Il était presque treize heures et le petit couvert du roi allait bientôt commencer, lorsque l'huissier de salle entra dans le salon de Mars. Aussitôt, tous les Gardes-du-corps se levèrent et le saluèrent. L'huissier mobilisa un autre lieutenant que Lucien, et tous deux partirent, accompagnés de quelques hommes de la compagnie.
Lucien quitta alors le salon dédié à sa compagnie, pour réajuster son bandage dans ses appartements privés. Il ne souhaitait guère se déshabiller derrière un paravent, dans l'intimité la plus légère, aussi bien vis-à-vis des autres gardes que des membres de la cour. Il n'y avait à Versailles que peu d'endroits privés.
Sa blessure se montrait douloureuse à chaque pas, au bout d'une demi-journée à se tenir debout. Voilà bien pourquoi les membres de la Garde Ecossaise, première compagnie des Garde-du-corps du roi, portaient la culotte rouge. Ils pouvaient ainsi se vider de leur sang sans qu'on en vît la moindre goutte. Malgré tout, il aurait dû être de repos ce jour, ce dont le capitaine avait cure. Souhaitait-il qu'il fît une faute d'étiquette et s'humilie publiquement ?
Dans les couloirs encombrés, les nobles, les dames de compagnies ou les courtisans discutaient de sujets aussi frivoles que la dernière mode, ou aussi graves que les alliances et guerres qui se préparaient et dont le royaume était si friand. Les ambassadeurs étrangers, venant aussi bien de Russie que d'Angleterre, de l'empire Ottoman que d'Espagne, et négociaient des mariages ou des liaisons commerciales, menant des escarmouches de mots dont le moindre écart pouvait entraîner toute une nation sur le chemin de la guerre.
Quelque part, Lucien espérait que le Roi décidât de partir en campagne, où il pourrait enfin montrer son talent à la guerre, mais surtout s'éloigner de la cour et de ses dangers. Il était en effet bien plus à l'aise l'arme à la main que dans la galerie des glaces.
Les tableaux accrochés aux murs représentaient pour certains de magnifiques scènes de batailles, le plus souvent remportées par la France. Lucien n'ignorait pas l'envers du décor, l'implacable violence de l'artillerie, l'épuisement des armées, la dysenterie, et les batailles dans la boue et le sang. Mais ce monde, à l'inverse de Versailles, était honnête. On pouvait y faire confiance aux siens, et surtout on identifiait ses ennemis avec facilité.
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Les infortunes de Lucien - (extraits du roman édité)
Historical FictionVersailles, 1776. Lucien est Garde-du-corps du roi, prestigieuse position qu'il doit à la bienveillance de la reine. Hélas, son Altesse royale ne manque pas de lui rappeler ses devoirs envers elle, ce qui pourrait bien le mener à sa perte. Un roman...