Hôpital

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Le jour suivant, je suis seule quand j'émerge. Je décide qu'il est grand temps de me laver. Je me lève péniblement pour la première fois depuis plus d'une semaine. J'ai un peu de mal à marcher, mais je tiens debout. J'entre dans la petite salle de bain, je me déshabille, et pénètre dans la minuscule cabine de douche. J'allume l'eau, qui ruisselle sur ma peau. Ça me fait du bien. Je sens la chaleur entrer par tous les pores de ma peau. Je ne tiens encore pas bien, alors je m'assieds, les jambes repliées contre mon ventre. L'eau coule sur mes cheveux, glisse sur mes épaules, goutte sur mon visage, ma poitrine, mon ventre. Mes jambes dégoulinent. J'aimerais que ce moment dure toujours. J'aimerais rester à jamais sous cette eau limpide. J'y suis si bien... Mieux que partout ailleurs... Mais je sais que c'est impossible. Alors j'attrape le savon-shampoing posé sur la minuscule étagère, et je frotte mes cheveux, mon corps, mon âme. Je retire la crasse accumulée, la saleté, la sueur du sommeil. Je ne ressens plus la fatigue d'hier quand je sors de la cabine. Je téléphone à maman puis à Joachym en vain. Tant pis, je peux dire adieu à l'envie de fringues propres et de parfum. Enroulée dans ma serviette, les cheveux dégoulinants, j'appelle une infirmière. Elle arrive, me voit, me fait un clin d'oeil et ressort. Quelques minutes plus tard, elle revient avec le pyjama dans lequel je suis arrivée. Il a l'air propre, et, à défaut d'autre chose, c'est déjà pas mal. Je claque une bise à mon infirmière, qui rit et sort de ma chambre. J'enfile mon pyjama, essore mes cheveux. J'ai oublié l'absence de brosse pour démeller tout ça. Ça va devenir catastrophique... Je n'ai même pas de fourchette... Bon, reprends toi, Victoria. C'est pas le moment de se laisser abattre : tu es vivante, propre et en pleine forme. Donc tu te bouges, ma vieille. Je décide de sortir de ma chambre.

J'ouvre la porte, et fais quelques pas dans le couloir. Je ne m'aventure pas très loin pour ne pas gêner les infirmiers et brancardiers. J'ai envie d'aller dehors, de prendre l'air. Mais je n'ai pas le droit. Alors je retourne dans ma chambre, et, pour tuer le temps, je me mets à chercher la façon la plus romantique de déclarer ma flamme à Joachym, même si je n'ai aucune chance : il sait ce qu'il s'est passé, il se doute que je ne pourrai pas avoir d'enfants, et il m'a vue en train de vomir. Globalement, je crois qu'on fait difficilement pire que ce merveilleux trio... Cela-dit, il a veillé sur moi, et je n'ai pas eu l'impression de le dégoûter. Enfin, je ne me fais pas d'illusions, je ne dirais jamais ce que je ressens pour lui. Donc, cette déclaration... Poème ? Lettre ? Face à face ? Chanson ? Citation ? Ou juste un baiser à la volée ? Et dans quelles circonstances ? Feu d'artifice ? Rivière ? Cours ? Anniversaire ? Saint Valentin ?

« Coucou, mon Alice ! Je suis là ! On m'a dit que tu étais réveillée et en pleine forme ! »

J'ai à peine le temps de lui sourire que Joachym me soulève dans ses bras et me serre contre lui.

« Tu sens bon, murmure-t-il à mon oreille. Et tu es belle.

- Menteur, je rétorque. Je n'ai pas de parfum, je suis en pyjama, j'ai les cheveux emmêlés, et le savon que j'ai utilisé est chimique à 99%.

- Je ne vois pas le rapport. Tu es belle et tu sens bon quand même. »

Il me repose à terre, je suis rouge comme une pivoine (pour changer).

« J'ai une bonne nouvelle ! m'annonce t-il. Devine ce que c'est.

- Hummmm. Les cours sont annulés à vie ?

- Nan.

- Tu as décidé de me dire plus vite ce que tu avais à me dire ?

- Crève.

- J'en suis pas passée loin, de la mort, j'te signale.

- Ça m'fait pas rire.

- Nan, je vois pas, dis...

- Mon premier est un pronom personnel, mon second est le contraire d' « entrer », mon troisième se passe dans un futur relativement proche. Et mon tout est une super bonne nouvelle sous condition.

- Je....

- Oui.

- Heu...

- Non.

- Arrête-ça, tu veux ? je sortir, donc je sors. C'est ça ?

- Jusqu'ici, oui. La suite ?

- Relativement proche, donc pas aujourd'hui, mais pas trop loin non plus . Demain ?

- Oui !

- Je sors demain ? Oh mon dieu ouiiiiiiiii ! »

J'interprète une danse de la joie sous les éclats de rire de mon ami. Maman entre à ce moment, toute ébouriffée, et nous jette un regard étonné. En la voyant comme ça, je pense soudain à un hibou, et j'explose de rire. Sans vraiment comprendre pourquoi, nous partons tous trois dans un irrépressible fou-rire, qui dure, dure, dure... Une infirmière entre dans ma chambre, ayant pris nos rires pour des cris. Elle nous voit tous les trois, les larmes aux yeux, pliés en deux. Nous devons avoir l'air fous, parce qu'elle a l'air un peu paniqué. Maman, qui, dieu sait comment, s'est calmée, lui explique la situation. En fait, elle invente un énorme mensonge, parce que aucun de nous ne sait pourquoi il rit autant... La journée passe, nous discutons de tout et de rien, pour passer le temps tous les trois. J'enchaîne les jeux de mots vaseux, maman les comptines chantées fort et faux et Joachym les sourires. Le soir tombe, et je mets tout le monde dehors. Ils promettent tous deux d'être là le lendemain, et je me retrouve à nouveau seule dans ma chambre d'hôpital. Je n'ai aucune envie de dormir, mais j'ai besoin d'un peu de solitude. Et il faut bien que je me repose ! Alors je m'allonge sur mon lit, et je finis par m'endormir... 

De toutes mes forcesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant