Souvenir d'une reine

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Il est encore très tôt et les fins rayons grisâtres du soleil passent par les vitraux de ma fenêtre. Je passe ma ceinture de cuir autour de ma taille quand quelqu'un toque à ma porte. Je finis d'enfiler ma tenue de chasse et me dirige vers ma grande cloison de bois noire sculptée. Mon frère se tient derrière, la hanche posée sur le chambranle de la porte. Il pose son regard vert serpent sur moi.

-Bonjour, petite sœur, dit-il. Tu es prête pour la chasse ?

Je l'invite à entrer dans ma chambre et il s'allonge sur le lit.

-Oui, je suis bientôt prête. Et d'ailleurs, je suis sûre que cette fois-ci, c'est moi qui vais gagner la course.

Il rigole de bon cœur et je me joins à lui. Nous avons nos petites habitudes matinales lorsque nous chassons, notamment une course folle à travers la forêt. Mon frère, Rash, est tout pour moi. Malgré nos deux ans d'écart, nous sommes très proches. Il veille sur moi et je le protège en temps voulu. Il passe une main dans ses cheveux noirs et soudain son regard s'assombrit, encore plus cruel qu'il ne l'est d'habitude.

-Quoi ?

-J'aimerais aller au cimetière de maman, lâche-t-il avec froideur.

Mon cœur se serre. Mes mains s'immobilisent sur les armes que je rassemble. Je respire lentement et mon regard se perd dans le vide. Il se lève, me prend par les épaules et cherche mes yeux. Je sens une légère pression sur mes bras, signal que mon frère attend une réaction.

Une vision de maman frappe mon esprit. Ma mère si belle, si intelligente, si parfaite. Elle n'est plus, depuis bien longtemps. Et pourtant, à chaque pensées qui lui sont destinées, mon cœur meure chaque jours un peu plus. Elle me manque, énormément. Pourtant, je ne laisse rien paraître. Ici, la pitié et la tristesse ne sont pas tolérées. Mon père, le roi Serpent, n'accepte pas ces attitudes qu'il juge comme faibles. Néanmoins, les souvenirs de ma mère reviennent sans cesse et nous font souffrir.

Il y a de cela une dizaine d'années, nous vivions heureux, ensemble et unis. Ma mère accompagnait mon père sur le Trône de Tohren, la région royale, sur les terres du royaume de Derreen. Nous étions une famille aimée de tous et soutenue de toute la nation. Les gens nous appréciaient énormément et nous étions une famille très populaire. Alors que nous régnions sur Tohren telle une famille royale modèle, ma mère tomba malade. Elle périssait de jours en jours, elle souffrait. Son teint devenait de plus en plus gris et ses yeux se creusaient. Elle devint très maigre et fragile. Elle ne parlait pratiquement plus et crachait du sang. Un jour alors que mon père se tenait à ses côtés, on entendit ses pleurs et ses cris à l'autre bout du palais. Lorsque Rash et moi arrivâmes dans la chambre, il se tenait la tête sur son petit corps frêle inerte. Sa bouche cerclée de bleue était ouverte. Ses yeux gris sans vie marquaient encore plus la violence de sa maladie. Rash se mit à genoux et attrapa la main de ma mère. Je me mis à leurs côtés, les larmes roulant sur mes joues.

Après la mort de ma mère, le peuple encore sous le choc, décida que mon père ne pouvait gouverner seul le royaume en compagnie de deux enfants seulement âgés de sept et neuf ans. Le peule jugea donc que la famille Lunghard, la seconde famille la plus populaire et la plus riche de Derreen, était plus apte a dominé et a géré le peuple. Les Lunghard n'hésitèrent pas un instant et retirèrent l'accès au Trône de mon père. Nous n'avions plus rien, ni vivre, ni endroit où habiter. Mon père sombra dans une dépression profonde et devint furieux. Il se querella avec la famille Lunghard et les accusa de trahison. Il les accusa d'avoir empoisonné ma mère pour pouvoir récupérer le Trône. Bien évidement, le roi, sa famille et le peuple ne laissèrent pas passer cela. D'après eux, mon père devenait trop dangereux. Ils chassèrent alors ma famille de Tohren et nous envoyèrent dans le domaine  que nous appelons aujourd'hui Tarn. Une barrière de briques et d'ossements nous séparant du reste du monde. Mon père fut nommé Seigneur des Ombres et Roi des Morts. Notre château était grand et imposant et tout le monde le connaissait. Anguis était une demeure que les autres trouvaient terrifiant. C'était une immense bâtisse de pierres noires, de larges portes de bois et de vitraux sombres. Dans la grande pièce principale, se tenait le Siège du Faucheur. Ce trône, fait d'ossements et de parties animales et humaines, appartenait à mon père. C'était comme cela qu'on l'appelait puisque son règne consistait à garder les âmes errantes, perdues ou mauvaises dans l'enceinte de Tarn. Les autres, qui habitaient de l'autre côté de la frontière, nous considéraient comme des barbares et c'est d'ailleurs ainsi qu'ils nous appelaient. Les fous, les cannibales, les autres, les monstres.

Rouge VeninOù les histoires vivent. Découvrez maintenant