L'air frais caressait ma peau. Je soupirai en me blottissant contre mes draps. Un cri d'enfant résonna au loin. Un sourire sur le bout de mes lèvres, j'enfouis ma tête dans les oreillers. J'avais encore toute la matinée pour dormir.
— Sky ! Pour la troisième fois, veux-tu bien descendre ?
Ou pas. Je repoussai ma couette et me levai en soupirant. Notre chien, Kapla, m'accueillit en bas des escaliers. Je le pris dans mes bras et entrai dans la cuisine.
— Enfin ! Nous avons commencé sans toi, s'exclama ma mère en m'apercevant.
Je m'assis en face de mon frère, et regardai d'un œil suspicieux le plat de pâtes au milieu de la table.
— Encore ? dis-je en lançant un regard noir à la coupable qui nous avait préparé le dîner.
— Oui, encore, répondit-elle en soupirant. Et tu sais très bien que je ne peux pas faire mieux.
Je me retins de souffler et me servis.
— Maman, quand est-ce qu'il revient papa ? demanda Matt pour la énième fois.
C'était quasiment les premiers mots qu'il avait appris en commençant à parler, et j'exagérai à peine.
— Jamais, marmonnai-je en espérant que ma mère ne m'ait pas entendue.
En fait, si, j'espérai qu'elle m'entendait bien.
— Sky ! s'écria-t-elle.
Elle me lança un regard furieux que j'ignorai royalement, et se tourna vers mon frère.
— Il reviendra mon chaton.
Matt, cinq ans, hocha la tête et avala son énorme cuillerée de pâtes.
Le père dont il parlait n'était pas le mien. Il y a cinq ans, ma mère m'avait annoncé qu'elle était enceinte, et que le père de son enfant ne voulait pas en assumer la responsabilité. Depuis, un froid s'était installé entre nous. Je ne lui en voulais pas d'avoir eu un autre enfant. Je lui en voulais d'avoir aimé un autre homme que mon père, et de lui avoir tourné le dos si vite.
Un lourd silence s'installa autour de la table. Évidemment, tout le monde, sauf Matt, qui essayait nerveusement de mettre le plus de pâtes possibles dans sa cuillère, pensait à mon père. Le traitre, comme aimait tant l'appeler le gouvernement. Exilé pour sa rébellion, personne ne l'avait vu depuis dix ans. Bloqué à l'intérieur de la ville, il devait se battre chaque jour pour survivre dans l'ombre. Et ça valait mieux pour lui. S'il se montrait, il serait tué. Pourtant, j'aimerais que quelqu'un le voit, un jour. J'aimerais arrêter d'entendre les prières de ma mère tous les soirs, suppliant Dieu de le garder en vie. J'aimerais revoir ce père dont je me souviens si peu. Mais il a été trahi. Je ne sais pas s'il est encore vivant. Qui survivrait dix ans dans une ville surveillée comme Ashes sans se faire prendre ?
Mon père, ce traître, me manque. On dit que le deuil s'atténue au fil des années. Mon deuil, lui, ne cesse de croître. Et chaque jour, ça fait de plus en plus mal.
Après le dîner, je m'apprêtai à remonter dans ma chambre quand ma mère m'arrêta devant l'escalier.
— Sky, t'es-tu entraînée ? me dit-elle, soucieuse.
— Ça t'intéresse ? grognai-je.
— Oui maman, repris-je devant son regard noir, je me suis entraînée.
— Tu dois le réussir, Sky, il en va de notre survie. Si tu ne rentres pas dans l'élite, alors ce ne sera plus des pâtes que nous mangerons le soir, mais sans doute rien du tout.
J'acquiesçai et montai lourdement les escaliers. Malgré ma colère, je savais qu'elle avait raison. Depuis l'exil de mon père, ma mère avait du mal à payer le loyer, et à nous trouver un repas chaque jour.
Demain, je passerai le Test. Celui qui décidera qui mérite de rentrer dans l'Élite et d'accéder aux métiers les plus importants de la capitale. Si je le réussis, alors je pourrai nourrir ma famille pendant de nombreuses années. Mais ce n'est pas ce que je dois viser. Je dois viser la première place, car cette année, celui qui a les meilleurs résultats du test épousera le fils ou la fille du gouverneur. Si je l'épouse, ce n'est pas un repas que j'offrirai à ma famille. C'est une maison où l'on puisse avoir chaud l'hiver, où l'on puisse avoir assez de lumière pour voir ce qu'on écrit, où l'on puisse prendre une douche chaude qui dure plus d'une minute. C'est un endroit où vivre. Un endroit où mon frère pourra grandir, et où ma mère pourra vieillir. Un endroit pour sauver ma famille, et avoir les moyens de finir ce que mon père avait commencé : conquérir le ciel.
Il y a 1000 ans, la guerre a éclaté. Une guerre mondiale. C'était pourtant parti d'une bonne volonté : la Russie et les États-Unis voulaient s'allier, pour ensuite venir en aide aux pays les plus pauvres. Mais un homme, un seul homme, a tout renversé. Après avoir tué le président des États-Unis, et pris sa place, il en a fait de même avec le président Russe. Il a ensuite instauré une dictature, qu'il a voulu étendre sur le monde entier. Mais les peuples se sont soulevés. C'était un véritable sens-dessus dessous. Plusieurs guerres différentes ont été provoquées. Le problème ? C'est qu'elles ont toutes eu lieu en même temps. Le monde a explosé. Bon, pas concrètement.
Mais un groupe d'hommes a réussi à dominer les autres. Les doyens. Pendant des dizaines et des dizaines d'années, ils ont instauré la paix, et ont ensuite pris possession des États-Unis, fauteur du trouble, et ont sanctionné le pays. Comment ? En les coupant du monde. Chaque ville a été enfermée dans une bulle, comme j'aime l'appeler. Personne ne peut en sortir. La bulle est constituée de parois électrifiées. Impossible de passer à travers, au-dessus, ni même en dessous. Mais ce n'était que la première sanction.
Après avoir isolé chacune des villes sous une bulle, ils ont détruit tout moyen de communication extérieur afin que nous ne puissions correspondre qu'à l'intérieur de la capitale. Ils ont ensuite divisé les villes en quartiers et les hommes se sont bousculés pour acheter une maison dans les meilleurs d'entre eux. Les plus riches ont eu le droit à ceux du nord, pendant que les plus pauvres se contentaient de ceux du sud, des marécages, et des bidons-villes.
Puis, ils ont élue une famille pour gouverner chaque ville. À Ashes, la famille Lochlan a été choisie. Pour protéger ces familles, plusieurs lois ont été instaurées. Trop de lois. La plus importante étant que leurs enfants n'ont pas le droit de se montrer en public avant leurs 21 ans, pour leur sécurité.
Depuis 1000 ans, nous vivons en autarcie. Derrière les murs de notre ville, se trouvent d'autres milliers de villes, enfermées dans une bulle.
La punition la plus importante, mais qui n'a pas été provoquée par les doyens, est la couleur du ciel au-dessus de notre tête. Les bombes nucléaires, les explosifs, et tant d'autres armes puissantes et dévastatrices ont détruit le ciel. Il est peu à peu devenu gris, puis jaune. Personne n'a vu sa couleur depuis des années. Les doyens ont ordonné de détruire tout papier, toute image qui montrerait la couleur du ciel aux hommes. Pourquoi ? Pourquoi rêver de quelque chose que l'on ne verra plus jamais, vous diront-ils.
Les hommes y ont cru. Les doyens avaient sauvé notre pays, pourquoi voudraient-ils le détruire ? Ils se sont ensuite séparés, et plusieurs d'entre eux sont allés dans chacune des villes.
Voilà notre histoire. Du moins, celle que l'on nous raconte à l'école. Mais comment être sûrs que c'est la vérité, puisque nous n'avons jamais pu sortir de ces murs ? Il leur serait si facile de nous mentir. C'est ce que disait mon père.
Il accusait les doyens de mentir aux hommes, de les enfermer pour les contrôler, et de provoquer le ciel jaune au-dessus de nos têtes pour les empêcher de rêver de liberté, de sortir de ce monde. Ils leur vendaient un monde en ruine, détruit, pour que les hommes leur fassent confiance.
Je me dois de suivre ses pas. Je dois trouver la preuve que le gouvernement nous ment. Et le montrer à la ville. Je dois réussir à voir la vraie couleur du ciel.
VOUS LISEZ
Le Ciel dans tes Bras
Teen FictionComment expliquer le ciel à quelqu'un qui ne l'a jamais vu ? Lève les yeux. Oui, toi, lève les yeux. Regarde par la fenêtre. Que vois-tu ? Un ciel bleu, gris, noir ? De la pluie ? Des étoiles ? De la neige ? Que se passerait-il si il n'existait plus...