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— Ludivine, dépêche-toi ! Tu vas rater ton train.

    Je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel. Maman demeure présente, et ce même si je suis une grande fille maintenant.

Il faut dire qu'elle vit avec une certaine tristesse le départ de sa petite dernière loin du nid chaque début septembre. Nous habitons Bordeaux, je poursuis mon cursus en marketing à Nice. Et je reprends les cours dans quelques jours. 

    Pour la dixième fois, je refais ma valise. Nice-Bordeaux, ce n'est pas le monde à traverser, mais je préfère éviter les allers-retours trop fréquents.

Mes parents avaient été déçus que je ne continue pas mes études près de la maison. Ils m'avaient beaucoup questionné à ce sujet, jusqu'ici ma motivation la plus secrète leur était toujours inconnue.

    Si ma mère souffrait de mon absence, papa lui ne masquait pas sa contrariété : en premier lieu, il n'avait guère apprécié ma décision de ne pas faire du droit comme il l'espérait.

Bernard des Costes était reconnu comme l'un des meilleurs avocats de la région bordelaise. Un statut qui conférait des avantages, et vous emprisonnait dans un carcan. Ma vie sentimentale en avait payé le prix. D'une façon assez étrange, les seuls petits-amis qui trouvaient grâce à ses yeux se destinaient à passer le concours du barreau.

    Père avocat, mère juge... on comprendra que je ne rêvais pas de dîners avec en plus un compagnon qui ne parlerait avec eux que du Code civil ou du pénal.

Non, je désirais autre chose. Du piment, de l'exotisme... Bref, je voulais voler de mes propres ailes. S'éloigner de la maison m'avait semblé la meilleure des options. Et avec cette nouvelle année scolaire qui débutait, je franchissais encore une étape : exit la chambre sur le campus de l'université, je partais en colocation au lieu du charmant studio trouvé par mon papa. Détail qui l'avait contrarié.

— Je crains que cela ne fasse passer tes études au second plan Ludivine, avait-il commenté, acide.

Mi-amusée, mi-agacée, je lui avais réaffirmé que mon troisième cycle serait mon unique priorité. Il connaissait mon sérieux : j'avais toujours été une élève brillante et obéissante.

    Compte tenu de ses réserves, on comprendra que j'ai omis de lui dire que cette colocation était mixte.

***

    Je m'installe confortablement dans mon siège. D'un geste rapide, je salue une dernière fois ma mère qui m'a accompagnée jusqu'au quai.
Normalement, avec Vigipirate, personne ne peut franchir la sécurité. Notre nom de famille possède de miraculeuses vertus.

    Enfin, le train prend de la vitesse. Mon cœur se serre au fur et à mesure que la gare de Saint-Jean s'éloigne. Et le frisson de l'excitation me gagne : je vais être à nouveau autonome, indépendante !

Je mets mes écouteurs et dissimule un rire derrière une de mes mains : le mode aléatoire de ma playlist vient de lancer « Libérée, délivrée ».

    Au fur et à mesure que défile un paysage constitué de tâches vert plus ou moins clair, je regarde encore une fois mon futur emploi du temps. Chômer et faire la fête seront pour l'année prochaine : expression orale et prise de parole, négocier et gérer les conflits, connaître le monde contemporain, développer des projets communs...

     Cette longue liste d'intitulés pompeux me donne d'ores et déjà des maux de tête ! Autant dire que mes copines bordelaises qui saturent mon Facebook avec les adresses des boîtes de nuit les plus branchées de Nice se fourrent le doigt dans l'œil si elles s'imaginent que je vais passer ma vie à sortir. D'autant que le point d'orgue de l'année est tout de même de parvenir à monter un projet de création d'entreprise.

Soumise (éditée chez Vipérine)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant