Chapitre 9 - Réminiscence

71 13 21
                                    

~*~*~*~*~

"- Et si les autres enfants n'étaient pas gentils avec moi ?

- Ne t'en fait pas mon garçon, tu es adorable, soit gentil avec tes camarades et ils le seront aussi.

- D'accord, merci maman! m'animai-je en enlaçant sa jambe dans mes bras.

- Je t'aime Kay, me chuchota-t-elle après s'être abaissée à ma hauteur. Aller, file maintenant ou tu vas être en retard, termina-t-elle en m'embrassant le front."

Je la regardais s'en aller. J'étais partagé entre la peur et la joie. Elle m'adressa un dernier sourire et un signe rapide avec ses doigts qui me rétorquait clairement de me dépêcher. Je me retournai et avançai doucement dans une allée partiellement fleurie. Mes pas craintifs et mon regard en direction de mes chaussures révélaient sans difficultés l'appréhension que je tentais pourtant de cacher à l'égard de ce premier jour d'école. Lorsque j'arrivai sous le préau spacieux bien que peu accueillant, je m'adossai contre un mur de pierres encore frais en serrant mon cartable à bout de bras. Je n'osais pas aller vers les autres enfants, je savais bien que je n'étais pas comme tout le monde.

Maman m'avait préparé une collation qu'elle avait soigneusement rangée dans une boîte étroite en plastique jaunâtre. Je l'empoignai dans le fond de mon sac et me saisis de son humble quoique satisfaisant contenu : un croissant qui avait conservé toute sa tiédeur matinale. Au même moment, j'entendis une voix fluette m'apostropher d'un ton enthousiaste :

"Bonjour! Comment tu t'appelle?"

Je levai quelque peu la tête et décrivis mon interlocuteur : c'était un jeune garçon de mon âge. Il me dépassait de quelques centimètres et était doté d'un visage fin, de joues beiges creusés, d'un regard marron et soutenu et de cheveux châtains aux mèches brunes coupés plutôt courts. Un rictus jovial fendait son visage et lui faisait plisser les yeux.

"- B...Bonjour. Moi c'est Kay, et toi? articulai-je en maintenant mes yeux dans un vague fuyard.

- Nathaniel! Je suis nouveau, comme toi, s'égaya-t-il joyeusement."

Il faisait preuve d'une aisance incroyable avec moi. C'était sûrement ça que maman appelait "un ami". Je me détendis et déchira le croissant en son milieu. Je lui tendis une part et me vêtis d'un sourire satisfait en le fixant amicalement dans les yeux.

"Tu en veux? souriais-je."

S'en suivit un violent coup qui envoya le morceau de viennoiserie voltiger sur une petite distance et s'écraser lourdement sur la dureté du béton malpropre. Mon visage se crispa et la peur s'empara de mes faits et gestes. Je n'étais pas le seul à avoir changé, l'émotion de Nathaniel différait en tout point de celle d'il y a quelques secondes. Ses sourcils froncés et ses pupilles désormais noires démontraient une colère passive et un profond dégoût.

"Tu es un monstre! cracha-t-il sèchement avant de se détourner de moi dans un dédain total"

"Ne pas pleurer... Ne pas pleurer..." me répétais-je en m'efforçant de respecter cette pensée. Je m'accroupis contre le mur et cachais mon œil gauche derrière ma paume grande ouverte. "C'est injuste... Pourquoi j'ai ça? Pourquoi moi? Je n'ai rien demandé!". Je grattais mon œil frénétiquement, comme pour l'enlever de son orbite. Mon esprit se pliait à l'emprise d'une rhétorique infernale. Je retenais tant bien que mal cette tristesse qui humidifiait mes yeux. La cloche sonna non seulement le début des cours mais aussi le début d'un enfer pesant et angoissant.

Nous étions appelés un par un, par ordre alphabétique, et devions prendre place dans ce même ordre. La place qui me fut attitré se situait en bout de rangée, au deuxième rang. Je ne me sentais pas à l'aise, mais après tous ce n'était peut-être qu'une mauvaise passe? Du moins je l'espérais... C'était un autre garçon qui me voisinait. Lui était plus petit que moi, et arborait des cheveux crépus, des yeux verts discrets et une peau couleur ébène sans imperfection. Ses habits laissaient à penser de l'aisance de sa famille. Terré derrière mes doigts maigrichons, je ne m'aventurai à aucune sorte de contact, trop craintif. C'est d'un naturel cinglant qu'il se tourna de trois-quarts vers moi et me tendis la main. Ses bonnes manières faisaient oublier son jeune âge. Timidement, j'attrapai sa poigne. Il l'agita fermement avant d'entamer un semblant de discussion :

DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant