Je pose mon café sur la table de la cuisine. Je déteste officiellement ça, mais j'ai besoin d'un remontant. Et on dit que le café à des « vertus ». Deuxième jour dans l'orphelinat dans moins de 30 minutes. Je crois que Tanaïs ne m'aime pas. Franchement pas en fait. Elle me rend la tâche plus difficile. La plupart des enfants se sont mis à se méfier de moi. Je ne comprends pas. Pourquoi ? On était en conflit dans une vie intérieure peut-être. J'entends des pas dans l'escalier :
-Je ne savais pas que tu buvais du café, lance ma mère sur un ton amusé.
-Eh bien si.
J'éprouve un plaisir indéterminé à lui mentir. Ça m'apaise de savoir qu'elle ne sait pas tout de moi. Même si le seul élément inconnu est un mensonge.
-Tu vas être en retard. Tu as mangé ?
-Je n'ai pas faim. Je suis... préoccupée.
-Par cette Tanaïs ? Je pense qu'elle a peur de te faire confiance. Ça lui passera.
Vous voyez ? Elle devine tout. Elle sonde mon esprit à coup de lien maternel.
Je gare la voiture dans le parking, mais je reste dedans. J'observe le mur gris. Moi aussi je pense que j'aurai pété les plombs si j'étais restée ici. Finalement, je décide de pardonner à Tanaïs. Je ne suis pas rancunière. Du moins, pas contre elle. Je pousse la porte d'entrée et tombe sur la secrétaire, Linh, qui explose une bulle de chewing-gum bleue. Est-ce qu'elle dort là ? Sur ce siège ? Je lance :
-Bien dormi Linh ?
-Merveilleusement, me répond-elle, prenant ma question pour une vraie. Par contre, toi... tu as le teint un peu fripé, non ?
-J'ai... très peu dormi.
-Les enfants, hein ? Tu pensais que ce serais facile ici, avoue. Les mettre devant la télé, enfoncer une sucette dans leurs petites bouches cariées... Ce pour cela que j'ai préféré la paperasse. Je peux les agrafer, les feuilles.
-En fait, c'est juste Tanaïs.
-Elle grandi, elle a des envies de révolte, elle a faim, tu sais la puberté.
-Ce pour cela qu'elle me traîne en justice pour les maux du monde ?
-Ce n'est pas personnel Nami. Elle fait ça à tout le monde. Même Alma. Elle est énervée parce qu'elle va devoir partir. Elle a bientôt 18 ans. On l'envoie dans une autre ville, il n'y plus de place ici. Il faut libérer pour les petits. Je ne comprends pas. Les autres ados qui sont partis y sont allés sans rechigner. Ils ont eu un diplôme. Elle, elle crie après la terre. Les enfants de nos jours je te jure !
Je fixe le sol un moment. Je finis par relever la tête et je souris à Linh. Tanaïs se sent seul. Elle a perdu l'espoir. Elle ne sait pas vers qui se tourner. Ca me rappelle quelque chose. La salle est moins bondée que d'habitude... les enfants sont dehors. C'est vrai que c'est bientôt l'été. Je ramasse le linge sale et décide de le monter dans la buanderie. Oui, parce qu'ici la buanderie est en haut. Ces gens sont étranges, je vous l'accorde. En passant près du petit salon, j'entends sangloter. Les mèches blondes de Tanaïs retombent lourdement sur ses genoux. Elle a la tête entre les mains et est secouée de spasmes :
-Ta... Tanaïs ?, dis-je, hésitante.
-Laisse-moi, Nami, je ne veux pas mourir noyée sous ta pitié. Et Dieu sait que tu en as.
Il y a de la rage dans ses larmes. Je déteste ça, personnellement, quand je suis tellement en colère que je pète les plombs et mes larmes coulent toutes seules.
-Doucement Tanaïs. Je me disais juste que c'est nul de pleurer, seule. En plus, tu fais un sacré raffut.
Elle lève des yeux embrumés vers moi. Elle a le visage tout rouge et des cernes sous les yeux. Elle a l'air tellement tourmentée. Beaucoup trop pour son âge. Un âge d'insouciance normalement.
-Tu sais, reprend-elle plus calme, je n'ai rien demandé de tout ça. Je n'ai pas demandé à me faire amener ailleurs. Je n'ai pas demandé à vivre ici. Je n'ai pas demandé à mes parents de mourir. Je n'ai pas demandé à vivre... Et pourtant, c'est le cas. Je suis sous le joug de la fatalité. Et je souffre. J'ai mal, mais je ne sais pas comment ça s'arrête. J'aimerais qu'on me dise que ça va aller. Que tout ça c'était juste une blague. Qu'on me prenne dans les bras, qu'on me serre fort et qu'on me dise que c'est fini, que j'ai déjà connu le plus horrible et qu'il ne reste que le bonheur maintenant. Qu'il ne me reste que le meilleur à vivre.
Je pose ma main sur ses épaules. Elle ne me repousse pas. Je caresse son dos, en sentant sa respiration, lourde. Je veux l'aider. Tellement. Je veux lui donner la meilleur, parce qu'elle n'a connu que le pire. Je veux pouvoir lui dire que ça va aller. Que c'est fini. Que c'était juste une blague. Parce que la souffrance, c'est une grosse blague.
Ce soir-là, je rentre, la tête lourde. Ma mère et Cyrill sont sortis. J'ai quelque chose qui me trotte dans la tête. Une idée. Saugrenue. Un peu risquée. Non, vraiment risquée en fait. Mais, ça pourrait valoir le coup. C'est l'une des raisons pour laquelle je suis revenue après tout. Non ? Je saisi un de mes carnets et mon laptop. J'ai le cerveau en ébullition. Mes idées fusent.
Je veux lui offrir la chance de vivre encore une fois. Tout comme moi. Je veux lui offrir un truc géniale qu'aucun magasin, aussi farfelu, incroyable et cher soit-il, ne puisse vous offrir. Je veux lui donner de l'espoir. Je lance spontanément :
-Tu veux venir avec moi ?
Un silence flotte.
-Donc, tu admets que tu voulais vraiment partir, hein ?, dit-elle mi- rieuse, mi- sarcastique.
-Non, mais... Je ne voulais plus partir. Tu es la raison même de mon départ... Enfin, plutôt le nôtre. On va partir.
-Et on part où exactement ?
-Faire le tour du monde s'il le faut. On va loin. On va se perdre. On va défier la vie et la mort, et les obliger à nous respecter. On va dans ces endroits où les nuits lumineuses et les jours prometteurs. Le temps s'arrêtera pour nous écouter rire. On va vivre une aventure digne d'être racontée. On reviendra peut-être pas demain, ni la semaine prochaine. Mais on reviendra. Parce qu'il faut revenir pour savoir ce qu'on a fait. Je ne te promets pas un voyage sans trouble, mais une histoire qui explose. Donc... tu viens ?
Encore un silence.
-Tu es vraiment une littéraire toi alors, dit-elle en pouffant. Allons-y !
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Apprends-moi à voler
Ficción GeneralJe ne vais pas mettre de résumer ici. Se serait trop facile. Trop rapide. Et cette histoire ne doit pas être résumée. Aucun livre ne devrait l'être. Bonne lecture.