Maman - C'est ça que tu veux ? Finir dans une famille d'accueil ? Moi, j'aurai tout perdu dans ma vie. Tu pourras être fière de toi.
J'avais tellement honte. Je lui ai juré de retournai au collège, j'étais même prête à redoubler, j'ferai n'importe quoi.
Maman - Non, ma fille, tu ne redoubleras pas. Tu feras c'qu'on te dit de faire. Je n'en peux plus. Il est temps que je vive, c'est mon tour, j'ai assez attendu. Maintenant, c'est fini. Va te coucher, tu me fatigues !
Je ne l'ai même pas cru un mot. Je n'ai pas cru un instant qu'elle était capable de ça. De me laisser tomber. Ou plutôt, j'ai fait comme elle, j'ai évité d'y penser. Je me suis couché tout habillé.
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Je me suis réveillée en pleine nuit. J'ai voulu me dégager de son étreinte, elle s'est accrochée à moi. Je me suis levée doucement. Je ne savais pas encore c'que j'allais faire, ni pourquoi en pleine nuit. J'ai traîné un peu dans la maison et je me suis sauvée. En laissant la porte entrouverte. Dehors, l'air froid, m'a giflée et ça m'a fait du bien. Sans réfléchir, j'ai pris le chemin qui va chez Sinem. J'étais encore devant chez elle quand le jour s'est levé. La concierge est sortie. Elle m'a reconnue, mais ne pas saluer. J'ai craché à ses pieds, elle a haussé les épaules, j'ai allumé une cigarette. De temps en temps, des personnes sortaient, des personne rentrait. J'allume une cigarette, la dernière, et j'me tire. C'est à ce moment-là un peu avant-huit heures que Nawal est sortie.
Nawal portait le bonnet qu'on lui avait offert Sinem et moi. Pour ses neuf ans. Celui avec deux petits lapins. Quand elle m'a aperçu, elle s'est arrêtée net et m'a toisée. Sinem, elle, ne s'est même pas arrêtée. Mais j'avais eu le temps de voir qu'on l'avait rouée de coups.
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Sinem, ma chère Sinem.
Je froissais les pages blanches avec la même rage que j'écartais les souvenirs. Comment peux-tu croire ? Comment tu peux croire ton frère ? Pourquoi tu ne m'as pas dit.. ? Est-ce que j'tai trahie ? Les mots dansent devant mes yeux. Je n'écris rien, comme si les mots risquaient de salir la page blanche.
C'est vrai que j'avais vue des traces violettes sur ses bras, c'est vrai aussi que j'avais détourné les yeux. Elle ne m'en parlait pas. Et je n'avais jamais osé poser de questions.
Sinem, j'crois bien que j'ai toujours eu de l'admiration pour ton frère. À cause ce malaise et de ce respect qu'il inspire à chaque fois qu'il apparaît quelque part, des têtes qui se baissent, des voix qui s'assourdissent. Les épaules en avant avec une fausse nonchalance et une violence rentrée. Et puis qu'est-ce qu'il est beau ton frère ! Autour de lui, il a toujours eu les filles les plus belles. Plus grandes que nous, qui venaient nous voir pour l'approcher, tu te souviens ? Pour moi, il a toujours eu un sourire, un geste, un clin d'œil en cachette, comme s'il attendait que je grandisse, comme si plus tard.. C'est du moins ce dont je rêvais. Souvent le soir ou j'venais dormir chez toi, j'guetté son retour, déçu quand il ne rentrait pas, surprise de le croiser à l'aube, furieuse de le voir peu à peu m'ignorer. Il ramenait la nuit des mystères, des odeurs, de l'argent qu'il jetait sur la table.
Je voulais tellement que tu saches pourquoi je suis impardonnable. Après, seulement, tu pourras m'oublier.
Ton frère, Sinem, moi, je l'ai vu pleurer, toi, tu ne veux pas te souvenir, sans doute que tu ne peux plus, sans doute parce que tu sais le monstre qu'il est devenu, est le mal qu'il t'a fait, qui ne se répare pas.
Mais moi, je l'ai vu pleurer, j'ai vu son visage submergé par les larmes qu'il cherchait à retenir et cette bagarre qu'il menait contre lui-même et contre ta mère qui lui reprochait de n'être plus fort et plus digne et de ne pas avoir ce sens de l'honneur qu'avait eu ton père, qui n'était plus là. Décédée. Au début, quand je venais chez vous, c'était toujours un peu la fête. On m'était vos deux matelas parterre et on s'allongeait. Tous les trois serrés, à rire, à se pincer et se chatouiller jusqu'à c'que ta mère intervienne et se fâche. « Je ne veux plus vous entendre ». Alors on chuchotait. Souvent, c'est toi qui dormais la première, tu t'entourais dans le drap. Il n'y en avait plus pour nous, ça fessait enrager Yanis. Il disait que tu fessais exprès, et que tu gardais toujours tout pour toi. Il allait chercher une couverture dans son placard et il m'en proposait un bout. Moi, j'lui disais que j'avais peur dans le noir et il glissait sa main dans la mienne. J'avais envie que ça dure le plus longtemps possible. Mais ça n'a jamais duré. Il avait besoin de sa main parce qu'il suçait son pouce, il attendait que je m'endorme pour le faire, mais je n'y arrivais, pas tant que j'avais pas sa main dans la mienne.
Une nuit, il m'a dit que c'était la dernière fois et qu'il n'allait plus jamais dormir dans cette chambre. J'avais dix-ans, et lui quatorze. J'crois que c'est parce que tu venais d'avoir tes règles. Il ne m'a plus jamais parlé. Je n'existais plus. Il avait commencé à vivre une autre vie. Toi, tu dois la connaître, mais vous me l'avez cachée. Ou je n'ai pas voulu voir. Et puis, il y a eu ce fameux soir, c'était juste avant le début de l'été. Je ne sais pas c'qu'il t'a raconté ni qui tu vas croire, ce sera toujours sa parole contre la mienne. Dans ta chambre, il faisait une chaleur étouffante et je n'arrivais pas à dormir. Je me suis relevée pour boire un verre d'eau. Comme c'était la nuit et que tout le monde dormait, je ne me suis pas rhabillée, je portais juste une culotte et le petit tee-shirt que tu m'avais prêté. Il est entré dans la cuisine sans que je m'en aperçoive. J'étais penchée sur le robinet.
Yanis - Wesh.
Il a dit tout doucement comme pour ne pas me faire peur. Mais, j'ai quand même sursauté.
Moi - T'es là ?
J'me sentais mal à l'aise d'être aussi dénudée. Il me regardait en souriant, tranquille et sûr de lui. Il n'a pas répondu.
Moi - J'avais soif..
Je me suis avancée pour partir, mais il m'a retenu par le bras.
Yanis - Tu khaf de moi, ou quoi ?
Moi - Non.
Yanis - Alors, pourquoi tu veux partir ?
Moi - Chuis fatiguée et puis..
Yanis - Et puis quoi ?
Moi - Rien.
Yanis - Assis-toi. Moi, j'ai la dalle.
Il me tenait toujours par le bras, il le serrait à m'en faire mal, je suis restée parce qu'il m'empêchait de partir. Aussi, parce, j'en avais envie.
Moi - Il reste de la pizza. Tu veux que j'te la fasse réchauffer ?
Yanis - J'aime pas les pizzas.
Mdr, trop mignon. Il avait pris le ton d'un gamin capricieux. Il m'a lâché l'bras.
Yanis - En fait, fais-moi d'la pizza.
J'lui ai fait sa pizza. Pendant un long moment, j'me promener dans la cuisine du placard à la table et de la table au frigo et lui, il est resté assis à me regarder marcher. On ne disait pas un mot. Je l'ai laissé me regarder autant qu'il le souhaitait, et même, si j'osais, j'te dirais que j'en ai joué. Je l'ai aussi servi à table. Je me suis assise en face de lui, il m'a demandé du sel, et à boire, je me suis relevée, je lui ai tout apporté, j'ai juste dû faire une blague, qui l'a fait rire, on a ri tous les deux. Le plus drôle, c'est qu'il n'a pas mangé un bout de sa pizza, mais on est restés dans cette cuisine tous les deux jusqu'à l'aube.
Cette nuit-là, c'est un peu comme un miracle, un moment en dehors de tout. De toi, du temps, des autres, un moment rien qu'à nous, qui ne ressemble à aucun des autres. Je ne regrette rien. Si ce n'est de ne pas t'en avoir parlé. Toi, Sinem, tu vivais sa violence et moi, je devenais sa complice. Tu n'as pas pu compter sur ta meilleure amie. J'ai été aveugle. J'me souviens qu'il a commencé en me demandant ce que je devenais. Je crois que, pour répondre, j'ai parlé des profs et du collège, ça m'évitait de lui dire que je n'en savais rien. Et puis, on n'a plus arrêté. Il a beaucoup parlé de lui. À un moment, il m'a donné son MP3 et on a écouté de la musique ensemble. On s'est rapprochés, on était presque collés l'un à l'autre, j'avais du mal à me retenir de le toucher, j'aurais voulu comme avant poser ma tête sur son épaule, mais je n'avais plus l'âge. Et puis, il l'a fait ce dont on avait envie tous les deux. Il m'a enlacée, doucement. Comme s'il avait peur de me briser. Et puis, il m'a demandée si j'avais un petit-ami. J'ai répondu, « non ».
Yanis - Jamais ?
Moi - Ouais.
Yanis - Mdr, c'est bien ça.
Il avait dit ça avec un air de prof' content de son élève. Mais il n'a pas souri. L'honneur des filles.. Et il m'a embrassée. Je lui ai rendu son baiser. On est allés dormir, quand le jour se levait. J'ai d'abord cru que c'qui s'était passé cette nuit-là voulait dire qu'on allait sortir ensemble. Je me suis bien plantée. Il ne s'est plus jamais rapprochée de moi. Il a même mis un soin particulier à éviter de me croiser..
Je me suis arrêté d'écrire. Comme si soudain, je n'arrivais plus à croire moi-même à ce que j'étais en train de raconter. Je n'ai même pas pris la peine de me relire, j'ai tout jeté à la poubelle et je suis allée me coucher.
Sinem n'a jamais reçu la lettre.
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Syra : Rien de plus qu'un baiser
Non-FictionJ'crois bien que j'ai toujours eu de l'admiration pour ton frère. À cause ce malaise et de ce respect qu'il inspire à chaque fois qu'il apparaît quelque part, des têtes qui se baissent, des voix qui s'assourdissent. Les épaules en avant avec une fau...