Mon père trouvait toujours le moyen de vivre des aventures et des incidents sans même le vouloir. Cet homme grand, blond comme les blés aux yeux bleus nous faisait penser à un viking. Pourtant, il disait qu'il venait de la campagne auvergnate. Il avait l'optimisme qui contrastait avec le pessimisme de ma mère. Mais ils avaient tous les deux ce brin de folie qui savait faire sourire les cœurs. Pour en revenir aux histoires de mon père, j'avais l'intention de vous en relater la plus récente.
Depuis plusieurs semaines, il avait des problèmes au travail. Il était agriculteur et ses veaux tombaient souvent malades. Alors, un jour, l'un de ses amis lui dit :
«-Bonjour Pascalou, qué de nòu ?
- J'ai encore perdu un veau. répondit Papa avec dépit.
- T'as que mettre un bouc. C'est les anciens qui disaient ça.
- Ah bon ?
- Ben ouais. On dit qu'il attrape les maladies à la place des bovins.
- J'vais essayer, j'ai rien à perdre. Merci, salut !
- Salut ! »Le lendemain, Pascal, mon père, se mit à éplucher les annonces afin de trouver un bouc. Il en choisit un du nom de Gaspard et le ramena à la maison. La seule chose que l'on voyait chez lui, c'était les cornes. Des époustouflantes cornes dorées et pointues. Elles enroulaient tant sa tête qu'on se disait qu'il portait un chapeau en or. Cela lui donnait une prestance qui se mariait à ravir avec son pelage blanc.Par contre, il dégageait une odeur épouvantable, si bien, qu'on le renvoya à l'étable.
Mais il était parfait pour mon père.
Pourtant, le jour suivant, Gaspard sauta par-dessus la barrière de l'étable et partit découvrir notre paisible village, où animaux et humains pouvaient vivre en paix.
Ainsi commença le cauchemar !
Il gambadait sur les chemins, lorsqu'il aperçut ma grand mère qui nourrissait les lapins.
Il prit son élan, fixa sa proie, et fonça sur ma pauvre mémé qui agitait sa canne comme si elle combattait une créature imaginaire. Trop tard, sa tête était déjà dans le clapier et le bouc envolé, laissant derrière lui un nuage de poussière.
Après avoir provoqué la colère des oies, il partit dans mon potager. Dès que les chats le virent, ils prirent leurs pattes à leur cou ! Gaspard, quant à lui, dégustait nos légumes.
Ma mère dans un premier temps hurla, puis dans un second temps elle prit un bâton, pour enfin se rendre dans le potager. Mais à sa grande surprise, elle rencontra Gaspard les cornes bloquées dans le grillage.
Ma mère partit chercher mon père.
Cependant, elle le vit en compagnie de ma grand mère :«Bonjour Berthe ! Comment allez vous ?
- Ça va. Mais il y a un petit saligaud qui m'a poussé dans la cage à lapin. Ma tête était bloquée. Mais mon fils était là pour me secourir. Hein mon petit Pascal !
- Oui oui. répondit mon père.
- Au fait, dit ma mère, ton bouc t'attends dans le grillage du potager. On n'avait pas dit devait rester dans l'étable ?
- Si si. Mais il fugue, dit Papa gêné, et pourquoi il est dans le grillage ?
- Ben je ne sais pas. Quand je l'ai vu il y était. Ce n'est pas de ma faute ! Viens vite le récupérer ! »Alors il partit et ma mère murmura :
< J'le sens pas son bouc, j'le sens pas ! >
Et elle avait raison, comme toujours.
Le lendemain, Gaspard fugua une seconde fois.
Il se dirigea aux alentours de midi chez nos voisins que l'on surnommait les châtelains.
Ils décidèrent de manger dehors. Le mari, Henri, posa sur la table un pichet de vin.
Puis il rentra chez lui pour choisir minutieusement la vaisselle la plus adaptée pour ce déjeuner champêtre. Alors Gaspard en profita : il renversa le pichet, but son contenu et s'élança à travers les champs. Henri vit la scène et dit : « Mon nectar eut le don d'enivrer cette majestueuse créature. »
Pendant ce temps, Gaspard coursait deux étalons dans un champ. Soudain mon père débarqua et rentra dans cette spirale infernale pour rattraper le bouc. Gaspard courait après les chevaux, qui galopaient derrière mon père, qui essayait d'atteindre Gaspard. Mais au bout d'une demi-heure, les chevaux s'arrêtèrent et le bouc se tourna vers mon géniteur. Ce dernier partit en courant talonné par la bête à l'odeur d'épouvante qui lui mit un coup de corne dans le derrière. Mon père se mit à hurler :
« Ho frère, bon Dieu ! » pendant plusieurs minutes.
Le soir venu, sa femme décida de lui parler :
« Pascal, regarde. Depuis que ce bouc est arrivé nous n'avons eu que des soucis. Cela ne peut pas continuer, je pense qu'il faut s'en séparer.
- Mais c'est mon copain, rétorqua Papa.
- Ton copain ! dit Maman surprise. Il te ridiculise et en plus c'est un bouc, pas un homme. Enfin soit sérieux !
- D'accord, d'accord. Je vais appeler le marchand de bestiaux pour que Gaspard aille à l'abattoir demain. T'es contente ?
- Ben, oui ! »Le lendemain matin, le marchand de bestiaux vînt à l'étable. Il discuta avec mon père, chargea l'animal dans le camion et partit.
Au revoir Gaspard !
C'était la seule chose que l'on pouvait lui dire. Il devait mourir, un point c'est tout.Mais, sur le chemin, une voiture coupa la route du camion. Une femme en sortit.
C'était Maman. Elle venait récupérer Gaspard. Elle s'en voulait. C'était un peu de sa faute, si la mort du bouc était proche. Et il était attachant, il ne méritait pas de rendre l'âme. C'était ce qu'elle pensait. Et elle réussit avec tous ces arguments, à rendre sa liberté au bouc en plaidant sa cause auprès du marchand.Vive Gaspard le fourbe !
Il est heureux maintenant.