendre. A cent trente-huit ans, Eugène Anatole Pierre-Paul Pingouin mourut, rattrapé par le Temps. Voilà. L'histoire était finie, et tous ont doucement refermé le livre, oubliant un instant qu'il fallait retourner à la réalité pour se remémorer les meilleurs passages.

Cependant –et j'ai du regret à écrire ce cependant là-, l'histoire n'était pas finie. Mais cela, personne ne le savait, et personne ne pouvait le savoir. J'ai enquêté pendant quinze ans sur ce qui advint ensuite du monde, et ce que j'ai découvert me donne des cauchemars affreux, la nuit, lorsque ce que je sais ne m'empêche pas de dormir. Je me souviens de la première fois que j'ai entendus parler du Récit. Le Récit, ou Bible des Hafurfs, était un texte légendaire, mieux caché que mon journal intime – ce n'est plus la peine de chercher, m'man, je l'ai détruit avec pas mal d'autres documents compromettants lors d'une nuit que je préfèrerais oublier, il y a plusieurs années de cela -, ce qui n'est pas peu dire. Le manuscrit était supposé relater l'histoire complète du monde de l'histoire, depuis la mort d'Eugène Pingouin jusqu'à la fin des temps. Il ne me fallut pas deux jours pour me décider à partir à sa recherche. Mais qu'importe mon histoire, puisque c'est ici que commence celle de Monsieur Pingouins, les hafurfs et la carotte magique.

Monsieur Pingouin, les hafurfs et la carotte magiqueWhere stories live. Discover now