Retour

Je rentrais chez moi, au bout de trois ans. Trois ans que j'aurais préféré mieux occuper. Car en réalité, je m'en souvenais à peine. Par contre, je me souvenais de ce qui s'était passé avant que je ne prenne le chemin de chez moi. Je m'étais évadé, ce n'était pas la peine de raconter d'où. Je courais et courais pour échapper à des poursuivants que vous avez la chance de ne pas connaître, qui voulaient faire de moi ce que je refusais d'être. Je courais donc, espérant que mes pieds nus ne glisseraient pas dans le sang. Mais plus tard, je me rendis compte que le sang tachait mon visage et mes mains, alors que je me cachai dans une cabane de jardin. Bien sûr, les occupants de ce jardin me découvrirent en pleine nuit. Pensez-vous donc, juste un soir normal, vous n'arrivez pas à dormir, et vous trouvez un jeune inconnu bizarre et couvert de sang dans votre jardin ! Ça ressemblait aux scènes les plus absurdes d'un roman policier, ou aux crimes réels les plus tordus. Et ce qu'ils apprirent sur moi plus tard ne fit rien pour détromper cette idée... mais je m'égare, vous n'avez pas intérêt à savoir ces trucs répugnants sur moi. Je veux que vous puissiez toujours avoir pitié de moi... Ou au moins, que vous puissiez me comprendre !

Donc, je m'étais fait renvoyer de chez ces gens que j'avais envahis avec mes mains couvertes de sang, mais ils m'avaient quand même donné de quoi payer mon voyage de retour. Je les aurais bien remerciés, mais ils me poussèrent dehors, me criant de m'en aller tout de suite, vilain monstre.

Ça m'attristait plus que je ne le pensais. Un monstre ? Je ne pense pas. Comment pouvaient-ils penser une chose pareille de moi ? Je ne suis pas, enfin... Je n'ai jamais fait de mal à personne, sauf quand... Mais c'était un malentendu. Tout ce qui m'est arrivé est un malentendu, je vous assure, et ce n'est pas ma faute. Enfin, je n'avais plus à penser à ça, maintenant. À présent, j'avais l'occasion de rentrer chez moi, de refaire ma vie et oublier mes anciens ennuis. Je rentrais. Et je n'étais pas fâché de pouvoir enfin partir.

Je me mettais en chemin, et une autre vie m'attendait au bout. Je pouvais encore l'espérer.

Je partis au matin, par une journée nuageuse et très calme. Il n'y avait presque personne dans les rues, c'était le quasi-silence autour de moi. D'un certain côté, c'était reposant. Je pouvais marcher tranquillement dans les rues vides, sans avoir à croiser personne et leur expliquer ce que je faisais ici. Oui, mais si quelqu'un d'autre passait par là, comme ce serait la seule autre personne dehors, je me retrouverais obligé de lui parler. Et là... Mais non, il ne pourrait pas se douter, rien qu'en me voyant, que j'étais... Ça ne se voit pas, ils ne peuvent pas savoir. Tout ce qu'un inconnu pourrait penser en me voyant, c'était qu'il ne m'avait jamais vu par ici. Mais alors, il se demanderait ce que je faisais là et trouverait quelques hypothèses. Ça ne voulait pourtant pas dire qu'il se douterait que j'étais, enfin, pas tout à fait comme les autres. Mais j'étais quand même content de ne croiser personne.

Je rentrai chez moi en train. Voyage peu mouvementé, assez lent, sous le même ciel nuageux, entouré de peu d'autres voyageurs. Certains ne firent pas attention à moi, d'autres, j'eus l'impression qu'ils m'évitaient délibérément. Un homme me jeta un regard mauvais puis s'assit dans l'autre rangée de sièges. C'était donc ça, la conséquence des évènements juste avant les fameux trois ans. On ne voulait même plus s'asseoir à côté de moi. Finalement, oui, je m'éloignais bien des autres, des gens normaux. Bon, normaux, c'était vite dit, tous ces inconnus devaient avoir leurs propres particularités, et je ne savais pas pourquoi eux-mêmes voyageaient, mais c'était sûrement pour des raisons tout aussi bizarres que les miennes.

Plus bizarre que trois ans d'absence et de vide ? J'avais littéralement perdu trois ans de ma vie. L'instant que je vous raconte, c'était ma nouvelle vie. Vous saurez bien assez tôt, vers la fin de mon voyage, ce que je voulais dire par là.