Chapitre 17 - Iris enflammés

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— Céleste !

L'oiseau bleu se rua sur la jeune fille, la faisant tomber à la renverse devant cette réaction pour le moins... inattendue !

— Euh... Bonjour, lui répondit prudemment Céleste, assise sur le parquet ciré.

— Je te présente Minéa, fit Lisæ dans son dos. La fille d'Élania.

L'adolescente voulut se relever mais n'y parvint guère. Elle n'eut pas fait un geste qu'elle sentit un étourdissement soudain s'abattre sur elle, doublé d'une fatigue surnaturelle. Malgré elle, elle savait ce que les paroles de sa génitrice signifiaient, mais son cerveau se refusait à les assimiler. Elle déglutit péniblement. La jeune fille aurait dû se sentir heureuse, complète, ressentir cette sensation fugace d'une moitié enfin complétée, et pourtant, rien. Rien que le vide. Les abîmes. L'obscurité. Ce trou béant qui obstruait son cœur représentait toujours une plaie profonde, un fléau inégalé qu'elle ne parvenait à éradiquer.

« Dans ce cas que recherches-tu Cælestis ? »

Céleste sursauta. Une voix s'insinuait dans son esprit, telle cette désagréable impression d'un serpent sifflant de son souffle glacé contre ses tympans. Bien qu'elle n'ait entendu sa voix qu'une seule et unique fois, une certitude acerbe s'empara d'elle, lui murmurant le nom de cet intrus.

« Tu... Tu peux lire dans mes pensées ? », demanda-t-elle à la perruche par le biais de ses pensées.

« Disons que je peux te parler dans ton esprit et entendre ce que tu souhaite me dire ! »

« Ça, ça m'étonnerait ! rétorqua la jeune fille. Tu n'as eu aucune difficulté à pénétrer mes pensées quelques instants plus tôt, alors que celles-ci étaient privées ! Je ne te les avais jamais adressées. »

Elle regretta aussitôt son ton sec et mauvais lorsqu'une onde de froissement sembla émaner du petit oiseau bleuâtre.

« Je peux t'assurer que tes rêvasseries m'étaient destinées, sans quoi jamais je n'aurais pu prendre la liberté de les écouter ! Tu as besoin de parler, Céleste, je le sens. Tu m'as inconsciemment adressé ces pensées – quelque peu attristantes et vexantes, mais je ne t'en veux pas –, que tu le veuilles ou non ! »

« Je n'ai absolument pas besoin de parler ! Ma vie privée ne te regarde pas. Je n'ai pas besoin de toi et mon existence est très bien comme ça, merci bien ! »

— Eh bien, commença Lisæ tandis que Céleste et Minéa se foudroyaient du regard, ignorante du conflit intérieur qui s'était engagé entre les deux Prophète et adolescente, direction la noble et grande Fabrique, désormais ! La plus importante entreprise nocturne, Céleste.

Elle tendit une main à sa fille, qui la saisit brutalement, encore agitée de colère, et qui camoufla rapidement son énervement avec un petit sourire afin d'adoucir son geste.

« Écoute Céleste, je suis désolée si j'ai forcé les barrières de ton existence personnelle, mais s'il te plaît, ne nous disputons pas plus ! J'ai vécu quinze ans seule ici, et j'ai enfin l'opportunité de te rencontrer, alors cessons, nous avons trop de choses à partager pour perdre cette complicité dans une histoire ridicule. »

À contrecœur, Céleste dut admettre qu'elle avait raison. Mais elles n'eurent guère le temps de parlementer plus longtemps qu'elles parvinrent enfin au pied d'un haut bâtiment de pierres blanches. Un large escalier de marbre menait au perron, encadré de longues colonnes blanches soutenant une voûte en ogives. Les deux hautes portes de chêne étaient grandes ouvertes afin que n'importe qui puisse y pénétrer à sa guise. D'une bâtisse annexe reposant aux côtés du géant s'échappaient de larges camions blancs arborant fièrement le titre de leur entreprise en lettres d'or, La Fabrique, ainsi que l'insigne de cette dernière.

Les trois visiteuses s'apprêtaient à entrer lorsqu'un cri strident se fit entendre.

— Sinelma ! s'exclama Lætitia d'une voix plus atterrée que réellement inquiète.
Une minuscule chouette grise volait avec peine dans leur direction, agitant précipitamment ses ailes grêles autour de son corps rond. Aussitôt arrivée, elle s'effondra sur l'épaule de Lætitia, épuisée, tandis que celle-ci, un sourire au coin des lèvres, se retenait visiblement de rire.  

Céleste sourit à son tour. Avec sa petite taille, la Prophète était adorable, mais avait dû trouver le voyage éprouvant ! Sinelma reprenait son souffle, son minuscule bec entrouvert, sa toute petite poitrine se soulevant à un rythme effréné.
— Je... n'en... peux plus ! haleta-t-elle d'une voix aiguë.

La chouette prit alors conscience des deux autres jeunes femmes qui la contemplaient avec bienveillance. Si elle ne possédait de plumage, ses joues seraient sûrement devenues écarlates !
— Bon-bonjour ! bredouilla-t-elle avec timidité.

— Enchantée ! s'écria Minéa en volant jusqu'à la blonde pour lui serrer la patte avec un entrain exagéré.
Elle était deux fois plus grande que Sinelma.

— Je ne voudrais pas vous presser, dit alors Lisæ, mais nous ferions bien de nous dépêcher !

Elles entrèrent, et furent conduites jusqu'à une salle d'attente bondée. Des fauteuils de velours rouge étaient disposés çà et là. Un feu brûlait dans l'âtre de la cheminée, rougeoyant, projetant sur le mur une ombre mouvante et effrayante.

Au fond de la pièce se trouvait une petite porte dérobée. Une plaque de métal indiquait : "Salle de commandes".
Relevant la tête, elle rencontra de plein fouet son reflet dans le miroir qui lui faisait face. Elle sourit pensivement, mais se rendit vite compte avec stupeur que la glace ne lui retournait pas son sourire, mais un rictus carnassier. Céleste faillit tomber de sa chaise alors que ses yeux gris rencontraient leur reflet rougeâtre. Frappée de stupeur et d'horreur, elle sentit quelque chose remuer au fond de son âme. Durant un instant, elle eut la sensation volage d'un cœur enfin complet, avant que ce sentiment ne parte en poussière, emportant avec lui ses iris incandescentes...

Le syndrome des cœurs de pierre I - PupilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant