Les premiers rochers franchissent alors les murs, qui ravagent les installations et les hommes restés dans la cours en raison du manque de place sur les remparts. Les cris de douleur me glacent le sang. J'ordonne alors aux archers de tenter leur chance. L'adversaire n'approchera pas plus, il est donc inutile de reporter ce tir malgré la distance. Comme je m'y attendais, la-plupart des flèches finissent plantées dans le sol des dizaines de mètres devant les machines. Certaines parviennent à s'insérer dans le bois, mais je ne vois pas un seul homme succomber. Le désespoir me submerge mais je n'ai d'autre choix que de rester à mon poste. Où pourrais-je aller ? Les archers s'agitent, se lancent des regards apeurés mais je les invective jusqu'à ce que tout cela cesse. Toutefois, l'arrivée d'un rocher en plein sur le rempart qui balaie une bonne dizaine d'hommes rend ma tâche impossible et le chaos prend l'ascendant tandis que l'état-major paraît en public afin de redonner un espoir illusoire à tous ces soldats. Je le vois, leurs yeux à eux aussi sont voilés. Ils savent que les chances de repousser cette attaque sont infimes.
Une vibration provoquée par le fracas d'une roche contre le mur d'enceinte me renverse au sol. Pendant que je reprends mes esprits, j'aperçois une ombre qui voile la lumière de ce soleil radieux en un jour si sombre, lève les yeux et reste figé alors qu'en une courte période de temps qui me semble infini, un projectile se dirige tout droit vers moi. Il broie mes jambes avant de rouler plus loin. Je ne peux entendre le craquement tant le bruit m'assourdit, mais je le ressens au sein de mon corps. Du moins, dans le trop faible temps que met la douleur à m'irradier. Je hurle d'une telle force que j'en perds ma voix. Des torrents de larmes, des rivières de sueur et des ruisseaux de sang s'échappent de mon corps. Je stimule toujours autant mes cordes vocales qui ne laissent désormais plus s'échapper que des piaillements éraillés. Des étoiles dansent devant mes yeux tandis que je crois souffrir mille morts tant ma souffrance est immense. Dans un dernier hoquet accompagné de quelques jets de sang tout droit sortis de ma bouche grande ouverte, je perds conscience non sans une certaine reconnaissance.
***
J'ai mal. Ma gorge me fait souffrir. Je dois boire. Je tente d'ouvrir mes paupières mais les innombrables larmes qui se sont échappées de mes yeux quelques temps auparavant me rendent la tâche pénible. Je tente d'ouvrir ma bouche pâteuse quand tout à coup, un spasme parcourt mon corps jusqu'à ses extrémités basses qui se rappellent à moi d'une telle manière que j'ouvre grands mes yeux. Je sens mon visage atteindre des limites d'étirement avant la déchirure. Je vois désormais un plafond de pierre, ou plutôt je le devine à-travers ma vision troublée qui ne cesse de tourbillonner. Le sol tremble toujours autant à moins que ce ne soit mon corps qui tente de s'exorciser de tout ce mal qui le déchire. Dans un moment trop restreint où la douleur redevient presque tolérable, j'utilise mes dernières forces pour relever ma tête et observer mon corps mutilé. La vision d'horreur ne tarde pas à me refaire plonger dans un monde chimérique quand la vision de mes muscles déchirés et de mes os disloqués m'oblige à les ressentir de nouveau.
J'entends plusieurs voix dans les environs tandis que je suis dans un état second de préservation. Je ne peux saisir que quelques bribes des paroles qui sont échangées. Il est question d'infection, de gangrène ou je ne sais quoi. Une vague de douleur me parcourt, ma mâchoire se crispe de manière mécanique sans que je ne puisse plus rien contrôler. Quand mes maux s'apaisent, j'entends ce triste mot d'infirmité que mon esprit parvient à m'attribuer avec une vivacité étonnante. Mais seul le dernier verdict du médecin m'apaise. Mettre fin à mes souffrances. Je donnerais tout pour cela. Quitte à affronter la colère divine, je serais même prêt à me damner par le suicide si j'en avais seulement la force. Je prie, dernier recours qu'il me reste en cette vierge de fer que constitue l'instrument de torture qu'est devenu mon propre corps. J'implore, je supplie et me lamente dans l'attente interminable. Mais aucune lame au fil aiguisé ne vient trancher celui de mon destin. Plus personne ne parle alentour depuis ce haussement de ton que j'ai perçu, à un moment. Il y a une éternité, peut-être. Je n'entends désormais plus un bruit. Je sens mes forces me quitter, mais à un débit si faible... Toutes mes supplications auront été vaines, seule l'hémorragie aura eu raison de moi. La cruelle.
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Bataille [Version "mobile"]
Ficción GeneralVoici l'histoire d'un homme, ou plutôt les fragments de celles d'une multitude. Toutes sont les catalyseurs de personnalités qui découlent des naissances de ces hommes, comme de leurs vies, de leurs rêves comme de leurs regrets. Tous d'origines diff...