Une fine bruine tombait dans la rue parisienne, mais Lucien la sentait à peine, sous son épaisse cape et son chapeau noir. Avec un de ses hommes il patientait, à l'abri d'une ruelle, non loin de l'estaminet où se trouvait sa cible. Deux autres assassins patientaient de l'autre côté, à peine visible dans la pénombre.
Après une longue attente, six hommes finirent par sortir, ensemble. Au milieu Lucien reconnut le comte de Maurébant, celui qu'il devait occire ce soir. Hélas, celui-ci avait choisi une garde plus conséquente qu'à l'accoutumée et s'en prendre à eux ne relèverait pas d'une partie de plaisir. Il n'avait guère le choix, cependant, et devait accomplir ce pourquoi on l'avait mandaté.
Il ajusta le foulard qu'il portait autour du cou de manière à couvrir bouche et nez, ne risquant ainsi pas d'être reconnu, à moins qu'il fût terrassé. Son compagnon d'armes fit de même, tout comme les deux autres soldats. Il leva le poing à l'attention de ses derniers, prêt à donner le signal de l'attaque.
Le comte et ses compagnons passèrent dans la rue, le noble discutant avec un des autres hommes, que Lucien ne reconnaissait pas d'ici. Il faudrait peut-être l'épargner, des fois qu'il s'agît d'un membre du clergé ou de la Cour. Parmi les autres ne se trouvaient que des hommes de mains, moins bien armés et relevant au mieux de la petite noblesse.
Lucien abaissa le poing et dégaina son sabre, avant de s'avancer à la suite des six hommes, aussitôt accompagné par ses soldats. Un des hommes de mains se retourna mais déjà le bretteur le passait au fer, signifiant le début de l'attaque.
Des cris résonnèrent alors que les agressés dégainaient à leur tour leurs armes pour repousser l'assaut, qui avait déjà fait deux morts. Hélas, si le comte avait visiblement bu, on ne pouvait pas en dire autant de l'inconnu, qui qui repoussa et blessa l'un des hommes de Lucien de son épée de cour à l'épaule. Il s'agissait visiblement d'un duelliste entraîné, qui parvint à intercepter un coup destiné à Maurébant, avant de blesser un second assaillant.
Lucien s'en prit à lui, tandis que ses deux hommes encore debout luttaient avec le dernier homme de main, qui ne ferait pas long feu. Le comte en profita pour s'enfuir, ses talonnettes résonnant sur le pavé humide. Il se fit aussitôt poursuivre par l'un des compagnons blessés de Lucien. Ce dernier n'eut pas l'occasion d'en voir davantage, car son adversaire anonyme se fendit vers lui et l'obligea à parer, ses pieds glissant sur la pierre humide.
Il évita une seconde attaque et contra, mais son adversaire se recula prestement et Lucien ne toucha que le vide. Son souffle s'accélérait sous le foulard. L'autre bretteur était excellent, il s'en rendait compte à présent. Peut-être meilleur que lui.
Lucien ne se décontenança pas cependant et reparti à l'assaut, les lames se croisant dans la nuit dans une danse cruelle et magnifique, qui n'était pas sans rappeler la parade amoureuse de deux amants.
Tout à coup, l'inconnu se lança dans une botte compliquée, tournant sur lui-même tout en chassant la lame de Lucien, avant de fouetter le bretteur à la cuisse, le lacérant douloureusement. Lucien se recula en poussant un cri, alors que son adversaire l'agressait à nouveau. Malgré la douleur il fit un pas de côté et riposta, ce qui surprit visiblement l'escrimeur en face. Il le toucha également, mais sans y mettre assez de force pour le mettre hors de combat.
Tous deux se remirent en garde, sabre contre estoc.
— Vous êtes très habile, le complimenta l'inconnu.
Lucien vit son visage pour la première fois, et réalisa que la peau de l'homme était noire comme l'ébène. Qui pouvait-il bien être ?
— Je vous retourne le compliment. Peu peuvent se targuer de m'avoir touché.
— Merci. Il est toutefois fort dommage que vous vous rangiez du côté d'assassins. Vous auriez un grand succès dans les armées du Roi.
— Et il est déplaisant de vous voir aux côtés d'un rival de ce même Roi.
— Un rival ?
Lucien vit alors l'homme qui poursuivait le comte revenir dans la ruelle, en boitant. Il fit un signe de la main pour signifier que le forfait était accompli. À ses côtés, le dernier homme de main venait d'être terrassé. Seul restait son adversaire.
— Je vais devoir vous abandonner pour ce soir, reprit Lucien à l'attention de l'autre duelliste. À l'avenir, je vous conseillerais de faire attention à vos fréquentations.
Il fit alors un pas en arrière pour se désengager, et l'autre le laissa procéder, rompant ainsi le combat. Lucien le salua, puis partit en arrière. Il dut enjamber les corps frais des victimes de leur attaque nocturne, leur sang se vidant sur les pavés. Deux de ses soldats étaient blessés, mais aucun occis, ce qui relevait en soi du miracle.
— Alors ? demanda Lucien en regagnant leurs chevaux.
— J'ai blessé le comte et je lui ai transmis le message, comme prévu, lui répondit Georges. Il ne commentera plus sur la santé de notre Roi.
— Parfait.
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Les infortunes de Lucien - (extraits du roman édité)
Ficción históricaVersailles, 1776. Lucien est Garde-du-corps du roi, prestigieuse position qu'il doit à la bienveillance de la reine. Hélas, son Altesse royale ne manque pas de lui rappeler ses devoirs envers elle, ce qui pourrait bien le mener à sa perte. Un roman...