Partie 23, son vécu

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Je rêvais de m'éloigner de mon dessein de petite banlieusarde qui semblait déjà tout tracé. Je rêvais de sortir des préjugés dans lesquels j'avais baigné depuis toute petite. Je rêvais de piétiner les idées reçues qu'ils avaient de nous. Je rêvais d'écraser l'image je m'étais faite de ce monde et de ce qu'il ne pouvait pas m'offrir. Je rêvais de construire de moi-même et plus de rafistoler les erreurs des autres. J'étais dévorée par l'envie de faire mieux que ce qu'on m'avait promis. Moi j'y arriverai... Je serai loin, vous verrez... La misère me collait à la peau, elle hantait même mes projections du futur, elle hantait l'idée que je me faisais du lendemain. J'étais sûre et certaine de ne jamais m'en détacher, de ne jamais côtoyer autre chose que la misère. Dès que je tentais de me détacher de ce monde, j'étais à nouveau tirée vers le fond. Pourtant y avait largement de quoi avoir de l'espoir : un travail, de nouvelles fréquentations, une famille. Je commençais à croire que mes douleurs pouvaient cicatriser. Nos faiblesses peuvent devenir des forces si on sait s'en servir à bon escient. T'y crois toi Luisa ?



Sortie de mes pensées par la sonnerie de mon téléphone, j'écrase ma cigarette et referme la fenêtre.

- Oui ?

- Ouais Luisa ça va ?

- Issam ? Oui ça va... et toi ?


Issam ne m'appelait jamais innocemment pour prendre de mes nouvelles. Généralement c'était toujours pour me demander un service.

- Ouais euh... J'ai une galère là Warda m'a planté, la vie de ma mère c'est la dernière fois ! Cette fois je la teje. Elle me sert à rien ! Lundi j'ramène des meufs, tu choisiras qui tu veux Luisa, j'te fais confiance. Mais en attendant j'ai personne pour faire le service, au moins jusqu'à ce que Kader arrive vers 20h ?

- C'est bon laisse moi le temps de prendre une douche, j'arrive.

- Tu gères Luisa, merci !


Je tuais tout mon temps libre dans ce travail. C'était certain qu'il y avait plus intéressant comme job. Mais j'aimais bien, je m'y sentais bien, je prenais à coeur les responsabilités et la confiance qu'on m'offrait. Pour la première fois dans ma vie, on me considérait comme une adulte, une personne sur qui compter. Ça me vidait l'esprit de savoir d'occuper mon temps, de ne plus le passer à réfléchir et d'être utile. Je ne dépendais plus de personne, j'avais appris à me gérer, à être indépendante mentalement et financièrement. Je n'avais plus besoin de personne. J'étais fière de ça. Et puis pour la première fois de plus des années j'appréciais la compagnie d'autres personnes : Celia, Julien le serveur, Kader, Issam, les clients habitués et Karim...

Notre relation "amicale" était partie d'une soirée où il avait un peu trop forcé sur la bouteille et pourtant il avait tenu parole. Je voyais Karim comme jamais je ne l'avais vu avant : aussi simple et correct qu'il ne l'était avec son entourage proche, avec ses cousins, avec Meriem. Je le voyais s'éloigner de son image de gros connard et de mec imbus de lui-même. Du moins, avec moi.. Et petit à petit je lui ouvrais les portes de mon jardin secret, celles qui étaient barricadées depuis des années. Il découvrait lui aussi, la vraie Luisa, celle sous le maquillage, la gamine blessée, l'enfant abandonnée, celle qui rêvait d'une petite vie simple et paisible dans un coin de l'Italie, celle qui voudrait fuir tout ce qu'elle est parfois.


Après plusieurs minutes de bus je descends à quelques rues de la boite, la nuit commence à tomber, un groupe de mecs est installé quelques mètres plus loin. En passant devant eux, le silence plane, mon angoisse monte, je coupe ma respiration. Je pense fort à Bilel, à sa disparition inquiétante depuis quelques semaines. Je pense au moment où il va réapparaître en détruisant tout sur son passage. Je n'ose pas lever les yeux pour croiser leurs regards de peur d'en reconnaître un. Je voudrais creuser un trou pour m'y enterrer ou être une petite souris aussi petite et invisible que possible. J'arrive enfin devant la boite, je souffle un grand coup, la paranoïa me tuera...

La rose fane mais pas ses épinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant