I
Je suis là, couché, vautré dans le caniveau, je sens le sang qui coule de mon nez, je sens mon cœur en berne, mes os pétés. Je dérive sous la lumière orangée des réverbères, je sens l'eau de pluie qui tombe sur moi et j'ai du mal à réaliser. Mon cerveau frappe de toutes ses forces contre mon crâne et mon cœur bat à la chamade, j'ai l'impression qu'il bat si fort qu'il va s'envoler.
Je vois des lumières blanches qui passent à mes côtés sans même me regarder, j'entends des pas scandalisés, des pieds paniqués, mais tout est flou pour moi. Chaque mouvement que j'ose faire me fait un mal de chien et je sens que mon genou n'est pas dans le sens voulu par l'anatomie humaine. J'entends des bruits stridents, tonitruants, en provenance de ces lumières que j'aperçois. Je cligne des yeux pour tenter de faire disparaître la buée mais rien n'y fait. J'ai mal, je souffre et je n'ai pas encore compris ce que je fais là, et pourquoi j'y suis. J'angoisse, je stresse, j'en ai les larmes aux yeux, tout mon corps n'est que douleur, mon cœur saigne et j'ai l'envie d'aller au bout du tunnel. Envie de disparaître, de finalement devenir invisible, indolore mais incolore, j'ai envie de m'effacer pour ne plus être affecté. J'ai envie de partir loin de fuir.
Mais ça, je ne peux pas. Beaucoup de gens comptent sur moi, et quelque uns comptent pour moi. Je ne pas les laisser seuls, je sais ce qu'il me reste à faire, alors je le fais. Je rassemble ce qu'il me reste de force, de courage, de détermination et je décide de me lever. J'ai le visage en sang, des contusions, des blessures, des cicatrices pas refermées, mais j'ai ce feu qui brûle en moi, je vois son visage, ses yeux, son cœur, son espoir et je ne peux pas partir. Je prends appui sur le trottoir et pousse le sol de toutes mes forces pour m'en extirper, la pluie continue de tomber et fait ruisseler le sang sur mon corps, mes os broyés me font hurler mais je suis déterminé. Mon bras cède et me fait horriblement mal, je retombe à terre, je prends le temps de respirer, de me ressaisir, je n'abandonnerais pas.
Alors je recommence, je prends appui sur le trottoir mais aussi sur le goudron, je pose ma main sur l'asphalte mouillé et recommence mon effort. Je suis déterminé. Je parviens à redresser mon dos plié et ma colonne tordue, ça me fait souffrir mais quelque part le jeu en vaut la chandelle. J'ai réussi à me m'asseoir, je souffle un bon coup, je respire lentement, je reprends mon calme et me concentre, à côté de moi j'aperçois un poteau, je le rejoins en rampant et l'agrippe de toutes mes forces. Je pose ma main sur le trottoir et pousse de toutes mes forces, je vais y arriver, je vais y arriver, c'est ce que je me répète sans cesse pendant ces quelques secondes qui semblent durer des heures.
Je vais y arriver, je vais y arriver, j'arrive à poser un genou à terre, ce qui me provoque des douleurs dans la cuisse, mais j'ignore ce mal car je sais que chaque effort ne se fait pas sans prise de risque et donc sans potentielle douleur, quelque part, c'est le deal qu'il nous faut passer pour avancer. Je prends appui et me sert du poteau pour me lever, je lève ma deuxième jambe et prend appui sur mon pied. Maintenant je sais que c'est le dernier effort, la lutte finale avant de chuter de nouveau ou de rester debout. Je revois ses yeux, son cœur, je rassemble ce qu'il me reste de force et de courage et j'y vais. Chaque geste lentement mesuré, l'un après l'autre je parviens avec peine et douleurs à me remettre debout. J'ai réussi, je boîte maintenant pour la retrouver, l'effort en vaut le prix.
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Contrastes
Short StoryQuelque part, c'est peut-être comme ça la vie, c'est pas blanc, c'est pas noir, c'est juste une nuance de tout.