L'île

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C'est dans un état bien particulier que je trace ces lignes car dans très peu de temps je ne serai plus. Les raisons qui me poussent à prendre la plume avant cet instant ne sont pas bien claires pour moi-même. J'imagine que c'est surtout pour me donner une contenance et ne pas céder à la panique ou à la folie que je sens toutes deux très proches. J'ai été condamné à mort et ce n'est pas ce qu'il pouvait m'arriver de pire. Des circonstances qui ont menées à cette condamnation je ne dirai rien, mais bien de ce qui s'en est suivi par la suite. Je dois avouer que je suis depuis quelque temps dans la confusion la plus totale : j'ai perdu toute notion de temps et j'ai de sérieux doutes quant à la réalité de mes perceptions sensorielles. Je pense toutefois que ce récit, s'il tombe entre des mains humaines sera un objet d'étude intéressant pour les psychologues. J'aimerai m'expliquer d'avantage mais le temps presse et je ne sais si je pourrai mener cette narration à terme. Voici les faits :

J'ai comparu devant le tribunal de la petite ville de S* dans le Nevada en l'année 19*. La sentence fut prononcée peu de temps après, ma culpabilité ne faisant aucun doute et mon crime étant particulièrement odieux selon l'opinion publique et ce qu'en on dit les médias. Le juge proclama que je ne devais bénéficier d'aucun traitement de faveur et je fus sur le champ enfermé dans une cellule obsucre, sous une étroite surveillance. Je ne devais en sortir que le jour de l'exécution. Jour dont on omis expressément de me préciser la date. Commença alors l'attente la plus éprouvante de toute ma vie : pire que la mort elle-même, est la mort annoncée qui prend alors une dimension nouvelle dans l'esprit de celui qui l'attend. Je tombais dans un état de nervosité extrême que seuls ceux ayant vécu pareille situation peuvent se figurer. Le moindre bruit de pas ou même le tintement d'une clef dans une serrure me glaçait d'effroi car il me semblait alors entendre le bourreau. Si un tel régime se fut prolongé, il n'y aurait même plus eut besoin d'exécution. Hélas comme j'aurai préféré cela ! Un jour on ouvrit ma cellule. Croyant ma dernière heure arrivée, je me levai précipitamment, le coeur battant, la gorge sèche, avec toutefois un soupçon de soulagement. Je mis un certain temps à reconnaître mon avocat dans l'homme qui se tenait devant moi. Il eut en m'apercevant un mouvement de recul tandis que ses yeux exprimaient l'horreur mêlée à la pitié. Je réalisais alors que ma captivité n'avait pas été éprouvante pour mon mental uniquement. Je ne m'en souciais guère. J'étais plutôt étonné de sa visite, la sentence ayant été prononcée et l'exécution imminente. J'appréhendais de nouveaux malheurs, si cela avait encore été possible dans mon cas. Mais calmement, comme on parle aux enfants en très bas âge ou plutôt aux bêtes sauvages que l'on essaie d'amadouer, il m'expliqua qu'il y'avait peut-être une chance de m'en sortir. Il me parla d'une expérience que menait l'armée, mais que manquant de cobayes elle en était au stade embryonnaire. N'en sachant pas plus lui-même il ne sut m'en dire davantage mais il m'avoua qu'elle pouvait m'être fatale. Si je survivais, je bénéficierai d'une annulation de peine et recouvrirai ma liberté sur le champ. Il suffisait que je donne mon accord. Jugeant cette proposition miraculeuse puisque'elle me donnait une chance de m'en sortir, j'acceptais, tout de suite. Mon avocat visiblement satisfait s'en alla aussitôt.
Bien que le spectre de ma mort prochaine s'eclipsa, cette nuit fut tout aussi agitée que les précédentes. Je me demandais après coup, si je n'avais pas réagi un peu vite. En refusant, je serai mort de toute façon, et sans douleur à en croire les procédures habituelles. Dans le cas présent, cela pouvait advenir aussi, mais ce qui me chagrinait est que j'ignorais comment... Mais je pouvais survivre, et c'est à cela que je m'accrochais. Un sentiment depuis longtemps oublié s'emparait peu à peu de moi : l'espoir.
C'est le grincement de la porte de ma cellule qui m'éveilla. Un soldat, plutôt jeune s'avançait vers moi, un bandeau de couleur sombre à la main. Je distinguais derrière lui une importante escorte, tous en uniforme militaire et qui me considéraient avec curiosité. Le soldat m'expliqua, pour la confidentialité de la mission, que je devais avoir les yeux bandés pendant le trajet. Première bonne nouvelle : j'allais quitter la prison !
Il me banda consciencieusement les yeux et nous nous mîmes en route. Dehors, il me sembla percevoir le ronflement de deux moteurs, indiquant la présence de deux véhicules. Sans ménagement on m'embarqua dans l'un d'eux et le cortège s'ébranla. Le voyage dura trois heures, peut être quatre, certainement plus... La caresse du soleil sur mon visage suffisait à me faire perdre toute notion du temps, me rendant insensible au danger qui me guettait. On semblait ne me prêter aucune attention et je ne posais pas de question. C'est avec regret que je sentis mon véhicule s'arrêter, nullement pressé d'arriver en un lieu où je pouvais perdre la vie. On me retira mon bandeau et quelle ne fut pas ma surprise de me retrouver au bord de la mer sur une plage déserte. Deux grandes barques motorisées semblaient nous attendre dans l'eau. Étrange sentiment que celui qu'on ressent au milieu de l'immensité marine après avoir été retiré de l'obscurité d'un cachot humide. Le ciel était si pur qu'il me semblait le voir pour la première fois et la limpidité de l'eau laissait voir les sables des fonds. Je me demandais si je n'allais pas me réveiller d'un instant à l'autre dans ma cellule ! C'est alors qu'une île se profila à l'horizon. Mes geôliers commencèrent à s'agiter et je compris que c'est là que nous allions débarquer. On m'expliqua brièvement que ce serait en effet le lieu de l'expérience : je devais y demeurer un mois tout entier, à compter de ce jour, seul... Si on me retrouvait vivant au bout des trente jours, je serai libre ! Pendant qu'interdit, j'écoutais ces explications, plusieurs caisses furent tirées sur le rivage contenant vraissemblablement mes vivres. Ne voyant pas en quoi, à première vue l'île pouvait être dangereuse, je fis quelques questions auxquelles on ne répondit pas. Il me sembla toutefois percevoir ce qui ressemblait à de l'épouvante sur les visages des soldats, qui de temps à autre jetaient des regards furtifs vers l'intérieur de l'île. L'empressement fébrile de ceux qui avaient procédé au débarquement ne m'avait pas échappé non plus... Ils désertèrent rapidement les lieux sans un mot de plus pour moi. Je regardai longtemps les barques s'éloigner jusqu'à disparaître complètement. C'étaient peut être les derniers hommes que je voyais...
Je chassais bien vite ces pensées pour m'en tenir à ce constat : voilà longtemps que je n'avais été aussi libre, avec pour seuls horizons, la mer et un ciel d'un bleu tel que je n'en avais jamais vu, la possibilité d'aller et venir sans autres témoins que mes compagnons de liberté : les oiseaux et les bêtes sauvages. Il devait être trois heures de l'après-midi et je décidais qu'il était bien tard pour l'exploration de l'île. Je me mis à inspecter les caisses que l'on m'avait laissé et y découvrit des conserves de différentes sortes que je n'aurai pu terminer en un an. Il y'avait aussi un revolver et ses munitions, une hache, des cordes ainsi que quelques outils de bricolage. Plus loin plusieurs planches et poteaux de bois ainsi qu'un sac de couchage : j'étais loin d'être démuni ! J'entrepris aussitôt de construire un abri car je redoutais les bêtes qui ne devaient pas manquer dans la forêt et les nuits devaient être plutôt fraîches. La frayeur visible que ce lieu avait occasionnée à mes "compagnons" m'inquiétait aussi et j'avais hâte de fouiller l'île dans les moindres recoins pour savoir enfin à quoi m'en tenir. Au coucher du soleil et au prix de nombreux efforts j'achevais la construction d'une cabane rudimentaire, que je munissais d'une porte se fermant de l'intérieur ainsi que d'une fenêtre dotée de stores en feuilles de palmiers cueillies à l'orée des bois. J'étais plutôt fier de moi et je mis à l'abri mes provisions et tout mon matériel. Je m'endormis aussitôt et sans souper, m'enfonçant dans un sommeil profond et réparateur. Cela faisait une éternité que je n'avais aussi bien dormi...
Le lendemain je fus éveillé par la lumière du soleil filtrant à travers les nombreux interstices du toit. Je me levai aussitôt, me munit du revolver que je chargeai ainsi que du coupe-coupe et me mis en route pour une exploration minutieuse. Je commençai d'abord par longer la plage et je me rendis compte que l'île était plus petite qu'elle ne paraissait car j'eus tôt fait de revenir à mon point de départ. Je décidais enfin de pénétrer dans la forêt avec quelque appréhension, mais il fallzit que je sache. J'eus à faire à une véritable jungle et je me félicitais d'avoir emporté un coupe-coupe car je n'aurai pu progresser d'un pas sans cet outil. Certains arbres s'élevaient si haut qu'ils cachaient la lumière du soleil, et la nuit semblait être tombée soudain. Je finis par déboucher sur une charmante clairière où un petit lac ainsi que l'ombre des lieux procuraient une fraîcheur délicieuse. Un troupeau de chèvres sauvages y paissait paisiblement et ne semblait nullement effrayé par ma présence. J'en abattis une de deux coups de feu ce qui eut pour effet de disperser les autres. Je dépeçai promptement l'animal, fit un feu hâtif et me régalai de viande rôtie. Je n'avais rien avalé depuis la veille et seule ma récente "liberté" avait réussi à m'ouvrir l'appétit. Je repris mon chemin, toujours en ligne droite et découvrit enfin l'océan. Je revins sur mes pas, sillonnai la forêt dans tous les sens, jusqu'à ce qu'épuisé je retourne sur la plage près de la cabane où je m'assis pour contempler le couché du soleil et réfléchir. À part quelques troupeaux de chèvres et de nombreuses compagnies de volatiles, il semblait que je fusse le seul occupant de l'île. Si ce constat me rassurait, mon inquiétude n'avait pas disparue pour autant. Je m'interrogeai pour la énième fois sur l'expérience dont j'allais être l'objet... Le lendemain se déroula sans incidents majeurs et une grande partie de mon anxiété s'était envolée. Je commençais même à apprécier mon séjour : j'étais comme envoûté, et le plaisir de posséder l'île pour moi seul (ne serait ce que pour un mois) me fit douter d'avoir jamais connu le bonheur avant ma venue. Ainsi passèrent trois jours plutôt tranquilles.
Ce fut la veille du quatrième que les choses se gâtèrent. Le temps qui avait été beau jusque-là changea brusquement. Ce changement survint au milieu de la nuit et suffit à m'éveiller. Le bruit du tonnerre était assourdissant et la pluie tombait à verse. Le vent hurlait au dehors et de la forêt me parvenaient des bruits sinistres. Je ne parvins pas à me rendormir car je craignais de voir le toit s'envoler à chaque nouvelle bourrasque et les murs de bois s'écrouler. Je me serai alors trouvé dans une situation délicate car je n'avais repéré aucune sorte d'abri dans l'île, ni grotte, ni caverne rien qui aurait pu me protéger de la folie des éléments. L'aube fut particulièrement morose bien que la pluie et le vent eurent cessé. Le sommeil ne venant pas, j'eus l'idée de faire un tour dans l'île histoire de constater les éventuels dégâts de la tempête. En dehors d'un palmier foudroyé et de quelques arbustes déracinés par les vents, la forêt semblait bien se porter. J'étais intrigué par le sort des chèvres sauvages car je me demandais où elles avaient pu trouver refuge. Je commençais alors à m'inquiéter car de toute la matinée je n'en croisais pas une seule. Je me suis donc dirigé vers "la clairière du lac" certain de les y retrouver. Mais l'endroit était vide et mon inquiétude devint de l'anxiété. Cela était du au fait que je ne m'expliquais pas cette dispartion qui ajoutée à celui de ma présence, venait ajouter un mystère à l'île. Troublé plus que je n'aurai cru l'être, je pris le parti de rentrer à la cabane, le ciel était encore sombre et était annonciateur d'autres pluies pour la journée. C'est alors que quelque chose attira mon attention sur le sol. On eut dit, à quelques pas de moi que la terre avait été légèrement retournée et des monticules de boue s'élevaient de part et d'autre. En m'approchant pour mieux voir, j'eus un choc ! Ce qui ressemblait à des lettres formant un message avait été tracé par terre, certainement après la cessation de l'orage sinon il aurait été effacé, c'est-à-dire depuis quelques heures seulement ! Mes cheveux se dressèrent sur ma tête comme si j'avais été frappé par la foudre, je me retournai vivement, en tout sens mais bien sur, je ne vis personne. En dehors du caractère incroyable de cette apparition, ce qui me faisait à présent claquer des dents était la nature du message :

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