Ça y est. Les flammes engloutissent la boîte en carton. Elle est tellement petite, la boîte, dans cet immense four. Elle se racornit, noircit, et disparaît petit à petit dans la cheminée d'acier. La vitre semble s'assombrir, sûrement à cause de la suie, des cendres légères qui volettent dans le four.
Ça n'aurait pas dû être long, parce que la boîte est minuscule. Après tout, elle ne contient qu'un bébé.
Il avait été tellement content en entendant la nouvelle. Enfin, après trois ans d'un mariage heureux, ils allaient finalement devenir parents. Et on ne pouvait rêver meilleure grossesse. Excellent docteur, argent mis de côté spécialement pour la déco et les nouveaux meubles, belle-mère pour une fois compréhensive, et meilleure amie qui travaillait à la maternité. Neuf mois certes long, mais remplis de petites joies. C'est vrai que ça met long un enfant, pour se former. Quand on pense qu'un rat, ça peut se reproduire plus de cinq fois par an. Mais on n'est pas des rats. Ce qui est dommage, parce que lui, il aimait bien les rats.
Ses poings se serrent, et son cœur se fait de glace, se mortifie. Il tourne lentement les yeux vers la belle-mère. Elle, elle pleure, sa fille dans ses bras, qui regarde le vide, hébétée, et trop effondrée pour exprimer quoique ce soit. Elle a plein d'amies, elle, qui l'entourent, et qui ont des regards attendris, pleins de pitié, comme une troupe de vautours charognards qui n'attendent que le buffet d'après. Y en a aucune qui est venue au mariage, sauf sa meilleure amie, qui lui tient la main, et qui regarde la belle-mère, des sillons humides sur les joues. Lui, il est tout seul. Parce que les hommes, on les console pas, ils sont censés le faire tout seuls. C'est un peu idiot, mais c'est comme ça, c'est la société qui le veut. Les femmes, ça peut pleurer, les hommes, non. Eux, ils peuvent crier et frapper, les femmes, non. C'est ainsi.
La naissance s'était tellement bien passée. Tout en douceur. Et lui, il attendait avec inquiétude dehors. Il faisait les cent pas, aux côtés du beau-père, et les deux hommes se jetaient des regards à la fois impatients et angoissés. Et puis à un moment, la meilleure amie sort, le sourire aux lèvres, radieuse, et c'est un petit garçon qu'il voit en entrant dans la chambre. Alors tout devient blanc, il n'existe autour de lui que sa femme, et son fils. Son Fils.
Près de lui, il y a ses parents, qui pleurent. Et sa sœur, qui pleure aussi. Et puis son oncle, ses deux tantes, le frère et la sœur de sa belle-mère, les neveux, les nièces, les cousins, les cousines. Et tout le monde pleure. Tout le monde verse des larmes, et se lamentent. Sauf lui. Il ne dit rien, son cœur est gelé, son visage de marbre, et il est aussi immobile qu'une statue. Seuls ses poings se serrent de plus en plus, et les jointures de ses doigts deviennent blanches.
Les premiers mois s'étaient si bien déroulés. La vendeuse au magasin, elle était surprise de voir un homme arriver en sueur, vers la fermeture du magasin, pour acheter des fraises, des Pampers et des serviettes hygiéniques. Mais elle avait pas posé de questions, parce que c'était une vendeuse dans un petit village, ouverte d'esprit. Dans une ville, on l'aurait regardé aussi bizarrement qu'on aurait regardé une femme qui vient acheter des préservatifs. Ça se fait pas, c'est la société qui veut ça, et c'est ainsi. Mais c'est au septième mois que tout est parti en fumée, comme la petite boîte.
A ce simple souvenir, son cœur devient encore plus froid que la banquise tout au Nord, et un blizzard gris obscurcit son esprit. Elle était fatiguée, donc elle est partie se coucher. Et lui, il regardait le bébé, qui dormait dans son berceau. Mais c'est quand le chat a commencé à miauler comme un forcené, en griffant les barreaux qu'il s'est levé, et qu'il a vu le visage bleu du son fils. Son Fils. Mort. Parti. Il ne respirait plus. Et son absence de souffle faisait miauler le chat. Elle s'est réveillée quand elle a entendu le cri de son mari. Il n'était pas fort, étonnamment, juste un petit « Non ». Mais il a résonné dans la maison silencieuse, et quand elle a vu son fils, ce sont d'énormes sanglots qui ont traversé les murs et rameuté les voisins.
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Textes en vrac
General FictionJuste un endroit où je mets des textes sans rapport avec les histoires en court, des bouts d'histoires commencées, abandonnées, des one-shot "vent" ou non, des bout de poèmes, des éclats de description, des trucs sans queue ni tête, écrits avec soin...