Chapitre 2 : Rêve ou réalité?

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Lundi. Il est temps de retourner au lycée. Mon chagrin ne s'est pas envolé, au contraire. Ce rêve étrange, au lieu de me réconforter, n'a fait qu'accentuer le sentiment d'absence à mon réveil. C'est le cœur lourd que j'entreprends de me préparer et je n'y mets pas mon entrain habituel. Je ne mets pas mes plus beaux vêtements, je ne me maquille pas et c'est à peine si je passe un coup de brosse dans mes cheveux : je n'ai pas besoin de me sentir belle et je n'ai pas envie de plaire.

Comme tous les matins depuis les sept ans à vivre dans cette maison, j'attends le bus qui doit me conduire au lycée. Je mets la main devant ma bouche quand je le vois déchirer la brume qui s'est levée afin de ne pas respirer les exhalations infâmes du véhicule, mêlant pétrole brûlé, odeur d'ordures, air de maladies partagées par la masse ainsi que misère et perversion. Toujours une partie de plaisir. Je m'installe au fond du bus, pose mon sac sur le siège à côté de moi et me tourne vers la fenêtre, en position renfermée signifiant : " Passez votre chemin et SURTOUT ne m'adressez pas la parole, vous risqueriez de le regretter. Oh, et au passage, le siège à côté n'est pas libre et si vous pouviez éviter d'occuper celui qui me précède, ça serait génial."

Tandis que mes yeux se perdent dans le défilé de gris nuançant le tableau de la ville, je me surprends à repenser à mon rêve. Il s'est arrêté tellement brusquement que je me suis réveille en sursaut dans mon lit, moite de sueur et haletante. Ce n'était pourtant pas un cauchemar ; la vision de ma grand-mère, quelles que soient les circonstances, ne pourra jamais être désagréable (sauf si on la torture dans celle-ci, j'entends). N'empêche, je dois être en sérieux manque pour que mon esprit se fasse de tels scénarios. Enfin, en toute psychologue amatrice que je m'improvise, je pense que je n'accepte pas que Mamila soit partie comme ça, sans prévenir et que je préférerais que quelqu'un l'aie arrachée à moi. J'ai besoin d'un bouc émissaire, en quelque sorte. Il faut que je me contraigne à éclaircir mes pensées afin de ne pas sombrer dans la folie...

Cela semble mal parti quand un vieil homme s'assied sur le siège devant le mien. Quoi, j'ai l'air si sympathique que ça? Encore pire, il s'adresse à moi avec une phrase des plus énigmatiques : "Ouvre-toi, laisse-les entrer et tu comprendras". Heu, m'ouvrir à quoi exactement? Je l'ai bien entendu, mais je l'ignore et continue de fixer les petits grains de poussière déposés sur la vitre. En s'assemblant, ils prennent parfois de drôles de formes. Je crois cerner un smiley qui sourit, une tête de chat, une théière et... un cheval? Les contours de cette tâche sont tellement précis qu'on dirait un dessin placé là à l'attention des passagers qui pourraient admirer la beauté de cette oeuvre. " Ce n'est pas à l'intention des passagers, mais à la tienne... " Mais c'est qu'il continue en plus celui-là ! J'ouvre la bouche dans le but de lui exposer vertement ma façon de penser, mais le bus s'arrête et, comprenant un peu tard que c'est là que je dois descendre, j'attrape mon sac et me précipite entre les portes qui se referment déjà. Ouf, une seconde de plus et j'étais bonne pour la prochaine station. Et pour un petit passage chez le CPE, afin d'expliquer mon onzième retard de l'année. 

J'ouvre machinalement mon sac et cherche mon baladeur et mes écouteurs, fidèles compagnons de mon trajet quotidien jusqu'au lycée. Mais je tâte le fond de la poche qui les héberge et je ne sens que le tissu sous mes doigts. Je baisse la tête, ouvre grand des yeux effarés et fouille frénétiquement l'ensemble de mon sac, vainement. La panique me prend, je ne peux pas avoir perdu Linkin Park, égaré Imagine Dragons et abandonné Stromae! Je m'apprête à étaler mes cahiers sur le bitume quand une voix m'interpelle : "Tu ne chercherais pas ça, par hasard? " C'est un jeune homme brun, les pointes de ses cheveux coupés un peu plus courts que mi-longs d'un bleu azur assorti à ses yeux. Il tient à la main mon baladeur tendu dans ma direction, et son sourire en coin s'accentue encore quand il voit mon hésitation. Oui, je me méfie des garçons. Je ne sais pas d'où ça vient, mais peu à peu depuis quelques années, je me suis renfermée et je ne leur accorde pas facilement ma confiance. Je prends ça comme un moyen d'auto-défense face à un environnement hostile, et il est vrai que je trouve les hommes de mon âge justement plutôt... hostiles.

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