Moi, Victoria Harrington

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En plus d'être ma prof d'histoire, Madame Kingsley est aussi ma prof principale... Elle a l'air cool, mais j'ai du mal à accepter qu'elle remplace mon ancienne prof d'histoire, que j'adorais... Enfin, il va bien falloir que je m'y fasse, puisque je suis partie pour rester.

Ce que ma mère n'avait pas prévu en me laissant inscrite dans ce lycée, c'est que je n'aurais vraiment pas le niveau... De base, j'ai déjà pas mal de difficultés en cours, mais là, ça s'annonce vraiment mal. La présence de Mathias à mes côtés, quel que soit le cours, n'arrange pas les choses, parce qu'il m'exaspère : lui, il n'a pas l'air d'avoir de problèmes, et n'écoute qu'à moitié (alors que je me concentre comme une tarée). Pourtant, quand on l'interroge, il sait toujours la réponse, et approfondit chaque fois un peu. Limite si il est pas un peu pédant, celui-là. Ça n'a pas l'air de beaucoup plaire aux profs, mais ils ne peuvent trop rien dire, puisqu'il a les réponses ! Moi, je ne comprends vraiment pas, et je suis obligée de rester super attentive tout le temps... Tout ce qu'ils disent me paraît totalement dénué de sens, mais comme tout le monde à l'air d'y apprendre quelque chose, je suppose que ça vient de moi.

Ce soir, quand je vais rentrer, mon père va me demander comment c'était, et moi, je lui dirait que c'est une catastrophe. Alors, il me regardera du haut de ces 36 ans, son petit air de « moi je suis ingénieur » sur le visage, et il me dira qu'il va falloir que je bosse dur. Et moi, je hocherai la tête, comme à chaque fois. Je n'oserai pas lui dire que c'est ce que je fais, que je n'ai rien le temps de faire, à part ça... Je m'installerai à mon bureau dès en rentrant, je ferai mes devoirs, j'apprendrai mes leçons, et je ferai des exercices pour essayer de m'améliorer. Ma vie se résume à ça : les cours, les devoirs, et puis les besoins vitaux... Mon seul moment de plaisir, c'est les récrés et mes insomnies, où je lis. Quoi qu'il se passe, je ne sors jamais avec des amies. Peut-être parce que je n'en ai pas... Ma vie n'a pas l'air drôle comme ça, et je dois bien avouer qu'elle ne l'est pas. Mais bon, j'aime pas trop m'appitoyer sur mon sort, alors je me dis que ça pourrait être pire. J'aurais pu naître en Corée du Nord, par exemple. Ou bien mon père pourrait être un ogre, comme dans les contes de fée que je lisais petite. Ou encore, je pourrais être orpheline. Et là, je me sentirais vraiment très très seule...

En attendant, les cours continuent, et quand la fin d'après-midi arrive, que la cloche sonne pour la dernière fois de la journée, j'ai le cœur qui se sert à l'idée de ce qui m'attend à la maison. Je range mes affaires lentement, comme pour retarder le moment fatal de la question paternelle. Sauf que je ne peux pas faire ça indéfiniment, et quand mon sac est refermé, il faut bien que je parte. Alors je sors de la salle, et là, je vois Mathias adossé à un mur du couloir, qui attend... Il me fixe à nouveau droit dans les yeux (non mais sérieux, les yeux verts ça devrait être interdit), sourit et je suis tellement surprise que je ne sais pas quoi dire. Je réalise, quand je le vois ramasser son sac, que c'est moi qu'il guettait. Je me tais, comme une idiote. Putain de timidité.

« Ton prénom, c'est Victoria, hein ?

- Oui... Et toi, tu t'appelles Mathias ?

- En fait, non. Je n'aime pas qu'on sache trop de chose sur moi, et ma mère pense qu'on peut contrôler les gens quand on connaît leurs noms. Alors je ne donne le mien qu'aux gens en qui j'ai confiance. Tu rentres en bus, ou tes parents viennent te chercher ? 

- Mon père va venir me chercher. Je n'habite pas loin. Et toi ? j'articule en rougissant.

- Je rentre en bus. Et il faut que je passe chercher mes frères. Bon, ben bonne soirée, et à demain.

- Merci, toi aussi. À demain !»

Il s'éloigne (Alleluia ! Victoria Harrington a réussi à parler sans bafouiller ! ) et je le suis des yeux. Puis, il disparaît dans la foule des lycéens, et je me dirige vers le dépose-minute.

Mon père m'y attend déjà, et j'ouvre la portière. Je m'assieds, et tout ce que j'avais prévu vient, pas à pas. Le soir, assis à la table de la cuisine, nous mangeons tous les trois, comme d'habitude. Puis, je vais me coucher dans ma chambre. Elle est au grenier, mais on l'a aménagée. Il y fait chaud, et mon père a posé de la moquette sur le sol. Mon lit en mezzanine recouvre mon bureau, et des guirlandes multicolores ou lumineuses sont accrochées aux poutres. J'aime bien cette pièce. Elle est joyeuse. Elle manque d'un pouf et de coussins de toutes les couleurs. Je ne les ai pas encore sortis des cartons de déménagements. Je m'installe dans mon lit, éteint mon spot et ferme les yeux. Je réalise que je ne connais finalement pas le nom du mysterieux garçon qui m'a attendue à la sortie. Et puis je sombre.

De toutes mes forcesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant