Chapitre V

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Je lui avais ouvert mon cœur, la partie la plus sombre de mes pensées et il était encore là à prendre soin de moi. Il n'avait rien à y gagner, aucun intérêt quel qu'il soit et pourtant il continuait jour après jour à veiller sur moi comme si j'étais un membre de sa famille.

Les jours s'écoulaient tranquillement. Je l'observais à la dérobée, il se dégageait quelque chose de noble chez lui, dans son maintien, dans son calme, dans sa prestance, je continuais d'essayer d'imaginer quelle avait pu être sa vie avant que je n'entre dedans. Avait-il eu une femme et des enfants ? Je me jurais que je finirais par avoir le courage de lui poser la question, mais je soupçonnais que s'il s'était retrouvé seul ici c'est qu'il devait lui aussi avoir connu sa part de tragédie et, après tout, peut-être m'en parlerait-il un jour spontanément. Quelque temps après l'étrange scène où j'avais changé de nom, mon état, qui jusqu'à présent s'améliorait péniblement, commença à se détériorer. Tarkal s'en inquiéta :

– Vous avez les yeux cernés et vous êtes brûlante !

Je sentais la fraîcheur de sa main sur mon front, il paraissait vraiment anxieux. C'était une impression particulière de voir quelqu'un s'inquiéter pour moi, j'en éprouvais d'ailleurs une certaine culpabilité.

– Ce n'est certainement qu'une fièvre passagère. Je ne me sens pas particulièrement malade, enfin, ça n'est pas pire que tout ce que j'ai déjà enduré, loin de là. Ne vous inquiétez pas comme ça, je pense avoir laissé le plus dur derrière moi. Ça va aller.

J'essayais de le rassurer autant que moi, mais je n'y croyais même pas à moitié. J'étais tout le temps fatiguée, je me sentais faible, ma voix devenait rauque. Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. Par contre mon appétit ne s'était jamais porté aussi bien, je crois que je n'ai jamais autant mangé de ma vie. J'avais tout le temps faim, à tel point que nous pensâmes tous les deux pendant quelque temps que c'était réellement une maladie qui se développait à la suite de tous les traumatismes que j'avais subis. Nous nous demandâmes même si je n'étais pas tombée enceinte, ce qui je crois, aurait été la chose la plus cruelle que j'aurais eu à endurer. Je n'arrivais pas du tout à imaginer porter l'enfant de mon bourreau. Après tout ce qu'il m'avait fait subir, je n'aurais jamais réussi à aimer cet enfant, même s'il n'y aurait été pour rien. Heureusement, il s'est avéré que ce n'était pas le cas non plus.

Afin de nous changer les idées et de passer le temps, Tarkal commença à m'apprendre à lire et à écrire, d'après lui j'avais des facilités, je comprenais vite et je retenais facilement ses leçons. Ça me faisait un bien fou de me rendre compte que quelqu'un croyait en moi, que quelqu'un s'apercevait enfin que je n'étais pas complètement stupide et qu'à défaut d'avoir un corps qui fonctionnait, mon cerveau était capable de prouesses.

J'aimais apprendre, et surtout constater mes progrès. Je lisais tout ce qui me tombait sous la main. Mes lectures préférées étaient les herbiers de Tarkal. Il avait dessiné lui-même les planches des plantes. Je les trouvais magnifiques, tous les détails étaient représentés. Je reconnaissais là son sens de la précision et de la minutie. Plus j'apprenais à le connaître et plus je l'admirais, j'étais heureuse qu'il fasse partie de ma vie.

Par contre je trouvais l'écriture compliquée, ça me demandait beaucoup de concentration de réaliser toutes les lettres aussi précisément que leurs modèles. Je me fatiguais rapidement et mes progrès s'en ressentaient, ils étaient beaucoup plus lents qu'en lecture, mais j'aimais quand même m'y appliquer.

Je passais également beaucoup de temps tous les jours à voir dans ma tête celle que je souhaitais être, celle que j'avais été durant ces deux expériences incroyables et exceptionnelles. Je me relaxais et j'essayais de me mettre dans le même état que pendant ma dernière expérience. Tarkal m'avait appris qu'on peut le faire soi-même en maîtrisant sa respiration et il m'y encourageait vivement. Je m'y appliquais donc. Je me voyais telle que je pouvais être dans mon idée de perfection, je m'imaginais occupée à mes tâches quotidiennes, ou me regardant dans un miroir, ou discutant avec mon mentor. Et surtout je tentais de ressentir les émotions et sensations positives que pourraient me procurer la jouissance de ce corps parfait, le plaisir de m'aimer, de pouvoir réaliser tout ce que je voulais mais n'avais jamais pu à cause des limites de ce corps minable. Je me répétais également des phrases d'encouragement, je me persuadais que je pouvais y arriver et que j'allais y arriver. De toute façon je n'avais rien à perdre. Au pire, ça me permettait de rêver éveillée et de me faire du bien en pensant à de belles choses, et vu mon état d'esprit à ce moment-là, c'était toujours bon à prendre.

Astria Tome I MétamorphoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant