Chapitre 7

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Ludivine ignorait combien de temps elle était restée immobile, recroquevillée sur elle-même et impuissante, grelotant par moments à cause du froid, lorsqu'elle entendit un son indistinct. Les bruits se rapprochèrent, accompagnés de vibrations et de grincements, qui indiquaient des pas.

Encore quelques instants, et elle se sentit soulevée, retenant un glapissement surpris, que la muselière aurait de toute façon étouffé. La malle était assurément portée, par qui, elle n'aurait su le dire. Le voyage dura de longues minutes, pendant lesquelles Ludivine se fit balloter et se cogna contre les parois, heureusement recouvertes de cuir souple, ce qui ne diminua en rien la nausée qui montait en elle.

Mais comme toutes les épreuves, celle-ci prit fin également, quand la malle rejoignit le sol. Les transporteurs s'éloignèrent. Ludivine avait-elle été abandonnée au milieu du canal ? Dans une tombe sans nom ? Non, jamais la reine ne lui aurait fait cela. Elle avait senti, lors de leur discussion, qu'il y avait encore quelque chose entre elles, plus profond et plus ancré que toute autre relation de Ludivine. Elle avait été la souffre-douleur de sa reine pendant des années, cela laissait des marques, et pas que sur sa peau.

Le son du cadenas se fit entendre, et la malle s'ouvrit. Ludivine se redressa et découvrit qu'elle se trouvait dans une salle souterraine, vraisemblablement une cave, mais décorée avec soin. Des draperies cramoisies pendaient aux murs, quand ceux-ci n'arboraient pas de grands miroirs aux cadres extravagants, qui n'avaient pas beaucoup à envier à ceux de la galerie des glaces. Une porte unique se trouvait à quelques mètres, fermée et barrée. Du mobilier était aussi présent, dont une large table, des chaises, mais aussi du matériel que Ludivine avait déjà vu sous les traits de Lucien, dans les geôles de prisons, comme des fers ou même des outils de tortures. Ceux-ci rompaient fortement avec le cadre élégant des lieux.

Une jeune femme se trouvait aux côtés de la malle, nue également, mais sans masque. Plus loin, sur un canapé, la reine discutait avec une femme à la chevelure brune, qui lui tournait le dos à présent. Ludivine voulut poser une question à sa libératrice, mais le métal mordant l'en empêcha et elle ne put que se taire, restant debout au milieu de la pièce, une main couvrant son pubis.

Sur le sol des tapis recouvraient la pierre froide.

La reine se leva, imitée par sa compagne, que Ludivine reconnut alors sans mal. Il l'avait sauvée, la veille, d'un courtisan trop présent. Elle se sentit aussitôt faillir, une vague de chaleur se répandant en elle, de se retrouver en pareille situation devant la jeune femme, dont les traits lui semblaient tout aussi délicats que la veille. Elle avait choisi des vêtements de chasse particulièrement audacieux, car une redingote et une simple culotte de soie, sans jupes, l'habillait.

— Votre Altesse, lui dit la courtisane, je ne m'attendais guère à pareille surprise. La connais-je ?

— Je ne vous le dirai pas, chère Gabrielle. Peut-être s'agit-il d'une servante qui s'est montrée agréable envers vous, ou bien de cette baronne que vous haïssez tant.

— Je n'y crois pas un seul instant ! Ses seins ne seraient pas aussi fermes. Non, je suis sûr que la baronne de Travenais est flétrie, comme son âme, et son sens de la discussion.

La reine laissa échapper un petit rire. Ludivine, ainsi observée, ne savait plus où se mettre. Elle avait bien sûr déjà entendu certaines rumeurs sur les plaisirs réprouvables de la reine, mais elle n'avait osé y croire jusqu'alors. Oui, elle se montrait parfois dure, et elle avait déjà battu Ludivine une ou deux fois, mais jamais elle n'était allée jusqu'à de telles extrémités pour humilier son ancienne souffre-douleur. Ludivine avait-elle fait quelque chose pour contrarier sa souveraine ? Ou était-ce celle-ci qui avait changé ?

Les infortunes de Lucien - (extraits du roman édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant