Trois.

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J'en étais sûre ! Sur les murs de l'école tagué en noir. Mon nom à côté de celui de Bintou la p*te, du CPE qu'on déteste, de tous ceux dont on se moque. Je ne suis plus allée au collège. Ça faisait quinze jours que Sinem avait été exclue. Je me levais, maman prenait son petit-déjeuner avec moi puis elle se postait à la fenêtre pour me regarder partir. Je lui faisais le signe de main qu'elle attendait et je me retrouvais dans le vide.

Flash-back

J'étais en CE2.

Ce jour-là, Mlle Nosil nous avait promis qu'après la récréation, on irait faire du sport. Depuis le début de l'année, c'était la première fois et ça avait excité toute la classe. On était tous assis, les bras croisés sur la table, en attendant le signal. J'étais au dernier rang à côté de Clémentine et je me souviens que je bouillais d'impatience. À ce moment-là, Clémentine a levé le doigt et a dit en pleurnichant qu'on lui avait volé son crayon de couleur bleu ciel. La prof' adorait Clémentine. Elle la fouillait dans nos cartables, ça a pris un bon moment et elle a retrouvé le crayon dans ma trousse. Elle s'est donc agitée en l'air pour attirer l'intention de toute la classe. Elle s'est penchée vers moi, pour me souffler :

Mlle Nisol - Tu vas aller sur l'estrade et tu vas leur dire que c'est toi, que tu es une voleuse et une menteuse et que c'est à cause de toi que nous ne sommes pas allés faire du sport.

Pourtant ? Ce n'était pas moi. Dans les escaliers Sinem s'est moqué de moi. Encore, aujourd'hui, je pense que c'est elle qui avait monté ce coup-là. À cette époque, elle me détestait, moi et le sport. J'ai serré les dents et j'ai juré de me venger. À la sortie derrière la grille, j'ai reconnu de loin la silhouette de mon père. Il ne venait jamais me chercher. J'ai eu peur, j'ai cru qu'il savait déjà pour le crayon et qu'il était venu pour me punir aussi. J'ai vu Mlle Nisol s'approcher et lui parler. Cette pétasse lui fessait de grands gestes. Mon père l'écoutait la tête baissée. Il m'a emmenée dans un café et commandé un jus d'orange. Il n'avait rien pris, pour lui.
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Il m'avait annoncée qu'il allait partir. Qu'il n'en pouvait plus de cette vie-là et aussi qu'il n'avait pas le choix.

C'est bien plus tard que je me suis rendu compte de ce qui était en train de se passer. Sur le moment, je l'écoutais, je faisais même tout ce que je pouvais pour essayer de comprendre. Mon père était malheureux, il rendait ma mère malheureuse, alors il valait mieux partir. J'avais huit ans, je le croyais sur parole.

Moi - Mlle Nisol t'a dit pour le crayon ?

Papa - Oui. Pourquoi t'a fait ça, Syra ?

Moi - C'était pas moi..

Papa - Pourquoi tu ne l'as pas dit ?

Moi - Il était dans mon cartable, mais ce n'était pas moi.

Papa - Faut pas te laisser faire poupée. Jamais ! Tu m'entends ?

Moi - Oui.

Papa - Tu m'le promet ?

J'ai promis. Il s'est levé pour me ramener à la maison au pied de notre immeuble. Il m'a prise dans ses bras. Je ne ressentais rien, je n'ai pas pleuré. Je me souviens même plus de son odeur, ni de ce que j'ai senti à ce moment-là.

C'est maintenant quand j'y repense que j'ai la gorge qui serre et que je me répète que j'aurais dû trouver quoi lui dire pour l'empêcher de partir. Je l'ai regardé s'éloigner, il m'a fait un signe et je ne l'ai plus jamais revu. Le Noël suivant, il m'avait envoyé un livre. Ça venait de Marseille, c'est le seul cadeau qui m'ait fait et mon premier livre. Le lendemain, je me suis battue avec Sinem. Je lui ai sauté dessus et je l'ai tirée par les cheveux et griffée et frappée aussi fort que j'pouvais. Elle m'a suppliée d'arrêter quand je lui arraché sa bouche d'oreille. J'ai eu peur en la voyant saigner, mais je n'ai rien regretté. La guerre était déclarée. On a passé six mois à se faire les coups qu'on puisse imaginer. C'était devenu une obsession geh, il n'y avait plus de moyens pour nous arrêter.

Je me débrouillais toujours pour que Sinem prenne toutes les bêtises que j'pouvais inventer. Pendant plusieurs mois, elle passé toutes ses récréation dans le bureau du directeur M.Bastouy.

Je n'avais aucune peine, je voulais la faire payer. Jusqu'aux jours où au moment de sortir les affaires en classe, j'ai plongé ma main dans mon cartable et j'ai poussé un cri que j'ai très vite retenu. Une souris m'avait mordue. J'ai compris d'où ça venait, j'ai vu que la moitié de la classe avait les yeux rivés sur moi, et puis que ma main saignait. Mlle Nisol était la seule à n'avoir rien remarqué. Dans le bruit ? Elle n'avait pas dû m'entendre crier. J'ai attrapé la souris. J'étais dégoûtée, mais j'ai commencé à serrer. Elle s'est débattue un temps qui m'a semblé très long puis petit à petit, je la sentais faiblir. J'devais saigner et puis d'un coup, je ne l'ai plus sentie bouger. Elle était morte. Quelqu'un m'a tendu un mouchoir. J'ai croisé le regard impressionné de Sinem. J'étais fière ! Le soir, j'ai vidé mon sac'. J'ai jeté la souris sans la regarder et j'ai tout nettoyé avant d'aller dodo. J'vous cache pas que j'avais quand même peur de c'que j'avais fait. J'avais tué une souris ! Mais je n'avais gagné qu'une seule chose .. Sinem me respectait ! Elle est même venue s'excuser. C'est après cette fois-là qu'elle a commencé à m'inviter chez elle.

Syra : Rien de plus qu'un baiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant