Chapitre VIII

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VIII

Saul entra donc dans ses appartements, sans se tourner un instant vers la porte à laquelle il avait frappé. Dans le petit salon qui lui servait d'entrée, il jeta au porte-manteau sa veste d'intérieur et déboutonna son gilet pour ne garder que sa chemise beige, dont il arracha presque le second bouton pour laisser à son torse musculeux un peu plus d'espace pour respirer. La pièce se prolongeait donc en un salon, qui lui servait de séjour ; il s'affala dans l'un des petits fauteuils qui le meublaient et congédia son valet du geste. Il se frotta le visage à deux mains comme pour en ôter le stress, puis, se souvenant de ce qu'il avait fait avant d'entrer, il se releva subitement et marcha jusqu'au miroir sur pied qui occupait un coin de la pièce. Là, se pressant légèrement les joues et plissant un peu les paupières, il s'observa. Sa peau olive était irréprochable, il avait le nez droit, le visage fin, le menton carré et pourvu de deux grains de beauté à gauche qu'il avait hérités de son père. Ses yeux étaient un peu bridés, ses cheveux épais et noirs ; il y passa une main aux doigts experts pour y briser le gel, laissant retomber quelques mèches rebelles. Sa lèvre inférieure pendait à demi ; il la mordit sensuellement, se préparant à accueillir l'invitée qui ne pouvait plus tarder. En continuant vers la partie principale des appartements, le salon possédait un comptoir avec deux tabourets surélevés et d'autres fauteuils encore, avec une petite bibliothèque accrochée au mur, puis s'ouvraient deux portes : l'une sur la salle de bain, l'autre sur une chambre qui servait aussi de bureau. Il passa derrière le comptoir pour ouvrir son minibar et en sortir une bouteille de rhum qu'il posa avant de sortir deux verres ouvragés et de les remplir de glaçons. En cet instant on frappa à la porte ; il se précipita et ouvrit. Sur la palier se trouvait Maria-Olivia, un petit air impatient sur son visage froid aux yeux d'un bleu glaçant. Il sourit vaguement, et puis elle se précipita en avant, s'écrasant à demi contre son torse, et le saisit au col pour mieux écraser ses lèvres contre les siennes. Leurs bouches fondirent l'une dans l'autre, elle dévora ses joues de l'intérieur, et lui l'envahit de sa langue enflammée. Ses mains glissaient furieusement le long du cou de sa demi-sœur et en même temps il l'attirait contre lui pour tenter de fermer la porte avec sa jambe. Il se détacha à demi, pour marmonner entre deux baisers :

– Rentre... Il ne faudrait pas qu'on nous trouve ici...

Et en une rotation complète sur lui-même, il la fit tourner jusque dans la pénombre de son entrée tout en s'affalant pour claquer le battant avec son dos. Il reprit un instant son souffle, haletant, et puis elle était à nouveau sur lui, enroulant ses cuisses autour de lui pour mieux s'agripper à son corps. Elle le dévora encore passionnément pendant de longues secondes puis elle recula à peine ses lèvres pour mieux lui lécher l'oreille.

– Tu m'as tellement manqué, souffla-t-elle. Mon arbre de vie...

Il la prit dans ses bras pour la poser plus délicatement au sol. Puis il attrapa son visage entre ses mains pour mieux la regarder de près.

– Je pourrais boire ton visage... Anieka...

Il la lâcha tout à fait pour se diriger vers le bar.

– Mais ne restons pas là... Assieds-toi, je t'en prie, fais comme chez toi, d'ailleurs c'est presque chez toi ici. Et à propos de boire ton visage... Je te sers un verre ?

Elle sourit franchement en guise de réponse et s'installa dans l'un des petits fauteuils de la partie de salon. Il ne tarda pas à la rejoindre, les deux verres en main, remplis de rhum et de jus d'agrumes.

– Oh, fit-elle. Je vois que nous sommes gâtés.

Et elle but avec délice, avant de replonger ses yeux dans ceux de Saul. Ils restèrent ainsi, leur regard se fondant en un seul, un instant. Puis Saul soupira un peu et dit :

– Papa est chez Hannah, ou du moins c'est ce qu'il m'a semblé. Quel malheur qu'il nous ait devancés, pas vrai ?

– À qui le dis-tu ! S'ils n'étaient pas tombés dans les bras l'un de l'autre, nous ne serions pas demi-frère et demi-sœur ! Nous nous serions connus tout autant, nous aurions été tout aussi proches, sans l'étiquette de la famille. Ha ! Comme nous serions mieux ! Toi avec ta mère et Maïke qui aurait encore tout contrôle sur lui-même, et moi avec mon père... Je n'ai pas l'impression que le destin ait choisi de nous donner de belles et heureuses vies, en nous tuant chacun un parent prématurément. Au moins, nous nous avons l'un l'autre.

– Et ça, ça compte, quand même.

– Je ne dis pas le contraire, mais... Dietr... j'aurais tellement voulu le connaître d'une autre façon que par le papier et la voix de ma mère...

– Anieka...

Les sourcils de Saul s'arquèrent d'un air désolé et il lui caressa doucement le bras.

– Et Amelius... Il est lien de tout ça. C'est tout autant de sa faute ; en joignant nos deux sangs, il fait de nous une famille. Avoir un demi-frère en commun, ça suffit pour rendre une relation incestueuse, pas vrai ? Imagine un peu, s'il n'était pas là... et si ma mère mourait... et ton peut-être ton père, aussi, au passage. Quel obstacle aurions-nous ? Je serai impératrice, nous serons deux amis d'enfance auxquels l'amitié n'a pas suffi.

– Ne dis pas de choses comme ça...

– Et pourquoi ? Tu penses qu'il y aurait quelqu'un pour regretter ce mouflet rachitique, cet espèce de cadavre absent ? Je suis sûre qu'il pèse même à ma mère. Il n'est même pas un brin sympathique. Un morveux ! Lady Louisa serait ravie d'en être débarrassée, si tu veux mon avis.

– Oui, mais...

Elle vida son verre d'une traite.

– Et puis, ne parlons plus de ça. Je ne suis pas venue de voir pour brasser l'eau de l'océan de mes problèmes. Je veux profiter de toi mieux que ça.

Elle se leva et contourna la table basse où ils avaient posé leurs verres pour monter sur les genoux de son amant, sans réaliser qu'elle recopiait de près les gestes de sa mère et de son beau-père. Elle colla une nouvelle fois ses lèvres contre celles de Saul.

– Je t'aime, lui souffla-t-elle.

Puis elle joignit à sa langue le travail de ses mains et entreprit de déboutonner sa chemise et puis de la pousser le long de ses bras musclés. Alors il l'attrapa fermement et se leva.

– Nous serons mieux allongés sur le lit que serrés sur ce fauteuil trop petit, souffla-t-il.

Et elle rit tandis qu'il la portait jusqu'à la chambre.


Les Derniers (Les XXIs, livre IV)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant