Chapitre 19 : chaleur glacée.

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LES PREMIERS jours chez monsieur Lagier avaient été compliqués. Il était le père d'une fille que j'avais fréquenté quand j'étais plus jeune. C'était difficile de faire abstraction. A chaque fois que je parlais, il y avait une part de moi qui se disait "et si il en parlait à Valérie ?".

Je n'aimais pas la blonde. Elle était trop compétitive. Elle voulait être la meilleure partout : avoir le plus d'amis, sortir avec la plus belle personne, avoir les meilleures notes et intégrer une excellente équipe de rugby. Elle n'aurait aucun scrupule à me balancer.

Alors je pesais mes mots. J'offrais à monsieur Lagier des parcelles de pensées, comme des fines tranches de gâteaux qu'on offrait à un enfant qui avait déjà trop mangé. Il s'en satisfaisait en espérant un jour avoir plus.

Je ne parlais pas beaucoup de moi. Surtout de mon entourage. De Violette, qui tournait très mal. De Mathilda, qui la jouait chaud-froid. De ma mère, qui vrillait totalement depuis qu'elle avait recontacté Anita. De mon père qui se confondait chaque jour un peu plus avec le papier peint. De Tony qui répondait de plus en plus brièvement aux messages. De Charles et Marie qui s'isolaient un peu plus dans leur bulle d'amour dégueulasse.

De Steph qui devenait carrément exigeante et de Joséphine qui craquait pour moi.

Et de la solitude qui me tenait un peu plus dans les bras chaque jour. J'avais l'impression que l'eau commençait à monter. Je commençais à comprendre ce que Charles voulait dire par océan.

Les vagues m'avaient léché les pieds, elles m'arrivaient maintenant aux mollets. Mais qu'arriverait-il quand la marée haute m'aura entièrement submergée ?

*

Je boutonnais mon manteau et saluait monsieur Lagier avant de sortir de la salle. Alors que je marchais dans le hall en démêlant mes écouteurs, une main m'attrapa le bras.

« Excuse moi, fit une voix. Je veux pas te faire peur mais... »

Je tournais mes yeux vers elle ; je l'avais déjà vue quelque part mais impossible de me rappeler où. Les yeux bleus cernés d'un regard triste, la bouche rose pâle et un grain de beauté au menton. Définitivement, elle me disait quelque chose.

« Excuse moi, tu serais pas la copine de Mathilda ? »

Je la détaillais en fronçant les sourcils. Des yeux bleus océans, des cheveux bruns qui ondulaient au niveau de sa poitrine, un grain de beauté au menton et des lèvres brillantes. Bien habillée, jolie à regarder.

« Euh, si, pourquoi ?

— Je savais bien que je t'avais déjà vue quelque part. »

Elle m'offrit un sourire gêné.

« Je veux pas t'insulter, hein. Me regarde pas comme ça, fit-elle en riant nerveusement.

— Pourquoi tu m'insulterais ?

— Bin...oh, je vois, tu sais pas qui je suis. Je suppose que c'est mieux comme ça ? »

Elle tordit ses mains, l'air très mal à l'aise.

« Déotile ? »

La jolie fille approuva d'un hochement de tête.

« Je voulais m'excuser pour la dernière fois au café. Tu l'as sûrement oubliée mais pas moi. Je suis désolée d'avoir parlé comme ça, j'étais dans un état second et...bref, désolée.

— Tu devrais arrêter la drogue, alors, parce que ça te rend très agressive.

— Je me drogue pas, je...bref, c'est très compliqué. Pourquoi tu crois que je suis ici ? fit-elle avec un autre rire nerveux.

Dernière valse.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant