Souvenirs d'enfance quand le crépuscule tombait sur le village, oncle Dossou nous racontait le monde des Lwa, de l'invisible autour de nous, face au ciel serein, dans la pénombre d'un acacia.
« Les Lwa sont partout, ils nous observent ! » entonna oncle Dossou en frappant de sa cuillère en bois une calebasse, ceci, dans le but de nous effrayer, avec ses grands yeux, striés de veines éclatées.
Mon frère Osseni souriait, la nacre de ses dents dans le soir brillait : il savait, quand on dit Lwa, qu'on dit Papa Legba, l'esprit des morts, à qui l'on donne parfois un peu de sucre, du manioc, dans une coupelle poussiéreuse, placée non loin de la couche.
« Papa Legba ! Papa Legba ! » répétait Oncle Dossou comme une incantation vibrant sur ses lèvres épaisses, le timbre chaud de sa gorge caverneuse faisant écho au crépuscule.
Kadjola, ma sœur, frémissait, le regard effaré, alors que l'histoire n'avait pas encore commencé ! Fragile, la petiote ! Toujours peureuse, elle s'accrochait, vivace, au pagne d'Osseni, qui lui tapotait les mains avec frénésie.
« J'ai peur », susurrait-elle en tremblotant, ce qui déclenchait les rires d'oncle Dossou et les nôtres, en ricochets. Trois petits coups sur la calebasse, et elle sursauta encore plus, Kadjola, comme un grillon fatigué.
Peur de Papa Legba ?
Comme toutes les femmes des villages alentour ! Celles qui ont une démarche chaloupée et des rires fracassants, celles qui se tuent à ramasser le sel des aurores à la nuit, celles qui fréquentent dans l'ombre les faiseurs de fétiches ou les vieilles à la bouche d'ombre, puante, aux dents bien jaunies, l'œil presque mort qui se ravive à ces seuls mots : Papa Legba. Elles ont toutes peur ! C'est sacré. On ne parle pas du Lwa, jamais ! Elles crachaient, les vieilles, et lançaient des imprécations, le mauvais œil, à son seul nom.
A Djégbadji aussi : interdit de parler de Papa Legba, sauf dans les histoires d'oncle Dossou, au crépuscule. Mais personne ne savait, pas même tante Iyabo ! C'était notre secret. Elle serait devenue folle, si elle le savait, elle l'aurait poursuivi dans les buissons avec son djèâgli pour lui racler la peau et récolter le sel de ses larmes. On ne plaisante pas avec les légendes, aurait-elle dit !
Mais l'oncle Dossou aimait raconter, rire de ses inventions et nous aimions les histoires de Lwa. Elles nous insufflaient de la vie. Les racontars des grands au village n'étaient jamais passionnants, sauf quand quelqu'un disparaissait pour toujours, parce que cela donnait à l'oncle Dossou la liesse. Papa Legba revenait, à travers lui.
Un coup sur la calebasse ! Le visage grave, oncle Dossou nous plongea dans un silence profond. Suspendu à son air concentré, celui d'un sage, les yeux fermés, tête baissée, nous attendîmes ses paroles dans un calme absolu. Toujours à chahuter, à courir, nous n'étions pas capables de nous tenir tranquilles mais là, accroupis à ses pieds, il fallait être sages, se taire, écouter pour savoir.
« Papa Legba est parmi nous, commença-t-il alors, sans emphase, en levant les bras. Il entend tout. Il voit tout. Il sait tout. »
Oncle Dossou marqua alors une pause, avant de reprendre, les mains de nouveau sur les genoux :
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Bradbury's Babies
PovídkyRecueil des nouvelles que j'ai créées dans la cadre du Bradbury Challenge 2017-2018. Objectif du challenge : écrire une nouvelle par semaine, pendant un an. Mes objectifs : la régularité, me dépasser, dompter l'envie, aller dans des genres ou des r...