Nous, les destructeurs de monde

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D'aussi loin que notre mémoire puisse nous porter, nous avons toujours été habités par la colère. Pulsion habitant le plus profond de notre être, elle pousse nos bras, tire nos jambes, contracte nos muscles, compresse nos organes pour un seul et même but ; avancer et dévorer ce qui se dressera sur notre passage. Il n'y a pas de hasard, pas de destin, uniquement un chemin : celui de la destruction. Pas une seule des terres, pas un seul des espaces que nous avons franchis n'est pas aujourd'hui une plaine morte, dévitalisée après notre passage. La végétation ? Chaque mètre carré supprimé, mis au feu dans une grande fumée sombre, s'élevant loin dans le ciel. Ou bien, déracinée, puis transportée et transformée au sein de vaisseaux-fabriques, afin de produire de quoi nous aider à pousser plus loin encore notre marche. La faune ? Éradiquée, saignée à blanc. Consommée sur place, pour assouvir notre inextinguible faim. La civilisation ? Démolie, détruite dans le moindre de ses fondements. Ses constructions systématiquement rasées lors de notre avancée, ou bien dynamitée dans les jours suivants, après que leur utilité comme lieu de repos ne soie plus manifeste. Les monuments érigés à la gloire de ces systèmes de vie, eux, ne voient aucun délai dans leur recyclage, fondus pour régénérer nos énergies et nos armes. La société ? Mise à mort, ou au moins ébranlée, dans les profondeurs de son organisation. Leurs membres retrouvant soit leur état de nature, de par le traitement similaire aux autres formes de vie que nous leurs réservons, ou bien déstabilisés par la fuite due à la terreur que nous provoquons chez eux. De toute manière, pour nous, ce n'est jamais qu'une fuite en avant provisoire qu'opèrent les organismes. En effet, devant notre avancée inexpugnable, les molécules des organisés ou non-organisés finiront malgré tout entre nos mains. Nous les rattraperons dans leur retraite, courant ou se cachant à la surface de leurs mondes, ou bien allongés et inertes, six pieds sous terre.

Mais notre avancée est inarrêtable, parce qu'il en a toujours été ainsi, et que c'est là volonté du monde, et le rôle qui nous a été institué, auquel nous nous conformons comme de juste.
Alors, une fois l'expression de notre essence réalisée dans le monde que nous venons de conquérir, une fois celui-ci purgé de toute excroissance de vitalité, alors seulement nous nous dirigeons vers une autre cible, une autre proie à saisir. Mais pas avant. Car il nous faut le temps nécessaire pour officier à notre place de purificateur. Qu'importe si cela prend quelques heures, des jours ou des semaines, voire des années ou peut-être des siècles. Mais jamais, la durée nécessaire à notre rôle ne nous empêchera de reprendre notre route immuable, nous en sommes persuadés. Il ne peut en être autrement.

Notre course n'aura jamais de fin, et cela nous a amené à de grands exploits, aux plus grandes conquêtes. Si nous étions de ceux que nous détruisons méthodiquement, nous serions auréolés d'adjectifs tels que « glorieux », « prestigieux », « terribles »... Mais ces concepts nous sont complètement étrangers, incompréhensibles. Nous ne sommes pas glorieux, ni terribles, ou quoique ce soit d'autre. Non, nous sommes uniquement une force qui avance, et qui se préoccupe de savoir comment nous devons continuer d'avancer. Et nous le faisons, toujours et encore. Nous reconnaissons cependant qu'un grand chemin a déjà été parcouru par notre essaim, depuis aussi loin que nous nous en rappelons. Il y a de cela bien longtemps, nous brûlions des forêts primaires, d'où en sortaient des animaux, tombant par dizaine de milliers dans nos filets ou entre nos griffes. Leur vie s'arrêtait là pour continuer la notre. Des océans bouillonnaient, se rétractaient, s'évaporaient du fait de nos machines. Alors, ratissant les larges étendues humides laissées par les anciennes masses d'eau, il n'y avait plus qu'à se pencher pour dévorer se qui se débattait lamentablement sur le sol. Des tubes géants, d'acier, sillonnaient les sous-sols terrestres, à la recherche des métaux précieux et surtout solides et tranchants, et les aspiraient jusqu'à la surface, pour les amener directement dans des fonderies mobiles immenses, nous forgeant de nouvelles armes, de nouvelles défenses, toujours plus dures.

Nous, les destructeurs de mondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant