Chapitre 15 : Éloge funèbre (Partie 1)

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Le soir venu, Cordelia s'était rendue à la fête du jour des mémoires. Si tout se passait bien, elle ne devrait plus le revoir LUI. Une soirée sans avoir peur, une soirée sans redouter une fois de plus que son pire cauchemar ne vienne fondre sur elle. Cependant, « répit » n'était pas un mot qui apparaissait de manière fréquente dans son vocabulaire. Ceux qui revenaient rimaient plutôt avec surprise, imprévu, drame, accident, mort...

Soudain, elle entendit un bruit : celui d'un corps qui s'effondrait sur le sol. Un cri suivit, déchirant l'air, venu d'un anonyme dans la foule qui commença à s'agiter, culminant vers le même point. Pendant un temps, Cordelia resta figée sur place sans rien faire. Depuis qu'elle l'avait rencontré LUI, jamais plus elle n'avait espéré vivre sans qu'un incident survienne toujours à l'imprévu.

Tout d'abord, le vide se fit ressentir dans la salle des fêtes, près de l'endroit où Mythia était tombée. Le poison s'écoulant dans sa gorge avait rendu son agonie plus rapide, lui épargnant de souffrir plus longtemps. Un vent glacial pénétra par la grande porte, et vint souffler la moitié des chandelles.

Premier tableau : l'amour paternel.

Cordelia s'approcha de la scène. Etirev tenait le corps froid de Mythia dans ses bras, comme s'il tenait sa propre enfant, un sourire timide sur le visage. Le verre tomba de la main du vieillard, répandant le liquide au sol. Ce n'était pas du vin, c'est alors tout ce qu'elle put constater, car il n'avait pas la même couleur.

Deuxième tableau : le sens du devoir.

Stultus, héritier du trône, jeta un regard bref sur la jeune fille. Il n'y avait aucune tristesse ni surprise le concernant. De tous, il était le seul à demeurer de glace, comme tout prince de Lasiar qui se devait. Il se pencha pour ramasser les écrits qu'elle avait laissés près d'elle au sol, et en profita pour prendre également la canne qu'elle avait dans la main. Elle n'en aurait plus besoin. Cordelia le regarda prendre cet appui, symbole de son infirmité passée, remplie d'émotions. Elle se surprit à observer de plus près le visage de la jeune fille. Il était calme, comme ce soulagement lorsqu'on vient de nous ôter une épine du pied. Malgré cela, on pouvait apercevoir sa maigreur, son teint pâle et sa fatigue. Dix-sept ans, et il lui sembla déjà qu'une grande partie de ses cheveux commençaient à devenir blancs. Sa main, que le vieillard tenait dans la sienne, était si frêle et abîmée qu'on avait l'impression de pouvoir la dégrader rien qu'en la touchant.

Troisième tableau : la perte d'une sœur.

Un couple, semblait-il : une magnifique jeune fille dans une stola bleu océan, ainsi qu'un homme, fort, musclé, imbu de sa personne, qui la serrait contre lui. Poséidon étouffait les pleurs de Maria contre son torse, le haut de la tête de celle-ci lui arrivant sous le menton. Le dieu ne semblait pas réellement plus affecté que le vieil homme, tandis que la sœur étouffait des cris de douleur. Il se pencha vers l'oreille de Maria pour lui murmurer quelques mots, et sur l'instant, un rire léger lui échappa.

Quatrième tableau : le désespoir d'une mère.

Cassia se retrouva là, pétrifiée. Elle crut tout d'abord à un cauchemar. Mais non. La vérité, ça laissait sans voix, puis ça faisait mal, si mal qu'on ne savait plus comment réagir. Que faire alors ? En cet instant précis, elle ne pensa plus. Elle resta là, figée, incapable de détourner le regard. Sa tête vacilla de gauche à droite. Son visage entre ses mains, elle s'effondra au sol.

Le cinquième tableau était situé sur un plan plus vaste, remarqua Cordelia. Il était marqué par les spectateurs, comme elle. Parmi eux, il y avait de tout : des indignés, des sentimentaux, des agacés, des surpris, et certains, parfois, horrifiés, maudissaient les dieux d'avoir pu laisser une telle chose se produire. Ils ne méritaient pas d'être là, témoins d'une scène qu'ils ne parvenaient pas à comprendre, tels des fantômes.

ALTHÆA - T.1 - La Mère des CendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant